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lundi 15 juillet 2013

La catastrophe du pont de Beloeil

Dans l’article précédent sur la catastrophe de Lac-Mégantic j’ai fortement vulgarisé le fonctionnement des freins sur un train. On s’est étonné du fonctionnement de ce mécanisme et j’ai cru qu’il serait utile d’approfondir un tout petit peu sur le sujet sans toutefois trop m’enfoncer dans la technique. 


Vous êtes dans votre voiture et vous devez freiner, pour une raison ou une autre. Que se passe t-il? Vous appuyez avec votre pied sur la pédale et la pression appliquée sur celle-ci se transfert via le liquide de freins sur un piston, lequel serre les plaquettes de frein sur le disque. Sur un train on utilise également la pression pour freiner mais au lieu d’utiliser un liquide de frein on utilise de l’air comprimé.

Chaque voiture et wagon possède, comme je le disais, son propre jeu de valves ainsi qu’un réservoir isolé rempli d’air comprimé. Comme mesure de précaution le réservoir fournit constamment la pression nécessaire pour freiner un train. Lorsqu’on l’arrête on utilise incidemment la pression qui se trouve dans chacun des réservoirs.

Comme les freins sont techniquement toujours activés, le mécanicien de locomotive doit en principe déconnecter ces réservoirs. À partir de ce moment il pompe de l’air comprimé dans une ligne séparée, la ligne de frein, qui active une valve laquelle sépare les réservoirs des freins. Aussitôt que la ligne de frein cesse d’être pressurisée la valve se remet automatiquement à sa position initiale et reconnecte les réservoirs, enclenchant ainsi les freins.

Ça devient problématique si tous les réservoirs perdent leur pression. Les fuites sont inévitables de sorte que les réservoirs en échappent toujours graduellement. La locomotive est en quelque sorte cette grosse machine à air qui fournit constamment de la pression dans la ligne alors les fuites ne posent pas de réels problèmes, mais encore faut-il que cette locomotive fonctionne. Or, comme on l’a vu, la locomotive dans la tragédie de Lac-Mégantic fut arrêtée à la suite d’un incendie. Les fuites normales ont donc laissé s’échapper une quantité suffisante d’air pour que les freins lâchent et comme la locomotive ne fournissait plus d’air la pression dans la ligne ne fut pas maintenue. Comme je l’ai dit dans ma précédente chronique, l’enquête du BST nous dira ce qui s’est produit réellement.

Ceci étant dit, un lecteur m’a demandé dans la section des commentaires, si ce qui venait de se passer était la pire tragédie ferroviaire au Québec. Voyons voir de plus près.

28 juin 1864. Pointe Lévis. C’est une chaude journée d’été et sur le quai de la gare du Grand Tronc se trouvent environ 450 personnes qui attendent le train en direction de Montréal. Dans la grande majorité ce sont des immigrants fraîchement débarqués du Nektar, un navire ayant quitté Hambourg le 18 mai. On compte des Allemands et des Polonais mais aussi des Suédois et des Norvégiens. Parmi tous ceux-ci on retrouve des hommes, des femmes et des enfants qui rêvent tous d’une vie meilleure. Puis, arrive la locomotive, tirant derrière elle onze voitures qui n’ont rien des voitures de type Pullman qui apparaîtront quelques années plus tard.

Pendant que le mécanicien de locomotive William Burney s’affaire dans la cabine avec le chauffeur, le serre-frein Flynn s’occupe à ses tâches et le chef de train Finn fait monter à bord les voyageurs. On se rend bien compte qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde et plus de 80 personnes doivent donc rester sur le quai. Ils prendront un autre train.

Le signal est finalement donné et le train se met en marche. Le voyage se déroule bien malgré l’inconfort des voitures et chacun à hâte de pouvoir se dégourdir un peu. Dehors se déroule le paysage des forêts et des terres agricoles, éclairés par un soleil qui se couche. La nuit tombe et le train continue son chemin.

Près de Saint-Hilaire la voie ferrée traverse la rivière Richelieu sur un pont tournant qui n’est pas sans rappeler ceux qui se trouvent sur le canal Lachine. Il tourne dans un sens pour laisser passer les bateaux et dans l’autre pour les trains. Toutefois, le signal ferroviaire est clair : avant de traverser le pont tout train qui arrive se doit d’arrêter complètement. Près du pont se trouve une guérite où veille le gardien. Celui-ci a allumé la lanterne rouge.

Le train roule à une bonne vitesse et le mécanicien de locomotive Burney ignore complètement le signal. Sur le Richelieu le pont a été tourné pour permettre au vapeur Whitehall, qui tire cinq barges d’avoine et de bois de sciage, de passer.

Dans la nuit noire il se trouve tout à coup un fracas d’enfer. La locomotive plonge droit dans le Richelieu, emportant avec elle le tender et toutes les voitures, lesquelles s’empilent soixante pieds plus bas dans un amoncellement atroce de ferraille, de bois, de voyageurs et de cris d’horreur. La dernière barge se trouve sous le pont et empêche un certain nombre de wagons d’être submergés. Tout ça dans une obscurité presque parfaite. 



Il n’y a pas de téléphones à l’époque alors la nouvelle de l’accident prend un certain temps à parvenir aux autorités. Il faut compter aussi le temps de déplacement à cheval où il faut éclairer le chemin avec des lanternes. Mais les secours arrivent et commence alors la pénible tâche de sortir les gens de se pétrin épouvantable. Dès la matinée on avait déjà retiré quarante-cinq personnes dont dix-huit adultes. La mort avait été visiblement instantanée pour certains. On trouva une petit enfant, miraculeusement vivant qui se trouvait dans les bras de sa mère qui elle, n’avait pas eu cette chance.

Beaucoup de blessés sont logés dans des maisons avoisinantes. Les médecins sur place ne chôment pas car les blessures sont multiples. Si certains s’en sont bien tirés il s’en trouve d’autres plus graves dont cette dame, native de Bohême, que l’on doit amputer d’une jambe avec les moyens du bord. On rapporte que la dame a enduré sans gémir. D’autres médecins arrivent dont les docteurs Brousseau, Allard, Préfontaine, Fregean, Benoît et Chagon. Leur aide, on le devine, est grandement appréciée.

Le Grand Tronc a dépêché un train qui amène à basse vitesse les blessés à Montréal. Ceux-ci sont attendus à la gare Bonaventure par des militaires avec des brancards et qui ont reçu l’ordre de transporter les blessés à l’Hôpital Général ainsi qu’à l’Hôtel-Dieu. Dans les deux établissements les préparatifs pour recevoir ces gens étaient en branle depuis la matinée. Les voyageurs qui n’ont pas été blessés sont reconduits quant à eux dans des hangars où l’on s’assure qu’ils ne manquent de rien.

Sur les lieux de l’accident il y a ce spectacle déchirant de ces enfants qui sont devenus soudainement orphelins. Ils sont bien entendu pris en charge mais ayant perdu leurs parents et ne parlant évidemment pas le français ou l’anglais, on peut imaginer leur désarroi.

L’enquête va démontrer que le mécanicien de la locomotive, lequel a survécu, est responsable en tous points de l’accident. William Burney sera condamné à dix ans de pénitencier. Le total de victimes qui s’éleva à 99 monta à 100 lorsqu’un passager d’un autre train qui passait sur pont sortit la tête pour mieux voir. Il fut décapité sur le champ.

Le Grand tronc a été acquis par le CN en 1923 et depuis ce temps le pont ferroviaire qui enjambe la rivière Richelieu a été reconstruit. Il ne tourne plus, évidemment et bien malin serait celui qui pourrait dire qu’un jour il s’est passé à cet endroit la plus grande tragédie ferroviaire au pays. 


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