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mardi 15 mars 2011

Le Tabac Old Chum, une publicité se dévoile

C’est un ami qui m’a mis sur la piste. Sur le coin de la 10è avenue et Masson y’a un édifice qui a été démoli, qu’il m’a dit, et sur le mur mitoyen y’a une grosse pub murale qui est apparue. Ah? Et elle est comment cette pub? Que je lui ai demandé. Pratiquement intact. Qu’il m’a dit.

Peu de temps après je suis donc arrivé sur les lieux. Cette pub était tout simplement gigantesque, faisant un côté de maison au complet. Alors, qu’avons-nous donc ici et que s’est-il passé? Pour le savoir faut retourner en arrière dans notre passé. Il y a environ plus ou moins 80 ou 100 ans de cela, les rues de la ville n’étaient pas remplies de bâtiments d’une intersection à l’autre. Les anciennes terres agricoles avaient été largement loties mais il se trouvait, parmi les maisons construites ou en construction, de nombreux terrains qui n’attendaient qu’à être acquis.

Mais avant que cela ne se fasse de nombreux côtés de maisons adjacentes à ces terrains vacants offraient un espace mural temporaire de grandes dimensions pour toute compagnie désireuse d’y afficher un produit ou service quelconque. Tout ça est bien beau sauf qu'on ne badigeonne pas une publicité comme ça, bien sûr que non. Pour ce faire, on retient les services d'une entreprise spécialisée dans le domaine car pour peindre une publicité de cette taille  il faut mieux laisser ça à des gens qui s'y connaissent.

Une fois réalisée la publicité est alors vue (dans ce cas-ci très bien vue) de tous les gens qui passent. Puis, par un beau jour, quelqu’un achète le lot vacant et fait construire un bâtiment faisant ainsi rapidement disparaître l’affiche peinte. Plusieurs années plus tard, pour une raison ou une autre, le bâtiment est démoli et remet au jour la publicité peinte qui a extraordinairement été bien protégée du soleil et des éléments. C’est exactement ce qui s’est produit ici. Mais quel est donc ce produit et comment peut-on le dater?

Tout d’abord la marque elle-même. Old Chum est principalement un marque de tabac qui appartenait à un fabricant de cigarettes, D. Ritchie & Co. et dont l’usine était située sur la rue Dalhousie. C’est là qu’on fabriquait aussi les cigarettes Derby qui furent si populaires. Le Lovell de 1895 m’a aidé à retracer l’entreprise. A la même époque l’American Tobacco Company s’installe sur la rue Côté et commence aussi à fabriquer ses cigarettes. J’ai retrouvé sans peine l’entreprise inscrite dans le Lovell de la même année:


L’American Tobacco Company semble de toute évidence avoir acheté la compagnie D. Ritchie & Co. Il y a toute une série d’achats qui s’ensuivent pour la compagnie mais ce qui nous intéresse ici est le produit Old Chum. En 1908 donc, l’Imperial Tobacco acquiert toutes les opérations canadiennes de l’American Tobacco Company ce qui inclut aussi notre fameux tabac qui va continuer d’être produit. Il semblerait même qu’il pouvait encore se trouver sur les tablettes jusqu’à tout récemment  (l’est-il encore aujourd’hui??). En somme, nous avons affaire ici à une publicité vantant les mérites d’un produit d’ici fort populaire car, il ne faut pas l’oublier, la pipe, le cigare et les cigarettes étaient alors très en vogue. Tout le monde et son chien fumait. On pouvait d’ailleurs se procurer tous les articles de fumeur dans des endroits spécialisés: les tabagies (terme utilisé bien souvent aujourd’hui pour désigner un magasin de variétés ou un dépanneur). Bon, d’accord. Va pour la marque elle-même, mais à quel moment cette publicité a-t-elle été réalisée, et par qui? Ah, voilà qui est un peu plus corsé.

Au premier regard on pourrait croire que c’est peine perdue, car comment dater quelque chose du genre? C’est pour cela qu’il faut prendre le temps de jeter un deuxième regard, parfois même un troisième, plus minutieux, pour bonne mesure. Parfois il s’agit d’un tout petit détail de rien du tout. Or, comme je le mentionnais plus haut, ces publicités peintes étaient l’affaire de gens spécialisés, donc d’une entreprise qui ne faisait que ça. Comme chacune de ces pubs étaient peintes entièrement à la main elles étaient donc uniques et par conséquent… signées. Cette façon de faire existe encore aujourd’hui sur les grandes pubs que l’on voit en ville ou sur le bord des autoroutes. Observez et vous verrez le nom de la compagnie qui en est responsable. Alors, remontez à la première photo plus haut et observez attentivement. Vous ne voyez rien?

Si si, en bas du mur à droite il y a ceci:


C’est véritablement un coup de chance car on peut s’apercevoir qu’il ne s’en est fallu de peu pour que la signature disparaisse complètement! Nous avons ici tout ce qu’il nous faut pour faire une petite recherche. La compagnie n'apparaît qu’à partir de 1913 en tant qu'agence publicitaire, tel qu'en témoigne le Lovell de cette année-là:

Toutefois, comme on peut le constater, la compagnie ne porte pas encore le nom de Asch Limited. Cela n'arrive que l'année suivante, tel que l'indique le Lovell de 1914:

La compagnie a donc ses bureaux au 1572 Saint-Laurent. Il serait certainement intéressant d'aller voir sur place. L’adresse donne approximativement du côté ouest de St-Laurent tout juste au nord de Maisonneuve. On se dirait, certainement convaincu, que c'est à peu près là que le bonhomme Asch avait ses bureaux. 

Pas si vite. 

C'est que voyez-vous, c’est que durant les années 20 et 30, la ville de Montréal a procédé à une réorganisation en règle quant à la numérotation des adresses civiques. Ceci a été rendu nécessaire en raison des nombreuses villes et villages que la ville annexait. Il fallait donc refaire les adresses afin d’éviter des dédoublements inutiles. Prenez par exemple la photo ici-bas que j'ai prise quelque part en ville. On voit les anciennes adresses dans le vitrail alors que les nouvelles apparaissent sur les plaques juste en-dessous.


Asch n'avait donc pas ses bureaux près de Maisonneuve mais bien un peu au nord de Mont-Royal, où se situait le 1572 à cette époque. En 1918 la compagnie déménage mais de très peu au sud pour s'installer... au 1560 St-Laurent. Nouveau déménagement, en 1922 cette fois et la compagnie s'installe au 51 Sherbrooke ouest. En 1928 elle change de place, encore une fois pas très loin, pour occuper le 101 Sherbrooke ouest. En 1930, en plus de son bureau sur la rue Sherbrooke, occupe également le bureau 104 (premier étage) au 107 de la rue Craig (aujourd'hui St-Antoine). Asch semble alors brasser de très bonnes affaires puisqu'il habite sur l'avenue Montrose à Westmount, un petit coin tout à fait charmant si vous passez par là.

Asch Limited cesse d'exister dans le Lovell en 1932 alors que JC Asch est listé comme étant le directeur de Claude Neon Advertising Limited. La compagnie apparaît toutefois en tant que Neon Signs Co. 

La question demeure cependant: à quel moment a été réalisée cette publicité? Comme on a pu le voir, Asch Limited a existé entre 1914 et 1932,  soit durant 18 ans. Ça devient un peu plus compliqué... Il y a toutefois quelques éléments qui peuvent aider. On sait qu'une adresse paire indique un côté sud et que la publicité a été peinte sur un mur entre lequel et la 10è avenue se trouvait un terrain vacant. Voyons voir un peu.

Dans le répertoire des rues du Lovell 1922-23 on constate qu'il ne se trouve aucune construction sur Masson entre la 9e et 10e avenue. En 1923-24 toutefois on note de nouvelles adresses civiques soit 1940 jusqu’à 1964, ce qui nous indique que l'on a construit quelque chose. Puis, dans le Lovell de 1924-25 ces adresses sont changées et vont de 3150 à 3178.  En 1925-26 on note quelque chose d'intéressant: cinq nouvelles adresses paires, allant de 3180 à 3188, comblant ainsi un certain vide entre le 3178 (dernière adresse ouest en 1924-25) et la 10e avenue. En 1925-26 cette dernière adresse devient le 3188.

La conclusion est donc simple. Le bâtiment sur lequel a été peinte la publicité a été construit entre 1923-24 (certainement durant l'été) et le terrain vacant sur le coin de Masson et de la 10e a été comblé en 1925-26. Considérant que les peintres ne devaient pas peinturlurer des murs de brique en plein hiver on peut supposer qu’Old Chum est apparu sur le mur du bâtiment durant l'été de 1924. Malheureusement, l'espace vacant permettant de voir la publicité a de nouveau été comblé par un nouvel immeuble.




Le saviez-vous? La rue Masson doit son nom à l’Honorable Joseph Masson, lequel fut négociant, conseiller législatif et seigneur de Terrebonne. Le personnage, décédé en 1847, n’a toutefois jamais mis les pieds, on le devine bien, dans le coin que traverse la rue qui porte son nom.



Nota: Remerciements à Lisa-Marie Noël, journaliste indépendante, chroniqueuse historique pour m'avoir fait parvenir une copie texte de mon article original que j'avais malheureusement effacé.

8 commentaires:

  1. Quelle recherche! C'est toujours un plaisir de te lire.

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  2. Merci mon cher taximan! Peut-être au Yul bientôt?

    Pluche

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  3. Ben dis donc, c'est toute une recherche que tu as effectué!
    Bravo!
    C'est ma prochaine étape.

    Je suis à courrir présentement les rues et ruelles de la ville pour capter toutes les vieilles enseignes peintes. J'en ai déjà un bon paquet, mais l'aventure est loin d'être terminée!
    Que c'est fascinant!

    Dommage que j'ai manqué celle-ci de peu :(
    À voir toutes les photos sur le net, elle semblait magnifique! Je pense que la Old Chum et la Turret restent les plus belles jusqu'à ce jour.

    Tout comme toi, j'ai porté attention au nom de la cie qui a effectuée l'annonce, c'est d'ailleurs elle qui a fait celle des cigarettes Turret. Ce que j'aimerais savoir c'est quand elle a bien pu être faites celle-là... Vais devoir fouiller un peu...

    Si ça t'intéresse les annonces fantômes, je te refile mon adresse pour voir tout ce que j'ai en photo jusqu'à maintenant:
    http://www.flickr.com/photos/cammu/sets/72157625955061660/with/4692015348/

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  4. Je viens d'aller faire un tour et je dois avouer très sincèrement que votre perspicacité et votre flair pour dénicher ces vieilles pubs sont très impressionnants. Je vais m'y référer, sans aucun doute pour mes futures recherches.

    Pluche

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  5. Merci Pluche :)
    Je suis en sprint final. Encore une quinzaine de photos à prendre et s'en suivra les recherches par la suite.
    À suivre...

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  6. J'ai bien hâte de voir ces trouvailles.

    Pluche

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  7. Merci pour toutes ces infos! J'avais capté moi aussi le ghost ad (comme on dit en anglais) mais sans faire de recherches sur ses origines. Juste le fait qu'elle était si colorée m'impressionnait puisque d'habitude de telles pubs fantômes sont quasi effacées et difficiles à lire.

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  8. De rien Lady Jaye, c'est une véritable passion pour moi ces choses. Peut-être que le fait qu'elle soit maintenant cachée par un nouvel immeuble permettra t-il de la conserver encore pendant de très nombreuses années.

    Pluche

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