Enfin
le samedi matin. Je l’ai attendu longtemps çui-là. Depuis le
dimanche précédent en fait. Le store de ma chambre, bien descendu
jusqu’au bas, garde la pièce dans une semi-obscurité apaisante De
par la lueur qui émane de chaque côté par contre je devine bien
qu’il ne fait pas soleil. Peut-être, avec un morceau de chance,
est-ce qu’il a neigé cette nuit? Seul le filtreur de mon petit
aquarium empêche la tranquillité absolue. Son faible ronron,
accompagné du bruit de petite bulles qui éclatent à la surface de
l’eau a tout de même un petit quelque chose de réconfortant.
Parfois le soir j’aime bien laisser la petite lampe allumée et
m’endormir en regardant mes poissons.
Bien
au chaud sous les couvertures, je n’ai pas envie de me lever de
suite. J’étends un bras pour prendre un Pif Gadget, celui de la
semaine passée. Le numéro de cette semaine arrive ce matin et j’ai déjà bien hâte d’aller me le
chercher. Je me demande bien d’ailleurs quel sera le gadget. Après
avoir résolu de nouveau l’enquête de Ludo et relu l’aventure de
Docteur Justice, je décide de me lever. J’allume la lumière de
l’aquarium et j'en nourris ses locataires qui semblent avoir bien faim,
tout comme moi.
En
arrivant dans la cuisine je tire le rideau de la porte arrière et
constate que, malheureusement, il n’a pas neigé. S’il se trouve
un peu de neige, c’est très épart et il n’y en a certainement
pas assez pour faire un bonhomme. Encore moins pour aller glisser à
la pente. D’ailleurs la veille il a plu pas mal. Comme je l’avais
deviné, le ciel est gris. D’ordinaire j’égaierais tout ça avec
un bol de Count Chocula et un généreux sandwich au beurre
d’arachides que j’emporterais dans ma chambre, avec infinies
précautions bien entendu, pour déguster tout ça en regardant la
télé. C’est que maintenant je dispose d’un petit téléviseur
en noir et blanc, celui qui se trouvait dans la salle à manger
auparavant et qui a maintenant été remplacé. Mais pas de déjeuner
pour l’instant. Comme c’est samedi nous allons bientôt quitter
pour aller aux Galeries d’Anjou pour aller déjeuner, après quoi
nous allons faire l’épicerie chez Dominion.
Avant
que l’on parte toutefois il y a quelque chose d’important que je
dois faire absolument; aller me procurer le nouveau Pif. Je m’habille
et compte ensuite les sous que j’ai en poche. Il m’en faut 75 car
c’est ce qu’il coûte maintenant. Avant c’était 50.
Heureusement j’ai fait quelques commissions, dont quelques-unes
pour la vieille dame qui demeure en face et après recomptage j’en
ai suffisamment. J’enfile mon manteau d’automne, peut-être pour
une des dernières fois de la saison. Juste avant que je n’ouvre la
porte de l’escalier qui mène en bas ma mère m’interpelle. Oui
maman, je m’en vais juste au coin aller chercher mon Pif et je reviens tout de suite. Je descends
l’escalier et en ouvrant la porte voilà que le catalogue
Distribution aux Consommateurs, bien enveloppé dans sa pellicule de
plastique, me tombe sur les pieds. Voilà qui vient de faire ma
journée, c’est certain. Je le prends et le place sur une des
marches de l’escalier. Je le reprendrai tantôt. Le lire tout de
suite en revenant? Ah non. Je l’ai attendu toute l’année ce
fichu catalogue et je compte bien le consulter bien tranquillement ce
soir, étendu bien confortablement sur mon lit. En
marchant vers l’épicerie je redoute cependant que le Pif ne soit
pas encore là. C’est déjà arrivé dans le passé et je devais
alors revenir plus tard. En ouvrant la porte mes yeux vont
directement au présentoir. Pif est là. Fiou! Bon, qu’est-ce que
c’est cette fois? Voyons voir… « Un gadget pour préparer
la fête avec Supere Carlos.» Hum. Connais pas ce type. Il a l'air drôle.
En
revenant à la maison voilà ma mère qui m’attend. Je laisse le
catalogue Distribution aux Consommateurs ainsi que mon Pif sur mon lit
et on part avec ma grand-mère. Rendu sur place on opte pour aller
déjeuner au restaurant chez Simpson’s. Il me plait bien, surtout
avec ses grandes fenêtres. Je choisis une omelette ainsi qu’un
«ordre de toasts». C’est comme ça qu’on dit ça et j’sais
pas pourquoi. Je m’assure que l’on ait suffisamment de «cups»
de beurre d’arachides parce que moi, je tartine épais.
Le
déjeuner terminé on s’engouffre dans les entrailles du centre
commercial. J’aime bien les Galeries d’Anjou. J’apprécie
l’élégance des allées, les nombreuses plantes qui les jalonnent
ainsi que les belles fontaines. Les devantures de boutiques aussi ne
manquent pas d’épater. Il s’en trouve une d’ailleurs avec une
plate-forme avec des mannequins à l’intérieur qui tourne sur
elle-même tout en montant et descendant. Les employés ont déjà
installé les décorations de Noël. C’est tout de même le mois
prochain.
En
approchant le Dominion, bien campé juste devant le Steinberg, on
passe l’arcade de jeux ainsi que l’animalerie. Tantôt faudra que
j’y revienne. Tout comme au Toy World d’ailleurs. La raison pour
laquelle je choisis d’accompagner ma mère c’est parce que ça me
donne l’occaze non seulement de conduire le panier mais aussi de
pouvoir glisser subrepticement quelques gâteries dans le panier
alors que ma mère regarde ailleurs. À la caisse, pendant que je
sifflote innocemment tout en regardant dans les airs, lesdites
gâteries sont passées et bien souvent ma mère ne s’en rend
compte qu’une fois à la maison. Je suis passé maître dans l’art.
En payant on spécifie que ce sera pour cueillette à l’auto alors
les sacs sont tout de suite mis dans des bacs et expédiés dans une
salle froide avec une étiquette. Toute la commande va y rester
jusqu’à ce que l’on aille la prendre plus tard.
Après
l’épicerie c’est généralement le moment où ma mère et ma
grand-mère en profitent pour aller magasiner des trucs de femmes.
Rien d’intéressant pour moi là-dedans. Alors
voilà, pendant qu'elles vont batifoler dans
les robes et autres brassières (je crois), moi je file d’abord à
l’animalerie, pour admirer les chatons surtout. J’en voudrais
bien un mais on me dit toujours allergique. Moi je n’en suis pas
certain. Puis, je me glisse à côté à l’arcade de jeu dont
l’entrée est bien gardée par Zoltan. À l’intérieur les
machines clignotent et pétaradent. Je ne joue pas cependant. Oh, pas
parce que cela ne me tente pas, bien au contraire, mais j’ai
dépensé mes sous pour mon Pif. S’ensuit une visite chez Toy
World. Ce n’est pas très grand, et ça ne se compare certainement
pas avec le rayon des jouets de chez Woolco ou Miracle Mart, mais
c’est justement ce p’tit côté intime qui me plaît bien. Et
parfois on peut y trouver des choses que
l’on ne voit pas ailleurs. Comme mon Aigle de la série Cosmos 1999
d’ailleurs. Avant
même que je ne m’en rende compte il est temps d’aller rejoindre
ma mère et ma grand-mère. On doit s’attendre devant le Simpson’s
et c’est là que je les trouve. En quittant on s’arrête au
service de commande à l’auto du Dominion où toute l’épicerie
que l’on a faite plus tôt nous attend. C’est vachement pratique
ça. Chapeau à celui qui a pensé à cet ingénieux petit système. À
la maison, après avoir monté tous les sacs d’épicerie, faut tout déballer. Pas exactement l'activité favorite des gens lorsqu'ils reviennent du supermarché. Voici un exemple de ce que l'on retrouvait dans l'un de ces sacs.
Voilà. On y trouve des pailles pour boire, parce que j'aime bien. Du Bon Ami, pour nettoyer (ça, ce n'est pas mon boulot, ha ha), de l'aspirine pour enfant, pour ces moments où je fais un peu de fièvre. Y'a aussi du détergent Domino, la marque maison de Dominion. Des Q-tips, une lampe de poche (pour éclairer l'intérieur de mes forts de neige le soir), le TV Hebdo, que je consulte religieusement afin d'y trouver des mots-clés comme
«science-fiction» ou encore «Godzilla» et enfin une voiture Matchbox que j'ai glissée sans que ma mère ne voit.
Place
aux choses sérieuses, soit la lecture de mon Pif. Je le sors de son
cellophane. Après l’aventure de Pif j’en arrive aux
lectures «sérieuses». Cette semaine j’ai droit à Loup Noir et
Davy Crockett. Puis Corinne et Jeannot, série dont je me suis lassé
il y a un bout parce que c’est toujours Jeannot qui en prend dans
la tronche pendant que l’autre chipie s’esclaffe. Ah tiens, Érik
le Rouge, une série que j’aime bien. La section des jeux
maintenant. Voyons l’énigme de Ludo si je peux la résoudre. Hum.
Pas facile. Je termine avec une aventure d’Arthur le fantôme et
Horace, cheval de l’ouest. À la fin, comme toujours, un gag de
Mordillo. Un coup d’œil à on cadran m’indique que l’heure de
Bagatelle approche mais je dispose d’encore au moins trois quart
d’heure. Allez hop, un peu de Lego. La tentation de feuilleter le
catalogue Distribution aux Consommateurs rôde mais je résiste.
Arrive
enfin Bagatelle et toute sa fricassée de bouts de films dépareillés,
ce qui fait d’ailleurs son charme unique; de Bugs Bunny à un
obscur court-métrage image par image venant d’un pays d’Europe. Puis, vient Déclic. Après le souper, alors qu’il fait presque noir dehors, je
m’installe dans ma chambre et me prépare pour une émission que
j’ai attendue toute la semaine. J’ai encore des frissons à
penser au cauchemar de l’été dernier alors que les jeux
olympiques au stade avaient carrément monopolisé les ondes et par conséquent, privé de mon émission fétiche. On dira
que cela n’avait duré une semaine mais pour moi c’était une
semaine de trop. Enfin.
Là,
devant mon petit téléviseur, j’ajuste l’antenne pour obtenir la
meilleure réception. Puis, j’insère dans mon petit magnétophone
une cassette de 60 minutes vierge, ou une déjà enregistrée et que
je suis prêt à sacrifier. Je glisse le magnétophone près du
haut-parleur de la télé. J’appuie sur pause ensuite sur «play»
et «record» simultanément. C’est que j’enregistre
religieusement l’émission que je réécoute par la suite en
construisant des Aigles et autres vaisseaux avec mes Lego. Dans la
mesure du possible je tente de réduire les bruits ambiants mais le
jappement du chien, la sécheuse qui barouette le linge ou le
téléphone qui sonne sont parfois inévitables.
Une
fois les vaisseaux terminés et les Lego rangés j’éteins le
plafonnier pour ne garder que ma lampe de chevet. Là, en pyjama et
étendu à plat ventre sur mon lit, j’entreprends la lecture
méthodique du catalogue Distribution aux Consommateurs. Il est très
méthodique ce catalogue car les catégories d’articles y sont
toujours présentées dans le même ordre en se terminant par les
jouets, gardant ainsi le meilleur pour la fin.
Après
avoir passé la section des p’tits bébés arrive celle un peu plus
sérieuse. J’y admire de magnifiques ensembles Lego et aussi
Meccano. Tiens, le fameux Vertibird, sorte d’hélicoptère que l’on
contrôle avec des manettes. Ça l’air amusant. Cette piste de
course Matchbox aussi. Les Tonka ça ne manque pas. Incassables
ceux-là mais j’avoue avoir quelque peu passé l’âge de jouer
dans la terre avec des camions. Voilà les jeux de société et
autres. J’en connais certains mais d’autres me sont parfaitement
inconnus. Ah? Un jeu de Jaws, le fameux requin dans le film. Je note.
Hum. Ce camion pour figurines Big Jim semble bien intéressant. Ça
vient avec plein d’accessoires. Je note. Je
continue ma lecture attentive mais bientôt les yeux commencent à me
fermer. Et puis je baille aux corneilles. Je donne la nourriture aux
poissons et je ferme la lumière. Demain je pourrai déjeuner aux
Count Chocula et un gros sandwich au beurre d’arachides. Avec un
peu de chance je pourrai attraper Yogi à la télé ainsi que
Temporel plus tard. Dans une semaine, peut-être deux, la neige
arrivera et avec elle les bonhommes de neige, les forts et les
glissades en même temps que les lumières festives que les gens vont installer dehors. Je ne manquerai pas de penser à ce que je vais bien trouver
sous l’arbre. On verra, on verra.
Ça viendra, ça viendra.
Le saviez-vous? Les premiers catalogues ont fait leur apparition vers 1498 lorsque l'éditeur vénitien Aldus Manutius a distribué un catalogue contenant la liste des livres qu'il imprimait. Au Canada le premier catalogue commercial a été publié en 1884, c'était celui de la compagnie Timothy Eaton & Co.