Dans l’article
précédent sur la catastrophe de Lac-Mégantic j’ai fortement
vulgarisé le fonctionnement des freins sur un train. On s’est
étonné du fonctionnement de ce mécanisme et j’ai cru qu’il
serait utile d’approfondir un tout petit peu sur le sujet sans
toutefois trop m’enfoncer dans la technique.
Vous êtes dans votre
voiture et vous devez freiner, pour une raison ou une autre. Que se
passe t-il? Vous appuyez avec votre pied sur la pédale et la
pression appliquée sur celle-ci se transfert via le liquide de
freins sur un piston, lequel serre les plaquettes de frein sur le
disque. Sur un train on utilise également la pression pour freiner
mais au lieu d’utiliser un liquide de frein on utilise de l’air
comprimé.
Chaque voiture et wagon
possède, comme je le disais, son propre jeu de valves ainsi qu’un
réservoir isolé rempli d’air comprimé. Comme mesure de
précaution le réservoir fournit constamment la pression nécessaire
pour freiner un train. Lorsqu’on l’arrête on utilise incidemment
la pression qui se trouve dans chacun des réservoirs.
Comme les freins sont
techniquement toujours activés, le mécanicien de locomotive doit en
principe déconnecter ces réservoirs. À partir de ce moment il
pompe de l’air comprimé dans une ligne séparée, la ligne de
frein, qui active une valve laquelle sépare les réservoirs des
freins. Aussitôt que la ligne de frein cesse d’être pressurisée
la valve se remet automatiquement à sa position initiale et
reconnecte les réservoirs, enclenchant ainsi les freins.
Ça devient problématique
si tous les réservoirs perdent leur pression. Les fuites sont
inévitables de sorte que les réservoirs en échappent toujours
graduellement. La locomotive est en quelque sorte cette grosse
machine à air qui fournit constamment de la pression dans la ligne
alors les fuites ne posent pas de réels problèmes, mais encore
faut-il que cette locomotive fonctionne. Or, comme on l’a vu, la
locomotive dans la tragédie de Lac-Mégantic fut arrêtée à la
suite d’un incendie. Les fuites normales ont donc laissé
s’échapper une quantité suffisante d’air pour que les freins
lâchent et comme la locomotive ne fournissait plus d’air la
pression dans la ligne ne fut pas maintenue. Comme je l’ai dit dans
ma précédente chronique, l’enquête du BST nous dira ce qui s’est
produit réellement.
Ceci étant dit, un
lecteur m’a demandé dans la section des commentaires, si ce qui
venait de se passer était la pire tragédie ferroviaire au Québec.
Voyons voir de plus près.
28 juin 1864. Pointe
Lévis. C’est une chaude journée d’été et sur le quai de la
gare du Grand Tronc se trouvent environ 450 personnes qui attendent
le train en direction de Montréal. Dans la grande majorité ce sont
des immigrants fraîchement débarqués du Nektar, un navire
ayant quitté Hambourg le 18 mai. On compte des Allemands et des
Polonais mais aussi des Suédois et des Norvégiens. Parmi tous
ceux-ci on retrouve des hommes, des femmes et des enfants qui rêvent
tous d’une vie meilleure. Puis, arrive la locomotive, tirant
derrière elle onze voitures qui n’ont rien des voitures de type
Pullman qui apparaîtront quelques années plus tard.
Pendant que le mécanicien
de locomotive William Burney s’affaire dans la cabine avec le
chauffeur, le serre-frein Flynn s’occupe à ses tâches et le chef
de train Finn fait monter à bord les voyageurs. On se rend bien
compte qu’il n’y a pas assez de place pour tout le monde et plus
de 80 personnes doivent donc rester sur le quai. Ils prendront un
autre train.
Le signal est finalement
donné et le train se met en marche. Le voyage se déroule bien
malgré l’inconfort des voitures et chacun à hâte de pouvoir se
dégourdir un peu. Dehors se déroule le paysage des forêts et des
terres agricoles, éclairés par un soleil qui se couche. La nuit
tombe et le train continue son chemin.
Près de Saint-Hilaire la
voie ferrée traverse la rivière Richelieu sur un pont tournant qui
n’est pas sans rappeler ceux qui se trouvent sur le canal Lachine.
Il tourne dans un sens pour laisser passer les bateaux et dans
l’autre pour les trains. Toutefois, le signal ferroviaire est
clair : avant de traverser le pont tout train qui arrive se doit
d’arrêter complètement. Près du pont se trouve une guérite où
veille le gardien. Celui-ci a allumé la lanterne rouge.
Le train roule à une
bonne vitesse et le mécanicien de locomotive Burney ignore
complètement le signal. Sur le Richelieu le pont a été tourné
pour permettre au vapeur Whitehall, qui tire cinq barges d’avoine
et de bois de sciage, de passer.
Dans la nuit noire il se
trouve tout à coup un fracas d’enfer. La locomotive plonge droit
dans le Richelieu, emportant avec elle le tender et toutes les
voitures, lesquelles s’empilent soixante pieds plus bas dans un
amoncellement atroce de ferraille, de bois, de voyageurs et de cris
d’horreur. La dernière barge se trouve sous le pont et empêche un
certain nombre de wagons d’être submergés. Tout ça dans une
obscurité presque parfaite.
Il n’y a pas de
téléphones à l’époque alors la nouvelle de l’accident prend
un certain temps à parvenir aux autorités. Il faut compter aussi le
temps de déplacement à cheval où il faut éclairer le chemin avec
des lanternes. Mais les secours arrivent et commence alors la pénible
tâche de sortir les gens de se pétrin épouvantable. Dès la
matinée on avait déjà retiré quarante-cinq personnes dont
dix-huit adultes. La mort avait été visiblement instantanée pour
certains. On trouva une petit enfant, miraculeusement vivant qui se
trouvait dans les bras de sa mère qui elle, n’avait pas eu cette
chance.
Beaucoup de blessés sont
logés dans des maisons avoisinantes. Les médecins sur place ne
chôment pas car les blessures sont multiples. Si certains s’en
sont bien tirés il s’en trouve d’autres plus graves dont cette
dame, native de Bohême, que l’on doit amputer d’une jambe avec
les moyens du bord. On rapporte que la dame a enduré sans gémir.
D’autres médecins arrivent dont les docteurs Brousseau, Allard,
Préfontaine, Fregean, Benoît et Chagon. Leur aide, on le devine,
est grandement appréciée.
Le Grand Tronc a dépêché
un train qui amène à basse vitesse les blessés à Montréal.
Ceux-ci sont attendus à la gare Bonaventure par des militaires avec
des brancards et qui ont reçu l’ordre de transporter les blessés
à l’Hôpital Général ainsi qu’à l’Hôtel-Dieu. Dans les
deux établissements les préparatifs pour recevoir ces gens étaient
en branle depuis la matinée. Les voyageurs qui n’ont pas été
blessés sont reconduits quant à eux dans des hangars où l’on
s’assure qu’ils ne manquent de rien.
Sur les lieux de
l’accident il y a ce spectacle déchirant de ces enfants qui sont
devenus soudainement orphelins. Ils sont bien entendu pris en charge
mais ayant perdu leurs parents et ne parlant évidemment pas le
français ou l’anglais, on peut imaginer leur désarroi.
L’enquête va démontrer
que le mécanicien de la locomotive, lequel a survécu, est
responsable en tous points de l’accident. William Burney sera
condamné à dix ans de pénitencier. Le total de victimes qui
s’éleva à 99 monta à 100 lorsqu’un passager d’un autre train
qui passait sur pont sortit la tête pour mieux voir. Il fut décapité
sur le champ.
Le Grand tronc a été acquis par le CN en 1923 et depuis ce temps le pont ferroviaire qui enjambe la rivière Richelieu a été reconstruit. Il ne tourne plus,
évidemment et bien malin serait celui qui pourrait dire qu’un jour
il s’est passé à cet endroit la plus grande tragédie ferroviaire au pays.
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