(Photo: Archives de la ville de Montréal)
Cette
année la Place Versailles fête ses 50 ans. Ce n'est certes pas le
plus vieux centre commercial de la région montréalaise, loin de là,
mais c'est tout de même le premier à avoir été conçu dès le
départ pour être entièrement à l'intérieur. Avant ça, un centre
d'achats, comme on les appelait, n'étaient qu'une filée de magasins
soudés les uns après les autres où l'on devait se déplacer à
l'extérieur pour visiter les boutiques. Il s’en trouve plusieurs qui
ont conservé cette formule, comme le centre d'achats Maisonneuve sur
la rue Sherbrooke, alors que d’autres, parce qu’ils avaient de
l’espace pour le faire (et le budget) ont été convertis pour
devenir intérieurs. Le centre d'achats Boulevard au coin de Pie-IX
et Jean-Talon en est un bon exemple; extérieur à son ouverture en
1953 on l’a par la suite modifié pour qu’il soit intérieur. Le
concept «tout intérieur» repose quant à lui très largement sur
celui du Southdale Center, qui vit le jour en 1956 à Edina dans la
banlieue de Minnesota.
Dans le temps on retrouvait à la Place Versailles tout plein de magasins qui ont aujourd'hui tous disparu. Il y avait La Baie, un Miracle Mart remplacé plus tard par M, une quincaillerie
Pascal avec sa grosse devanture entièrement faite d'outils peints en
noir, un Toy World, un Distribution au Consommateur, Steinberg et bien d'autres.Les
plus vieux vont aussi se souvenir du cinoche qui s’y trouvait et qui était dans un bâtiment séparé du
centre commercial. Un très beau cinéma dont le lobby était très
élégant avec de grandes vitres qui montaient jusqu'au plafond avec
de grands rideaux. Trois ou quatre salles je crois. On peut
d'ailleurs en apercevoir encore la partie arrière sur la rue du
Trianon tout juste au nord de Faradon.
L'arrière de l'ancien cinéma, tel qu'il apparaît aujourd'hui sur la rue Faradon.
Lorsque l’on a
agrandi le centre commercial on a tout simplement choisi d’éventrer
le bâtiment et d’y loger les nouvelles boutiques, ce qui est un
dommage parce que je l’aimais bien moi ce cinoche. Il avait de la
gueule. Pendant de nombreuses années aussi il y a eu une arcade Le
Jeu installée dans un long corridor menant à la rue du Trianon.
Lors de l’agrandissement on l’a déménagée dans un nouveau
local près de l’entrée plus au sud mais elle n’a pas fait long
feu. C’était d’ailleurs l’époque où les arcades fermaient
les unes après les autres en ville, victimes de la popularité des
consoles de jeu. On a aussi ouvert un deuxième cinoche dans la nouvelle section mais celui-ci a fermé quelques années plus tard.
Mais
le truc le plus innovateur fut, dès 1966, l’intégration de deux
œuvres d’art originales commandées à l’artiste mexicain
Augusto Escobedo. Il mit quatre mois à les réaliser et elles furent
dévoilées (sans voile) en juin de cette année-là en présence de
l’artiste, du consul du Mexique ainsi du directeur délégué aux
spectacles d’Expo 67, John Pratt.
La
première est une variation intéressante des Trois Grâces de
Raphaël et que l’on a installé au milieu d’une fontaine située
à l’entrée principale. Trois femmes nues dansent en rond en se
tenant par les mains. Et ,contrairement à ce que l’on pourrait
croire elles ne sont pas en bronze mais bien en résine de polyester
façonnée ainsi pour en donner l’apparence. Quoiqu’il en soit
cette sculpture se trouve toujours à son emplacement original de
1966.
Les Trois Grâces, telles qu'elles apparaissaient dans les années 60 et 70. (Photo: Collection personnelle)
La
seconde sculpture se trouvait à l’époque tout près, dans le
corridor allant vers l'ouest, tout juste en bas du petit l'escalier.
Il s'agissait en fait d'une installation assez élaborée qui
comprenait une muraille de pierre parsemée de plantes et où de
l'eau jaillissait de plusieurs endroits pour tomber dans un bassin où
s'amusaient quatre enfants nus.
Joie de vivre, telle qu'elle était installé jusqu'à son démantèlement et relocalisation. (Photo: Collection personnelle)
Et ces sculptures n'ont pas fait scandale? Mais non. On commençait à se réveiller au Québec. Mais on savait
toutefois que ces sculptures allaient [possiblement] faire jaser
alors un journaliste a interrogé les gens afin de savoir ce qu'ils
en pensaient, justement.
Une
dame d'un certain âge a dit «...c'est bien joli, j'aime bien ça».
Un autre a dit «...c'est moderne, c'est agréable à voir, ça fait
un joli coup d'œil en entrant dans le centre d'achats et c'est
flatteur pour les yeux». Une jeune maman a trouvé quant à elle que
«...c'est un excellent endroit pour placer d'aussi jolies œuvres
d'art. C'est une bonne idée d'installer ainsi des sculptures dans un
centre d'achats. Il n'y a rien de scandaleux là-dedans.»
Des enfants s'amusent à regarder Joie de vivre ainsi que sa muraille de végétation, ses jets d'eau et ses jeux de lumières.
Une
jeune maman anglophone a pour sa part trouvé que c’était un
excellent endroit pour placer d’aussi jolies œuvres d’art, que
c’était une bonne idée d’installer ainsi des sculptures dans un
centre d’achats et qu’il n’y avait rien de scandaleux
là-dedans. Quant à trois jeunes écolières elles trouvaient que
c’était joli et beau.
«Ça
ne vous choque pas?» A demandé le journaliste.
«Ben
pourquoi donc? Pas du tout. On aimerait ça en voir un peu partout.
La ville a l’air assez plate! Ça ne ferait pas de mal.» (Que
doivent-elles penser de la ville aujourd’hui?!)
Pour
une autre jeune femme celle-ci trouvait les dames un peu
disproportionnées mais qu’elle n’y trouvait rien de choquant ou
de scandaleux, au contraire. Un jeune couple de trouver que c’était
très original, que c’était bien de mettre ainsi des œuvres d’art
dans un centre commercial parce qu’ils n’avaient pas toujours le
temps d’aller dans les musées ou les galeries d’art pour en
voir.
Aujourd’hui
les Trois Grâces sont toujours là, à leur emplacement original
sauf qu’on a refait le bassin dans lequel elles se trouvaient. On ne peut pas en dire autant de la sculpture des quatre
enfants jouant dans l’eau. Quelque part durant les années 80 le
centre commercial s’est agrandi et quelqu’un, quelque part dans
la direction, a trouvé que la sculpture prenait trop de place et
qu’on pourrait y aménager des magasins à la place. Et c’est
exactement ce qu’on a fait.
Mais
plutôt que de simplement la déplacer intégralement ailleurs on a
carrément décidé de la démanteler au complet. Bing pouf crac!
Seuls les enfants ont été conservés et le reste a probablement
fini aux poubelles. Puis un jour ils se sont retrouvés ailleurs
comme ça dans une autre fontaine, placés un peu
n’importe comment, sans éclairage adéquat qui puisse les mettre
en valeur.
Joie de vivre, telle qu'on peut la voir dans son emplacement actuel, parfaitement vidée de tout son sens.
L’œuvre
d’Escobedo était visuellement riche et reposait sur l’ensemble
de tous les éléments qui la composaient. Lors du «déménagement»
les enfants se sont retrouvés dans un environnement vide,
parfaitement dénaturés et l’œuvre s’est vite trouvée vidée
de tout son sens. Depuis ce temps l’œuvre d’Escobedo n’en est
plus une. C’est un peu comme si un musée enlevait le cadre
original d’une œuvre majeure pour lui en mettre un acheté au
magasin d’un dollar pour ensuite l’accrocher près des toilettes.
Du
reste, mis à part les Trois Grâces, il ne se trouve que très peu
d’éléments originaux de la Place Versailles qui existent encore.
Les planchers des allées, les accès et les facades ont été
considérablement refaits au fil des ans. Par contre il y a
ces distributrices de sacs un peu partout dans le centre commercial
et qui sont parfaitement d’époque. Les sacs, aujourd’hui en
plastique, étaient à l’époque en papier épais mais le design
stylisé de la femme sur le sac est demeuré inchangé depuis les années 60.
Le
saviez-vous? La place Versailles soit son nom à l’ancien maire de
Montréal-Est, Joseph Versailles. On lui doit essentiellement le
développement urbain et industriel de tout ce secteur. Il est décédé
en 1931.
J'aimerais voir des photos de l'immense garage Fina qui était au coin sud ouest de la place Versaille
RépondreEffacerLes archives de la ville de Montréal sur Flickr pourraient contenir ce que vous cherchez.
EffacerPluche