Le lien qui unit l'Irlande et le Canada remontent à très loin, à 1536 plus précisément lorsque des pêcheurs Irlandais de Cork ont voyagé jusqu'à Terre-Neuve. Cependant ce n'est qu'après la guerre de 1812 que l'immigration irlandaise connaît un essor important. Entre 1825 et 1845 les Irlandais comptent pour 60% des gens entrant au pays.
Autour de 1840 l'Irlande connaît cependant de sérieux problèmes avec son agriculture, la pomme de terre surtout dont les récoltes sont dévastées presque entièrement par le Phytophtora infestans, mieux connu sous le nom de mildiou. Il s'agit d'une substance secrétée par les pucerons et qui peuvent ruiner des récoltes entières, surtout celles des pommes de terre et des tomates.
D'où provient cette infestation? Certaines sources à l'époque penchent pour le nord-est d'Amérique du Nord où le mildiou a ruiné les récoltes de pommes de terre en 1843 et 44. Des navires en provenance de villes américaines comme Philadelphie ou New York auraient vraisemblablement emporté avec eux des pommes de terre contaminées lors de voyages en Irlande. De là, le mildiou s'est propagé à une vitesse fulgurante. En 1846 c'est près du trois-quart des récoltes qui est perdu et à l'automne de cette année-là on recense les premiers décès reliés à la famine. Sir Charles Trevelyan, un Britannique, est chargé de l'aide gouvernementale aux victimes de la famine mais n'ouvre pas très grand le robinet et se contente de limiter toute aide financière parce qu'il considère que cette famine a été envoyée par Dieu pour punir les Irlandais et leur donner une leçon. Ce qu'il ne faut évidemment pas entendre!
Malgré la famine l'Irlande exporte beaucoup de nourriture, vers l'Angleterre surtout et sous escorte militaire par surcroît. C'est que de nombreuses terres appartiennent à des aristocrates britanniques et ceux-ci n'hésitent nullement à en expulser les paysans Irlandais qui y travaillent. En 1847 on ne sème que très peu et malgré une récolte moyenne les gens ont faim. On réalise alors qu'une famine à grande échelle est inévitable. Pour plusieurs Irlandais il n'y a qu'une seule solution: émigrer ailleurs. Entre mai et octobre ils sont près de 107,000 à quitter l'Irlande pour le Canada.
Les gens s'embarquent alors à bord de bateaux qui, pour la plupart, ne sont pas fait pour transporter des passagers. Entassée dans des cales conçues pour de la marchandise la promiscuité est reine. Tout le monde est entassé dans des conditions que répugneraient probablement du bétail mais on n'a pas le choix. Les conditions sanitaires sont horribles et la ventilation pratiquement inexistante, des conditions que les gens doivent endurer pendant la durée du voyage qui peut prendre jusqu'à huit semaines, tout dépendant des conditions. Les premiers signes de typhus ne tardent pas à poindre. Le voyage est loin d'être terminé lorsque l'on constate les premiers décès. Il est tout à fait clair qu'on ne peut garder les corps à bord, on les monte sur le pont où on les envoie dans la mer. Plus de 4429 seront ainsi rejetés mais la maladie a déjà contaminé plusieurs personnes encore à bord de ces cercueils flottants.
Lorsque les premiers navires accostent à Québec on constate que des passagers sont morts durant le voyage et les autorités de la ville, ne voulant pas prendre de chance, décident d'imposer la quarantaine. Heureusement il y a un endroit tout désigné pour celà: Grosse-Ile, située tout juste en face de Montmagny et qui accueille depuis 1832 les immigrants pouvant être porteurs de maladies contagieuses. À bord des bateaux ancrés près de l'île ils sont plus de 1190 à mourir alors que dans les baraques sur l'île ce chiffre monte à 1501.
D'autres navires continuent toutefois leur chemin vers Montréal sans que l'on ne s'inquiète puisque les passagers semblent être en bonne santé. Plusieurs sont malheureusement contaminés mais ne présentent encore aucun signe de la maladie. Quand ils arrivent au port de Montréal la maladie à progresser chez plusieurs et quand ils débarquent sur les quais ils sont très mal en point. Plusieurs n'ont assez de forces que pour s'étendre aux abords des quais. Évidemment la nouvelle commence à se propager et le docteur Michael McColloch de l'Université McGill décide de se rendre lui-même sur les quais pour voir de quoi il en retourne. Ce dernier n'aime pas ce qu'il voit du tout et il s'en retourne rapidement à ses bureaux afin de rédiger un rapport à la ville de Montréal avec toute une foule d'importantes recommandations urgentes afin d'éviter que la maladie ne se propage à la population.
Le maire John Easton Mills prend connaissance du rapport et ordonne alors la construction immédiate de trois hangars à Pointe St-Charles pour y loger les malades. Longues de 150 pieds et larges de 50 pieds on y couche les malades à raison de trois par lit. Les soins sont prodigués par des religieuses de différentes congrégations dont les Sœurs Grises, les Sœurs de la Providence (oeuvre nouvellement fondée par Émilie Gamelin) ainsi que celles de l'Hôtel-Dieu. Les religieuses sont toutefois libres d'aller soigner ou non les malades car la mère supérieure des Sœurs Grises est formelle; toute personne qui entre dans les hangars risque la mort en contractant la maladie. Malgré les soins prodigués le nombre de victimes augmente et les Sœurs Grises perdent sept des leurs. La contagion s'étend au point où le nombre de hangars est maintenant rendu à 22. Le maire John Easton Mills, qui s'était porté volontaire pour soigner les malades meurt à son tour le 12 novembre. De nombreux prêtres venus pour donner les derniers sacrements aux mourants et recevoir leurs confessions comptent aussi parmi les victimes.
Le maire John Easton Mills
Ces victimes justement, se comptent par centaines et il faut alors trouver un emplacement pour les enterrer. Les cimetières de Montréal sont trop peu nombreux et beaucoup trop petits pour celà alors on décide de creuser une grande fosse à l'ouest des hangars. Ils sont près de 6000 à y être ensevelis.
En 1852 on commence la construction du pont Victoria. Ces travaux, on le sait, prendront plusieurs années puisque l'on doit construire une structure longue de 3 kilomètres qui sera supportée par 24 immenses piliers. Une partie des travaux nécessitent des excavations du côté de Montréal non loin du fleuve. En 1857 les ouvriers de la firme Peto, Brassey & Betts sont affairés à creuser lorsque l'un d'entre eux s'arrête et observe l'endroit que vient de cogner sa pelle. Il entreprend alors de dégager davantage et se rend compte avec stupéfaction qu'il s'agit d'un cercueil. En très peu de temps les autres ouvriers font des découvertes similaires et on ne tarde pas à réaliser qu'il s'agit là des victimes irlandaises du typhus de 1847. Le malaise est palpable, surtout pour les ouvriers présents qui sont d'origine irlandaise. Ces derniers expriment alors leur désir de créer un mémorial afin que la mémoire de toutes ces victimes ne soit pas oublié.C'est ainsi que le 1er décembre 1859 les ouvriers de Peto, Brassey & Betts installent sur un socle une immense pierre en granit de 30 tonnes que l'on a repêchée du lit du fleuve.
La roche vient d'être sortie du lit du fleuve.
"To Preserve from Desecration the Remains of 6000 Immigrants Who died of Ship Fever A.D. 1847-48
This Stone is erected by the Workmen of Messrs. Peto, Brassey and Betts
Employed in the Construction of the Victoria Bridge A.D. 1859"
Employed in the Construction of the Victoria Bridge A.D. 1859"
Aujourd'hui la pierre occupe toujours le même espace mais semble perdue entre les deux voies de la rue Bridge. Elle est devenue noire avec les années en raison de la pollution automobile. Pour plusieurs, il est parfaitement incongru que l'on ait construit une route par-dessus ce cimetière. Les gens qui veulent se recueillir près de la pierre doivent traverser la rue Bridge en bravant le traffic puisqu'il n'y a aucun accès piétonnier.
Quant aux hangars il est quelque peu difficile d'établir avec précision leur emplacement mais on peut avancer qu'il devaient se situer le long de l'actuelle rue Mills entre les rue Bridge et le Chemin des Moulins. Il n'existe évidemment plus aucune trace de ces bâtiments.
Quant à la firme Peto, Brassey and Betts, elle était le fruit d'une association entre Samuel Morton Peto, Thomas Brassey et Edward Betts. Elle ne figure pas dans les Lovell de l'époque puisque c'était une compagnie britannique qui a d'ailleurs réalisé nombre d'autres grands projets de par le monde entier.
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