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dimanche 7 décembre 2014

La rue Ste-Catherine en 1952


Dans l’article précédent il était question de la rue Ste-Catherine telle que vue dans le centre-ville en 1969. Aujourd’hui je vous propose encore une fois la rue Ste-Catherine, toujours dans le centre-ville mais cette fois en 1952 et ma foi, pas tout à fait loin de la photo de 1969. La différence étant qu’ici on se trouve entre les rues University et McGill College et on regarde vers l’ouest.


En 1929 le krach boursier plombe sérieusement les marchés financiers et, par conséquent, ceux de l’emploi et du commerce. Résultat : privations, chômage et récession. Pratiquement tout le monde y goûte. Les conséquences de la crise ne s’estompent pas du jour au lendemain, malheureusement et dès que l’on entrevoit un tant soit peu la lumière au bout du tunnel, arrive la Seconde guerre mondiale. Montréal connait alors une autre période de vaches maigres en raison de l’économie dite de guerre. Ce n’est pas que l’emploi manque, au contraire car quantité d’usines fabriquaient toutes sortes de choses destinées au conflit d’outre-mer; uniformes, parachutes, moteurs, véhicules, munitions et autres mais la majorité des biens de consommation sont rationnés et/ou réquisitionnés. Avec la fin de la guerre en 1945 l’économie de guerre transige lentement mais sûrement en une économie de paix. Le Montréal du début des années 50 est alors marqué par une vigueur économique sans précédent qui tire presque du conte de fées. Les grandes artères sont alors illuminées d’une véritable forêt d’enseignes lumineuse qui clignotent dans tous les sens. À cette époque le nightlife de Montréal est légendaire et il pratiquement possible, à toute heure du jour ou de la nuit, de prendre un repas quelque part et d’assister à quantité de spectacles variés. Il n’est pas rare non plus d’y croiser de grandes vedettes américaines et européennes du cinéma et de la chanson. Restaurants, salles de spectacles, cafés, cabarets et cinémas, tout le monde y trouve son compte. C'est aussi l'époque où la rue Ste-Catherine est à double-sens et toujours parcourue par des tramways et pour le secteur que l’on voit sur la photo c'est le circuit 33. La ville est alors sous l’administration du maire Camillien Houde alors que pour la province c’est Maurice Duplessis qui tient le volant. Les deux hommes se connaissent bien et s’ils ont des divergences d’opinion sur bien des choses ils partagent néanmoins plusieurs choses dont l’art de parler la langue du peuple. D’ailleurs en juillet 1948 Houde a publiquement apporté son soutien au parti de l’Union Nationale. Ceci étant dit, voyons un peu ce que l’on peut décortiquer de l’image d’aujourd’hui.

Tout d’abord, le lieu de la photo. Nous sommes ici ici sur le côté nord de la rue Ste-Catherine entre Université et l’avenue McGill College, et on regarde vers l’ouest. Ensuite, le moment où cette photo a été prise, début du mois d’août 1952. Très facile à déterminer grâce au film Lydia Bailey, mettant en vedette la jeune et jolie Anne Francis, et annoncé sur la marquise du cinéma Palace. À gauche complètement on aperçoit le café Astor, où, en plus de pouvoir assister à des spectacles variés, on peut prendre un verre, siroter un café et même danser. Tout juste à côté c’est le cinéma de Paris où l’on présente Toâ, un film tourné par Sasha Guitry en 1949 et adapté de son œuvre, Florence. S’ensuit le Palace, dont je vous ai parlé plus haut. Ce cinéma ne compte alors qu’une seule salle. On retrouve ensuite un petit magasin pour machines à coudre Singer. Ce dernier ne doit pas manquer de clientèle puisque la couture est très populaire chez la gente féminine. À côté c’est le magasin de chaussures Beck, suivi de Jean’s Nut Store où l’on ne vend pas des boulons mais bien des noix de toutes sortes; de macadamia, de Grenoble, du Brésil, de cajou, de muscade, de pécane ou tout simplement des amandes, des pistaches ou des arachides. Allergiques s’abstenir. S’affichant fièrement lui aussi avec sa grande enseigne verticale, le restaurant Cosy accueille avec un menu varié et vous sert également vins et bière. À côté, et parfaitement invisible, le magasin de chaussures Gold. Puis, surmonté d’une enseigne sobre mais élégante avec une canne et un chapeau haut-de-forme, il y a le café Top Hat qui est immédiatement suivi de Tiffany’s Men Shop, une boutique pour hommes. Envie d’un autre café? Passez donc au Honey Dew! Et puisqu’il s’agit d’une division de Canadian Food Products il se trouve d’autres ailleurs en ville. Imperceptible également, Belgium Stores et tout de suite après une succursale de la Banque Royale. Au coin de McGill College c’est la pharmacie Ward’s qui se trouve là. L’avenue McGill College nous sépare des commerces suivants et que l’on distingue un peu dont United Cigar Stores dont le toit est surmonté d’une immense affiche publicitaire lumineuse qui vante les mérites des électroménagers Westinghouse. On peut aussi voir l’enseigne du cinéma Capitol qui met alors à l’affiche le western australien Kangaroo avec Peter Lawford. Quant au Loews, lequel se trouve à la limite de ce que l’on peut distinguer sur la photo, on projette le film Lovely to Look at, une adaptation cinématographique du spectacle musical de Broadway, Roberta.


Et de quoi parle-t-on en ce début d’août 1952? Y’a certainement le conflit de travail au magasin Dupuis Frères. Le grand magasin de la rue Ste-Catherine a été secoué par une grève des employés qui désiraient une augmentation de salaire. Heureusement, à la fin juillet les employés ont accepté les nouvelles offres et leur salaire hebdomadaire est passé de $4 à $6. Au début d’août le conflit est terminé mais on en parle encore, surtout du maire Houde qui, durant la parade de la St-Jean-Baptiste, s’était fait poivrer d’œufs pourris parce qu’il avait critiqué la grève. Dans les tramways il s’en trouve plusieurs pour regarder de travers la comédienne Lucie Mitchell, laquelle avait tenu le rôle de la marâtre dans le film La Petite Aurore, l’enfant martyre. Certains vont même jusqu’à l’invectiver en la traitant de tous les noms car elle est identifiée comme étant la «méchante». Comédienne de talent, Lucie Mitchell a dit que ce rôle avait signifié la fin de sa carrière et n’a pu retrouver une certaine grâce aux yeux du public dans d’autres rôles. Dans un autre ordre d’idée il se trouve encore des gens qui se pointent au théâtre Gayety dans l’espoir d’y voir un des beaux spectacles de Lili St-Cyr mais la strip-teaseuse américaine, Mary Van Schaack de son vrai nom, est retournée poursuivre sa carrière aux États-Unis. 













Côté littérature la première version en anglais du journal d’Anne Frank, The Diary of a Young Girl, arrive sur les tablettes des librairies. D’autres versions, dont en français, sont aussi prévues dans un avenir rapproché. Le livre va devenir l’un des plus lus dans le monde. Aux États-Unis le transatlantique SS United States effectue sa première traversée. Aujourd’hui en 2014 le navire est toujours ancré à Philadelphie et son statut oscille entre la préservation et la mise à la ferraille.


Hydro-Québec annonce qu’elle va investir cent millions de dollars pour le développement de la rivière Bersimis. L’industrie minière s’inquiète un peu car le prix de l’or atteint alors son prix le plus bas depuis 18 ans, soit près de $33 l’once. Peut-être que les patrons des minières sont allés rejoindre les milliers de pèlerins massés à l’Oratoire St-Joseph pour la messe d’action de grâces, suivi d’un chemin de croix prêché par le chanoine Deffrains de la cathédrale de Rennes. Si vous ne pouvez-vous y rendre alors syntonisez CKAC, 73 au cadran, où la cérémonie sera entièrement diffusée en direct. Parlant de diffusion on attend aussi impatiemment l’inauguration officielle de Radio-Canada quoique les diffusions aient déjà commencé de façon non-officielle depuis le début d’août. Toutefois, le téléviseur, objet relativement nouveau dans le paysage, demeure un meuble dispendieux et pas à la portée de tous.

Quant à la photo d'en haut, qu'en est-il du même secteur aujourd'hui? Voyons un peu...


Comme on peut le voir, fini les belles enseignes lumineuses de l'époque. Les cinémas et commerces du temps aussi ont disparu, même ceux du coin que l'on croyait immuables, comme Simpsons et Eaton. Aucun d'eux n'a survécu de nos jours, c'est pour dire. On a tout de même conservé le nom Eaton pour nommer le centre commercial que l'on a aménagé en face.  





Le saviez-vous? L’une des premières émissions diffusées par Radio-Canada, en août 1952, est Pépinot et Capucine. Fabriquées de papier mâché par Edmondo Chiodini et Jeanne Auclair, les comédiennes Charolotte Boisjoli et Marie-Ève Liénard prêtent leurs voix aux deux marionnettes.

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