jeudi 16 mai 2024

D'hier à aujourd'hui: au coin de MacDonald et Décarie

 

En haut, nous sommes durant l'été de 1944, au coin nord-est de l'intersection des rues Décarie et MacDonald. Il est fort probable qu'au moment où la photo ait été prise que le débarquement de Normandie venait tout juste de se produire. La Seconde guerre, faut-il se le rappeler, n'est pas terminée. Peut-être que l'homme à gauche se renseigne de par son journal des dernières nouvelles sur le front, tant en Europe que dans le Pacifique. Derrière tous ces gens qui attendent l'arrivée de l'autobus il se trouve le restaurant Graham's. 

Comme tous les restaurants et petits marchés, celui-ci affiche des publicités de différents produits qui y sont vendus. Entre autres, les marques de cigarettes aujourd'hui disparues Sweet Caporal et British Consols. Un peu plus loin on aperçoit Bovril, connue pour ses fameux bouillons et dont l'édifice se trouvait au coin nord-est de l'intersection de l'avenue du Parc et de Van-Horne. On y voit aussi les affiches de Coca-Cola ainsi que de Kik Cola, une boisson gazeuse fabriquée à Montréal et dont Henri Richard vantera les mérites quelques années plus tard. 


Le bâtiment est parfaitement rustique. D'abord on voit les vitrines du restaurant, surmontées de vitraux quadrillés, ce qui apportent un style qui plaît à l’œil. Ensuite, on y voit les fenêtres, chacune étant munie de persiennes en bois. Aussi, un appareillage de brique simple mais élégant qui brise un tant soit peu la monotonie du mur. 

Aujourd'hui, même si la structure interne du bâtiment semble avoir été préservée, on note de très nombreux changements, dont la brique qui a entièrement été refaite. Les fenêtres originales et les persiennes de bois sont disparus mais on a choisi de belles fenêtres au style ancien pour les remplacer. Un très bon travail aussi que d'avoir opté pour un appareillage de brique qui semble rendre hommage à l'original. Quant au restaurant Graham, il a disparu depuis un bout mais a tout de même conservé une vocation commerciale. L'espace à droite, que devait également occuper le restaurant, a quant à lui été converti en un second espace commercial. 


 

Le saviez-vous? Introduit en 1926, le Kik Cola était fabriqué à Montréal, au 1387 Villeray. La marque est disparue au début des années 80 mais compte encore aujourd'hui un très bon nombre d'amateurs forts nostalgiques de ce cola bien de chez nous!

lundi 6 mai 2024

Le magnétoscope: la machine qui a défini les années 80

 

 Le magnétoscope! Ah, quelle machine, et quelle histoire! Il ne s'agit toutefois pas d'une invention récente. Le premier modèle de magnétoscope, le Ampex Mark IV a fait son apparition en... 1956. Toutefois, l'appareil est gros comme un bureau, pèse très lourd et coûte, en dollars de l'époque, quelques 50,000$, ce qui représente aujourd'hui à peu près un demi million. Ce sont toutefois des diffuseurs qui vont en faire l'acquisition et non pas des consommateurs. Pour l'accessibilité, le prix ainsi que la commodité on repassera. 

Chez nos voisins du sud, en 1972, est introduit auprès du public le Cartrivision, un appareil qui ressemble pas mal à un téléviseur mais qui coûte presque trois fois le prix. Les films sont enregistrés sur des cassettes carrées d'environ 8" x 8" et peuvent être louées chez des détaillants participants. Toutefois, le mécanisme de la cassette a été conçu pour que l'appareil ne puisse faire reculer le ruban, empêchant ainsi de revoir le film loué une seconde fois. La cassette ne pouvait qu'être rembobinée chez les détaillants. Est-il nécessaire de mentionner que le concept a fait patate? 

Sony change la donne en mettant sur le marché son nouveau format de magnétoscope destinée au grand public: le Betamax. Si vous en vouliez un à ce moment-là, fallait être paré à débourser entre 2000$ et 2,500$. En dollars d'aujourd'hui, avec l'ajustement de l'inflation, cela représenterait en 2024 une somme qui orbiterait autour de 14,500$. 

Publicité de Betamax, vers 1975

Mais Sony n'est pas la seule compagnie à œuvrer sur un magnétoscope puisque JVC (Japan Victor Company), une entreprise japonaise, se prépare à lancer son propre format de magnétoscope: le VHS (Video Home System). L'arrivée du VHS sur le marché en 1976, lequel va directement entrer en compétition avec le Beta de Sony, va démarrer ce que l'on va appeler la guerre des formats. 
 
Ce qui est intéressant dans tout ça c'est que Sony et JVC ont travaillé main dans la main au début des années 70 avec Matsushita (Panasonic) afin de développer un magnétoscope et ils vont tous les trois accoucher du format U-Matic. Fortement dispendieux et lourd, le public n'accroche pas et, encore une fois, se sont surtout des diffuseurs qui vont en faire l'acquisition. Ici, tant Radio-Canada que Télé-Métrople et Radio-Québec ainsi que CBC et CFCF ont utilisé ce format. 

En ce qui concerne le combat entre Sony et JVC, deux mentalités s'opposent: chez Sony on privilégie une cassette vidéo de petit format alors que du côté de JVC on mise sur une cassette plus grande qui permet une capacité d'enregistrement d'un minimum de deux heures, contre une seule pour Sony. Aussi, Sony se garde le droit exclusif de fabrication et mise en marché du format Beta. Chez JVC l'approche est différente et la compagnie conclut des ententes avec d'autres fabricants comme Panasonic, Hitachi, Magnavox, Toshiba et d'autres, d'assembler et de vendre des magnétoscopes VHS. 
 
Mais voilà. Tout n'est pas que ciel bleu et petits oiseaux. Les studios Universal ainsi que Disney tirent Sony vers le tribunal. Pour eux, l'enregistrement de contenu contrevenait à la loi en permettant l'enregistrement de contenus protégés par les droits d'auteur. La cause est entendu en 1979 et la décision du juge a penché en faveur de Sony. Disney lâche l'os mais Universal tient mordicus à aller plus loin. En 1981 la décision est renversée mais la cause se fraie un chemin jusqu'à la cour suprême en 1983. L'idée de pouvoir enregistrer Welcome Back Kotter ou Three's Company pesait alors dans la balance. Au final, un homme a fait pencher la balance de la justice en faveur des fabricants de VHS: Fred Rogers. Son argument était que le magnétoscope permettait aux familles de contrôler ce qui était enregistré et regardé à la télévision.
 
Il y a eu un combat similaire ici même au Québec sauf qu'au lieu de s'attaquer aux fabricants de magnétoscopes les réseaux de télévision et les producteurs de contenu ont plutôt fait viser... les cassettes vidéo vierges et par vase communiquant, les consommateurs.Leurs argument est le même que Universal et Disney; lesquels considèrent qu'enregistrer des émissions de télévision va à l'encontre de la loi sur les droits d'auteurs. La chose est prise au sérieux par le gouvernement du Québec qui impose alors une taxe spéciale sur chaque cassette vidéo vendue. Les sommes recueillies devant alors servir à dédommager les pertes encourues par les créateurs et diffuseurs, même si l'achat d'une cassette devait servir à enregistrer le 40è anniversaire de mariage de tante Gertrude et mononcle Zéphirin. On le devine, cette taxe est passée de travers dans la gorge des gens. Qu'importe, cette taxe spéciale a fait bondir le prix des cassettes vidéo vierges d'environ 4$, ramenant ainsi le prix d'une cassette à quelques chose comme 20$ ou 22$. Faut aussi dire que l'arrivée sur le marché de magnétoscopes doubles, permettant de copier une cassette vidéo, a peut-être joué dans la balance. Ironiquement, les cassettes audio vierges n'ont jamais été incommodées par ce genre de taxes. Pourtant, s'il y a bien quelque chose que tout le monde et son chien faisaient, c'était de copier des disques sur cassettes...

Les années 70 avancent et tranquillement, mais sûrement, les magnétoscopes commencent à faire leur entrée dans les foyers nord-américains. Le format VHS prend une certaine longueur d'avance en 1977 lorsque RCA lance un modèle de magnétoscope qui, à l'aide d'un sélecteur de vitesse, permet jusqu'à quatre heures d'enregistrement. La qualité de l'image en perd un peu, mais cela ne dérange pas vraiment les consommateur. 

Cette qualité d'image revenait souvent dans les discussions où les tenants du format Beta et ceux du VHS, s'argumentaient à ce sujet, un peu à l'instar des amateurs de Fort et de GM, entre autres. La vérité est qu'à travers des publicités bien ficelées, Sony était parvenu à convaincre nombre de gens que l'image du Beta était supérieure à celle du VHS. Pourtant, les deux formats diffusaient sur 240 lignes de résolution horizontale. La différence de qualité vue sur les téléviseurs était à peine notable. 

 
Le début des années 80 voit arriver une toute nouvelle industrie: le club vidéo. À ce moment, à Montréal, ce sont tous des clubs indépendants. Ils occupent de petits locaux où sont placées sur des tablettes les films disponibles. À ce moment le catalogue films est restreint mais le terreau est fertile pour la croissance. Les coûts d'abonnement sont d'environ 50$ par an, renouvelable au terme. Cela permettait aux propriétaires de clubs d'amortir le coût d'achat des cassettes qui tournait aux alentours de 125$ l'unité. Aussi, les films populaires n'étaient pas achetés en plusieurs exemplaires alors pour voir un film nouvellement sorti il fallait avoir un peu de patience, voire même réserver le film pour une date précise. Il n'y a pas fallu attendre longtemps pour que les clubs vidéo poussent un peu partout au Québec et des chaînes sont alors apparues, comme le Club Vidéo International et plus tard le Super Club Vidéotron. 
 
Pouvoir programmer le magnétoscope afin qu'il enregistre telle(s) émission(s) et jusqu'à quatorze jours d'avance était souvent une bénédiction, surtout si l'on partait en vacances pour un petit bout. Malheureusement, les aléas des programmes de télévision, parfois changés au détriment d'une émission spéciale, faisait qu'au retour à la maison, au lieu de se retrouver avec le téléroman favori, on se rendait compte que l'on avait enregistré une compétition de patinage artistique junior.

S'il y a bien une industrie qui su tirer son épingle du jeu à travers les clubs vidéos, c'est celle du divertissement pour adultes. Durant les années 70, décennie de la révolution sexuelle, cette industrie tirait profit d'abord de par les magazines, puis des films projetés dans des salles connues après une certaine heure où dans des cinémas spécialisés dans la chose. Si les amateurs du genre voulaient des films il n'existait aucun autre moyen pour eux de s'en procurer autrement que dans les revues pour adultes où fallait acheter des bobines. L'amateur devait avoir un projecteur et un écran. Peu commode. L'arrivée des clubs vidéo a changé la donne et les producteurs/distributeurs de films pour adultes ont fait des centaines de millions de dollars en rendant accessibles leurs catalogues en format Beta ou VHS, en location, directement au club vidéo. L'industrie pornographique a pris un envol assez impressionnant grâce au magnétoscope. Tous ceux qui ont fréquenté des clubs vidéo durant ces belles années se souviendront des fameuses portes western qui séparaient, souvent avec un bruit horrible, les films d'intérêt général de ceux pour un public averti.

Au même moment les magnétoscopes deviennent plus petits, plus performants et deviennent donc, par ricochet, plus abordables. On en retrouve partout dans les magasins tant dans les grandes surfaces que dans les chaînes spécialisées. Grâce à leur pouvoir d'achat et leur cartes de crédit maison, l'accessibilité du magnétoscope est facilitée. On voit même arriver des magnétoscopes portatifs, lesquels permettent, avec l'aide d'une caméra, d'enregistrer sur cassette vidéo, des évènements sportifs, familiaux et d'autres. Les caméras sont dispendieuses et doivent être connectées au magnétoscope.  
 

Ci-haut, un modèle portatif Hitachi. Pour enregistrer avec une caméra il fallait transporter en bandoulière le module de gauche, d'où la présence de la poignée. Sur le côté on aperçoit des connecteurs, dont un qui est rond, c'est là que l'on branchait la caméra. 

Les autres mécontents étaient les exploitants de salles de cinéma. La concurrence des magnétoscopes et des clubs vidéo allaient bientôt sonner le glas des salles de cinéma. À tout le moins c'est ce qu'ils prêchaient à qui voulait bien les entendre. Ces exploitants, comme les cinémas Famous Players ou Odéon, entre autres, y sont allés de publicités vantant les mérites de l'expérience des films, surtout à grands déploiements, vus dans les salles. Une expérience, disaient-ils, qui ne pouvait être répétée à la maison. Sommes toutes, ces exploitants ont rué dans les brancards pour absolument rien puisque la fréquentation dans les salles n'a jamais été affectée, bien au contraire, et c'est bel et bien durant les années 80 que l'on a vu apparaître de gros complexes de cinémas à plusieurs écrans. 

Pour voir à la télévision des films qui avaient passé au cinéma, fallait d'abord attendre un bout. Puis, lorsque le film était finalement diffusé, il était formaté pour être compatible visuellement avec les écrans de télévisions, généralement carrés. Soit le formatage en question sabotait le film au niveau visuel, ou bien on le diffusait en pleine largeur mais au prix de bandes noires en bas et en haut, ce qu'on appelle en anglais "letterbox". Les studios étaient peu enclins à vendre des films pré-enregistrés mais, ironiquement, c'est Disney qui a réalisé que si ces films étaient vendus à un prix raisonnable, les gens les achèteraient au lieu de simplement les louer. C'est une vision qui a porté fruit. Au milieu des années 80 la plupart des studios de cinéma vendaient leurs films pré-enregistrés sur cassette. Cela a représenté une véritable mine d'or pour ces studios.  

La guerre des formats, amorcée au milieu des années 70, tire à sa fin vers le milieu des années 80. Sony a attendu très longtemps, trop peut-être, avant d'accorder à d'autres compagnies le droit de fabriquer des magnétoscopes Beta. Toutefois, l'avancée du VHS est impossible à rattraper. Dans les clubs vidéos la section Beta se réduisait progressivement à peau de chagrin jusqu'à disparaître complètement. Je me souviens d'ailleurs d'une immense vente d'entrepôt quelque part le long de la voie de service du Métropolitain où l'on liquidait des milliers de cassettes vierges VHS et Beta. Les bacs de VHS étaient presque vides à mon arrivée mais il y avait du Beta pour les fous et les fins (et même les pas fins). Pour tirer son épingle du jeu face à dominance du VHS, Sony s'est alors mis à fabriquer des magnétoscopes de ce format. 

Un magnétoscope classique de la fin des années 80; petit, léger et peu coûteux.

Toute bonne chose a une fin. Si le magnétoscope a connu ses heures de gloire durant les années 80, les années 90 n'ont pas été aussi favorables. La faveur des gens envers ce format a commencé à décliner et ce, même en dépit d'améliorations comme le VHS Hi-Fi Stéréo et même du D-Theatre. Est arrivé aussi un nouveau format: le DVD, sorte de successeur du Laserdisc, la variante vidéo du disque compact et qui n'a malheureusement pas levé de terre. De la même taille qu'un disque compact, le DVD offrait une meilleure qualité tout azimuts. Les compagnies ont alors progressivement cessé de produire des magnétoscopes jusqu'à ne plus en produire du tout. Plusieurs personnes ont cependant continué d'utiliser leurs magnétoscopes, dont beaucoup de personnes âgées qui n'étaient pas attirées par les nouveaux formats. Les clubs vidéo, qui avaient connu leurs heures de gloire durant ces mêmes années 80, ont disparu aussi peu à peu et aujourd'hui ils ne font plus partie du paysage.

Le dernière compagnie à avoir fabriqué des magnétoscopes a été Funai Electric, au Japon et la production a cessé en 2016 où la compagnie a tout de même vendu 750,000 unités. Plusieurs personnes se sont désolées de voir ce vénérable format disparaître. Cependant,  bien qu'ils ne soient plus fabriqués, on peut encore en trouver aisément dans les friperies et autres marchés au puces et ce, pour environ une dizaine de dollars et on peut trouver généralement un chois variable de cassettes pré-enregistrées. 

N'oubliez pas de rembobiner! 


 

 

Le saviez-vous? Le film VHS qui s'est le plus vendu a été Le roi lion en 1995. Il s'est vendu pas moins de 32 millions de copies, faisant ainsi entrer des profits à plein camions dans les coffres de Disney.