mercredi 11 mai 2022

Angle Duluth et de Bullion, vers 1978

(Photo: Daniel Heikalo, reproduite ici avec permission)

Daniel Heikalo (dont on peut visiter le site en cliquant sur le lien à droite) est un artiste multidisciplinaire qui jongle merveilleusement avec les instruments de musique, les plumes et pinceaux. Il peint et photographie également. durant les années 70 et 80, Il a eu la magnifique présence d'esprit de prendre quantité de photographies des quartiers populaires de la ville, de documenter visuellement des scènes auxquelles personne ne s'attardait, un peu comme le peintre Adrien Hébert faisait autrefois. Les photographies de Daniel nous font replonger dans un passé qui n'est pas si lointain mais où bien des choses étaient fort différentes. Aujourd'hui, Daniel nous raconte l'envers de la photo qu'il a prise en 1978, à l'angle des rues Duluth et de Bullion. 

"L’épicerie du coin... cette expression bien connue a déjà eue une signification bien spécifique dans notre quartier, qui en contenait des dizaines. À certains endroits, il y avait une épicerie à chaque coin d’une intersection. Comment réussissaient-t ’ils à  tous être tous rentables? C’était avant l’avènement des supermarchés, des grandes surfaces, des centres d’achat, et aussi, souvent chaque commerce avait sa spécialité. Un possédait une licence de la régie des alcools, un autre était une boucherie, alors que sur l’autre coin, il y avait un comptoir restaurant où on pouvait prendre un breuvage avec «un sandwich aux tomates toasté salade mayonnaise».

Ces épiceries étaient aussi de hauts lieux de socialisation, comme les salons de barbier et les  cordonniers-cireurs,. Les gens passaient du temps à y jaser, commérer, parler politique, échanger sur les courses de chevaux, et parier. Les arrières des épiceries et restaurants servaient parfois de lieux illicites pour les preneurs de gages. On gageait aussi sur le hockey.

C’était l’époque des livreurs à bicyclette, qui beau temps, mauvais temps, vous apportait votre commande moyennant un pourboire. C’était très pratique pour les gens à mobilité restreinte pour qui transporter une grosse commande était physiquement impossible.

Parfois, on y rencontrait celui ou celle qui deviendrait notre partenaire pour la vie. Il en fut de même pour mes parents, qui se rencontrèrent en 1940 dans un casse-croûte de la rue Amherst, quelques maisons au nord du musée.

Côté commerces, avec Sainte-Catherine, Amherst et Ontario, les gens du quartier possédaient tout le nécessaire pour subvenir à leurs besoins."

Il s'agit là d'un portrait de quartier comme j'ai connu, ayant grandi dans Hochelaga. Les épiceries de quartier telles que décrites par Daniel, il y en avait à toutes les rues. Il s'agissait pour la grande majorité de commerces indépendants, nullement affiliés aux grands supermarchés mais offraient les mêmes services, souvent personnalisés puisque les propriétaires en venaient à bien connaître leur clientèle (pas dans le sens biblique, toutefois) tout comme les bouchers qui œuvraient à temps plein à l'arrière. Ils savaient que madame Unetelle aimait sa viande coupée de telle façon et que telle autre madame l'aimait d'une telle autre façon. Le boucher enveloppait la viande dans du papier ciré rose et inscrivait la quantité et le prix avec un gros crayon gras. 

Si les commandes étaient livrées à vélo elles pouvaient être acheminées d'une autre façon au domicile: par l'entremise de gamins comme moi. Des fois, je me trouvais dans la cour en train de joué, bien barbouillé de poussière dans le visage, et ma grand-mère sortait sur le balcon pour me demander d'aller voir madame Ceci ou Cela qui demeurait plus bas dans la rue et qu'elle avait une commission pour moi. Je lâchais tout et j'y allais de bon cœur. Après m'avoir donné la liste, je me dirigeais à l'épicerie de l'autre bord de la rue pour aller chercher le tout et payer avec l'argent qu'elle m'avait donné. Du haut de mes six ans je me trouvais à acheter les choses sur la liste. De temps en tant c'était tout prêt, le proprio du marché avait déjà tout préparé, et moi, je n'avais qu'à rapporter. C'était l'époque où nous étions plusieurs de mon âge à faire des commissions comme ça et personne ne battait de l'oeil lorsque l'on achetait, tel qu'inscrit sur la liste, des cigarettes, de la bière ou des billets de loterie. Et ces commissions nous rapportaient toujours de p'tits pourboires avec quoi l'on pouvait se payer une gâterie. 

Et maintenant, voici le même coin de rue aujourd'hui. L'ardoise du toit en fausse mansarde est toujours là, La brique commune rouge a été barbouillée et rebarbouillée à quelques reprises et où la brique originale apparaît à gauche. L'épicerie de quartier, si elle est disparue, a laissée sa place à un autre commerce local; une boucherie cette fois. Si les vitrines one tété changées, la porte semble toujours être la même, tout comme les deux poteaux en fonte, lesquels ont abondamment beurré le ciment de rouille. Sur le haut du mur à droite on peut voir que les anciens connecteurs électriques (fonctionnels sur la photo de Daniel ci-haut) ont été abandonnés pour des connections plus modernes mais sans avoir été enlevés.



Le saviez-vous? La plus ancienne épicerie en Amérique du nord est celle de J. A. Moisan située au 685 rue Saint-Jean à Québec. Elle a été ouverte en 1871. 


 

4 commentaires:

  1. Au début des années 1960, j'habitais rue De Lorimier, près de la rue Holt, donc au sur du Bl Rosemont et au nord de Masson, près du viaduc et de la Fry (Cadbury). Il y avait une petite épicerie comme celle qui est décrite ici, chez Tétrault. Maman nous envoyait faire un petit achat et à l'époque on demandait à l'occasion de faire "marquer". C'était l'expression pour demander d'écrire cette dépense sur le compte qui était payé quelques jours plus tard, selon les dates de rentrées d'argent. Oui, la vie de quartier à Montréal à l'époque des jeux dans les ruelles, le milieu parfait pour les enfants pour socialiser avec les autres jeunes de la rue De Lorimier et de la rue Des Érables.

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    1. Je vous remercie énormément d'avoir partagé à votre tour vos souvenirs d'époque. Il vient s'ajouter à la merveilleuse courtepointe de notre mémoire collective.

      Pluche

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