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dimanche 6 juillet 2014

La place des Nations, un avenir toujours incertain


C’est passé dans le journal Métro du 3 juillet 2014 à la page 3 sous la plume de Laurence Houde-Roy. Alors qu’est-ce qui se passe donc avec la place des Nations? Ben voilà, il était prévu investir des sous pour retaper et remettre en ordre la mythique place. Si, parce qu’au fil des ans la négligence caractéristique de la ville par rapport à son patrimoine architectural ainsi que les éléments ont transformé la place en un lieu qui fait davantage penser à Pripiat.

La place des Nations je vous en ai parlé souvent ici, à plusieurs reprises même; ici, par-là, encore ici, là également, par ici, sans oublier ici également et aussi. C’est pratiquement un cheval de bataille. Pourquoi? Je vais piger dans l’article du Métro encore une fois et vous allez comprendre de suite. Ainsi, lors d’une réunion du comité exécutif à la ville, Denis Coderre y est allé de cette déclaration, et je cite :

«On ne peut pas dépenser de l’argent [inutilement]. Vous aurez à me convaincre [de la valeur de ce projet].

Ça, c’est le maire de Montréal qui dit ça. Allons plus loin où il rajoute, et je re-cite encore : «[La place des Nations] ça m’a plus l’air du festival de la manne [que d’autre chose]. Je ne suis pas sûr qu’on devrait faire ça». Mettre de la tourbe sur le parterre au milieu, pas de problème, le maire n’a pas l’air contre. Maintenant allons voir du côté de l’opposition officielle, dûment représentée par Richard Bergeron, le chef du parti Projet Montréal. Que dit-il à ce sujet?

«C’est du gaspillage d’argent. C’est un racoin, prisonnier entre un viaduc autoroutier et une sortie en descente».

Monsieur Bergeron, faut-il le souligner n’est pas convaincu mais alors pas du tout que l’endroit, une fois retapé, attirerait les gens. Maintenant, je vais y aller avec une question directe et crue : savez-vous pourquoi le patrimoine architectural de Montréal est sur le cul?

Relisez les déclarations de messieurs Coderre et Bergeron et vous allez tout comprendre. En fait, en retournant en arrière, on peut constater que les maires précédents ont à peu de choses près tenu un discours semblable sur le legs bâti de notre ville. C’est pour ça qu’on voit pousser partout d’insipides clapiers de béton aux noms tout aussi chiatiques en rasant tout ce qu’on peut sans se soucier de quoi. C’est de cette façon-là qu’on a perdu la maison Van Horne, Ben’s Deli, Orange Julep (sur Sherbrooke) et combien d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ici. C’est aussi à cause de l’incurie des élus que des organismes comme Héritage Montréal et Sauvons Montréal ont vu le jour. Mais par-dessus tout, je le redis et le répète encore, ce ne sont pas que des bâtiments que l’on démolit mais aussi ce qu’ils représentent.

Idem pour la place des Nations.

Qu’est-ce que le monde entier connaissait de Montréal avant 1967? À vrai dire, pas grand-chose. D’accord, y’avait des voyageurs qui venaient de temps à autres mais la plupart des gens des autres pays n’avaient aucune idée de ce qu’était Montréal ni de ce que cette ville avait l’air. En d’autres mots nous n’étions pas vraiment sur la «map».

Tout ça a changé le 28 avril 1967 lorsque les caméras de plusieurs diffuseurs télé d’ici et d’ailleurs ont capté la cérémonie d’ouverture d’Expo 67, laquelle se tenait, justement, à la place des Nations où s’étaient rassemblé 7,000 invités tant dans les gradins qu’au parterre. Pour quantité de gens de plusieurs pays dans le monde, lorsqu’ils ont regardé tout ça à la télé, les premières images qu’ils ont eues de Montréal étaient celles de la place des Nations. Au fil de l’évènement les dirigeants des pays qui participaient à Expo 67 se sont tous succédé à la tribune et quantité de vedettes s’y sont produites. Il se trouvait toujours quelque chose de différent à y voir et entendre.

Mais voilà, nos élus contemporains ne considèrent pas ou peu, que d’investir de l’argent dans la réfection de la place des Nations soit quelque chose d’utile. Denis Coderre parle de dépense plutôt que d’investissement et Richard Bergeron utilise le mot «gaspillage», ni plus ni moins. Dernière question : que nous reste-t-il d’Expo 67?

  • La biosphère? Elle n’a plus son aspect d’origine depuis l’incendie de mai 1976 et présentement son sort est nébuleux.
  • Le pavillon de la Corée? Soyons sérieux, il ne s’agit plus que d’un condo à siffleux et pigeons doublé d’un abribus glorifié dont il ne reste que les colonnes et le toit.
  • Le pavillon de la Tunisie? Il ne ressemble en rien à ce qu’il avait l’air en 1967. C’est devenu un espace tout à fait morne et parfaitement ordinaire. Mention citron pour avoir placé la mosaïque de l’artiste Tunisien Zoubeir Turki à un bien mauvais endroit (indice: chasse d'eau).
  • Le pavillon de la France? Ne me faites pas rire. On l’a défiguré pour agrandir cette abomination qu’est le casino.
  • Le pavillon du Québec? Un de ses architectes, Luc Durand, m’a confié que le pavillon a tellement été modifié qu’on peut tout simplement dire qu’il a été détruit.
  • Le pavillon de la Jamaïque? Il a été restauré mais il sert à quoi au juste?
  • Le pavillon du Canada? Il loge l’administration du parc Jean-Drapeau.
  • Les canaux qui faisaient le charme de l’île Notre-Dame? On les a remplis de terre.
  • Le stabile de Calder? Non seulement il n’occupe plus son emplacement originale mais il s’en est fallu de peu pour que l’immense sculpture se retrouve au milieu d'une intersection de Montréal, quelque chose qui aurait eu autant de sens qu’un poisson dans un arbre.

Voyez? Physiquement il ne reste presque rien de cet événement qui nous a amené 50 millions de visites et qui a fait permis à Montréal de s’ouvrir sur le monde et vice-versa. Même la mémoire de l’événement est tronquée puisqu’il se trouve encore quantité de gens qui confondent Expo 67 et Terre des Hommes. Pourquoi? Parce qu’on semble avoir sciemment choisi d’envoyer aux poubelles tout ce qu’Expo 67 a été et a représenté.

Y’a aussi un autre bout qui faisait partie intégrante d’Expo 67 et qui s’appelait la Cité du Havre. Vous savez, c’est là qu’on a construit Habitat 67 et où se trouvait aussi de magnifiques pavillons. Évidemment on a tout rasé. Ne reste que les fragments asphaltés des allées piétonnières ainsi que les moignons de lampadaires que l’on a décidé de couper à la torche. Plus à l’ouest, laissé à l’abandon dans la négligence la plus totale, la Giboulée de l’artiste Jean Cartier, gît telle une épave.

Mieux, ou pire c’est selon, il se trouve à la place des Nations, bien fixée sur le socle de béton où se trouvait la torchère, une plaque qui commémore Expo 67 mais qui comporte une erreur notable; en effet il y est indiqué qu’Expo 67 s’est terminée le 27 octobre alors qu’en réalité elle s’est terminée le 29 octobre. Cette erreur est tout simplement due au fait que pour inscrire la date de clôture on s’est fié au guide officiel, lequel a été conçu et imprimé en 1966. Les dirigeants d’Expo 67 se sont rendu compte que clore l’évènement le 27 octobre, soit un vendredi, ne faisait pas de sens alors on a présenté une demande spéciale au Bureau International des Expositions pour repousser la fermeture de deux jours afin que ça puisse tomber un dimanche. Ce qui, faut l’avouer, avait plus de sens.

Sur le site d’Archives Canada ce n’est pas diable mieux puisque l’on apprend, avec stupéfaction, qu’il se trouvait dans le pavillon américain, bien exposé, les parachutes… de la navette spatiale. Non, je ne rigole pas, allez voir par vous-mêmes. C’est ici. Sérieux! La navette spatiale, bordel! Un bidule dont le budget de développement n’a été approuvé par Nixon qu’en 1972. On se serait attendu d’un peu plus de rigueur de la part d’un organisme officiel chargé de conserver la mémoire de notre Histoire.

La place des Nations, telle qu’elle se trouve dans l’estime de nos politiciens actuels, s’inscrit dans cette longue liste où la mémoire d’Expo 67 est malmenée. Mais bon, je m’égare un peu mais n’en reste pas moins que je ne comprends d’aucune façon la réaction de nos dirigeants politique par rapport au sort de la place des Nations. Plutôt que de parler de dépenses ou de gaspillage, pourquoi ne pas parler d’investissement? Pourquoi ne pas profiter de cette occasion unique pour faire de la place des Nations un mémorial d’Expo 67 couplé d’un centre commémoratif ou centre d’interprétation? Parce que voilà le truc: nous n’avons pratiquement aucun mémorial sur cet événement, le plus important et le plus significatif du 20è siècle au pays. L’information, comme je vous l’ai montré, comporte des erreurs flagrantes quand ce n’est pas du galvaudage pur et simple. Ce qui en résulte est un enfouissement graduel de la mémoire d’Expo 67 et, comme bien d’autres pans de notre Histoire, on en viendra un jour à ne plus se souvenir. Cela viendra, encore une fois, confirmer ce que je dis depuis des lustres; que la devise du Québec devrait être : Je me souviens… de rien. 

«Aussi, avec une ferveur égale à celle qui m’a toujours personnellement animée, je conserve l’espoir qu’il sera possible de préserver de la destruction, des bâtiments et des éléments, qui devraient continuer de rappeler d’une façon permanente en terre d’Amérique, la réalité d’une civilisation universelle, reconstituée quant au passé, des choses qui ont résisté à l’usure du temps, de celles qui ont triomphé des haines et des guerres, et quant à l’avenir, exprimée par des formes architecturales ou graphiques, nouvelles ou renouvelées, des états actuels de la science ou de l’art, et surtout, par des indications claires et précises, du recul des frontières de la misère et de la faim, de l’ignorance et de la pauvreté

Jean Drapeau
Extrait de discours, 1967
Place des nations







Le saviez-vous? Lors d’Expo 67 les dirigeants de nombreux pays donnaient des discours à la place des Nations mais malheureusement cela coïncidait avec le passage de l’aéroglisseur dont le vacarme enterrait l’allocution, ce qui ne manquait jamais de faire rager le commissaire-général d’Expo 67, Pierre Dupuy.

4 commentaires:

  1. Superbe papier sur la place des nations, vraiment. Place des nations que j'ai eu la chance d'explorer en toute quiétude récemment. J'ai profité de mon passage pour faire quelques photos, comme ici (non, je ne tente pas de me faire de la publicité en passant par ton blogue, promis):
    https://www.flickr.com/photos/bob_august/14481422013/

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    1. Aucun problème pour l'inclusion du lien dans ton commentaire, il est le bienvenue. Tu fais d'ailleurs de très belles photos et j'aime bien le style que tu leur donne.

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    2. Je crois qu'en Amérique, on a honte de notre passé, contrairement à l'Europe. J'ai beaucoup apprécié cet article. J'ai aussi exploré tous les autres articles relatifs à l'Expo et j'ai souvent été touché, ému, particulièrement face à la photo du destin du pavillon de la Corée.

      Au moment de l'Expo, j'avais douze ans. J'ai dû faire le trajet Trois-Rivières-Montréal 30 fois pour m'y rendre, avec mes parents, mes soeurs, mon frère, les parents de mes copains et même, une fois, tout seul comme un grand garçon. L'Expo a chanté ma vie. Avant, l'univers, c'était le Canal 10 de mes parents ; après, c'était tout ce qui était créatif.

      Je souligne que je suis romancier. Deux de mes romans présentent des scènes qui se déroulent à l'Expo. Les titres sont : Les Fleurs de Lyse, Les bonnes soeurs. On peut les trouver dans les bibliothèques publiques.

      Merci.
      C'est fantastique, ce qu'il y a sur ce blogue ! Je me promets de tout regarder.

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    3. Je ne crois pas que ce soit une question d'avoir honte de notre passé plutôt que de n'y apporter aucune importance. Ou si peu. Merci pour vos propos et je vais certainement aller jeter un coup d’œil à vos écrits.

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