En
1886 le canal Lachine, bordé d’industries, opère à plein régime
alors que le développement urbain s’accélère. On se rend vite
compte qu’il faudra relier Verdun à Montréal alors cette année-là
on construit un pont tournant afin de relier Montréal et Verdun.
Pourquoi tournant? En pivotant d’un côté il laissait les navires
passer sur le canal Lachine et en pivotant de l’autre il permettait
aux gens, aux tramways et charrettes de se rendre à Verdun, et vice-versa.
Le
système a relativement bien fonctionné pendant plus d’une
quarantaine d’années. Cependant, avec les années, le trafic
maritime a considérablement augmenté de même que la quantité
d’automobiles. Résultat? Le pauvre type qui opérait le pont est
vite devenu tout étourdi à force de faire tourner le pont. À ce
moment-là les automobilistes ont fait la connaissance d’un
phénomène nouveau: l’embouteillage. Il était maintenant clair
que le pont tournant ne suffisait plus à la tâche.
Le pont Wellington original (ne pas confondre avec le pont ferroviaire abandonné que l'on voit près de cet emplacement aujourd'hui). Notez le tramway qui passe ainsi que la cabine du contrôleur en haut du pont.
(Source: Musée McCord)
La
situation était sérieuse et il a fallu établir un plan afin de
catalyser tout ce trafic tant sur route que sur canal (et penser au
pauvre type opérant le pont aussi). On a alors convenu que la
meilleure chose à faire serait tout simplement de creuser un tunnel
sous le canal, comme ça on ne ralentirait ni les navires ni les
autos.
Carte postale non datée.
En
1931 on met les choses en branle et c’est la compagnie Dufresne
Construction qui reçoit le contrat afin de construire le tunnel.
Celui-ci, faut-il prendre soin de le noter, doit être assez large
pour accommoder les automobiles, les tramways et les piétons. Avec
ce chantier on faisait une pierre deux coups soit régler le problème
de trafic d’une part mais aussi de faire travailler bon nombre
d’ouvrier en chômage, affectés qu’ils étaient par la crise
économique.
Le tunnel en construction. Le pont tournant est visible à l’arrière.
Les
travaux vont bon train mais apportent leur lot de problèmes, entre
autres celui des tramways qui circulent dans ce secteur. Le chantier
nord, situé à un jet de pierre de l’église Ste-Anne, est bien
loin d’offrir un environnement sonore paisible. Toutefois, le
réaménagement des lignes avoisinantes pour se connecter à celles
sortant du tunnel pose quelques problèmes relatifs au territoire,
entre autres dans le secteur de la rue Colborne (aujourd’hui Peel)
que les tramways devront emprunter. Voici d’ailleurs un extrait
d’un débat de l’Assemblée Législative qui a eu lieu mardi le 2
février 1932 et qui met en vedette messieurs Taschereau et
Duplessis.
* * * * * * * * * *
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 100 modifiant la charte de la cité de Montréal. Les amendements sont lus une deuxième fois.
La motion « Que cette Chambre adopte maintenant les amendements » est proposée.
M. Vautrin (Montréal-Saint-Jacques): Le Conseil législatif a adopté le bill de Montréal, après y avoir ajouté 23 longs amendements. Je crois qu’il y a quelque chose à dire quant à l’amendement au sujet des expropriations des rues Colborne et Smith, et ensuite le bill pourra être adopté tel quel. Je désire ajouter un amendement à l’amendement du Conseil pour dire que la ville ne pourra emprunter sans référendum que lorsque le tunnel de la rue Wellington aura été terminé. D’après l’amendement du Conseil, la ville pourrait emprunter pour cette expropriation, sans référendum. Il n’est donc que juste que Montréal ne puisse faire cela avant que le tunnel Wellington, dont les travaux s’éternisent, soit terminé.
Je propose, appuyé par le représentant de Maisonneuve (l’honorable M. Arcand), que cette Chambre adopte maintenant lesdits amendements, mais avec l’amendement suivant:
« Que l’alinéa suivant soit ajouté à l’article 70 proposé dans l’amendement 23ième:
« Toutefois les procédures en expropriation ne seront prises que lorsque la construction du tunnel de la rue Wellington sera totalement terminée. »
M. Duplessis (Trois-Rivières): Je crois que le but que vise le proposeur ne sera pas atteint par cet amendement, étant donné la lenteur habituelle des procédures d’expropriation; elles devraient être entreprises immédiatement; autrement, les citoyens subiront l’absence de voies d’accès décentes une fois que le tunnel sera terminé. Il est bon que Montréal ait le temps voulu pour agir.
L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Il vaut mieux que l’on attende d’avoir terminé le tunnel.
L’amendement est adopté sur division.
La motion principale ainsi amendée est adoptée. Le bill est retourné au Conseil législatif.
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En
1933 les travaux sont enfin complétés. Les automobilistes ainsi que
les piétons peuvent donc aller comme bon leur semble d’un côté
comme de l’autre. Mais, comme on peut le voir dans le texte
législatif plus haut, messieurs Duplessis et Taschereau ne sont pas
sur la même longueur d’onde; Duplessis recommande que les
expropriations se fassent pendant que le tunnel se construit alors
que Taschereau désire attendre la fin des travaux. Ce que Premier
ministre veut, Premier ministre obtient. Toutefois, cette décision
fera que les tramways ne pourront emprunter le tunnel qu’un an plus
tard, soit en 1934. A partir de ce moment tout le monde est content.
Tout
le monde?
Le
tunnel comptait deux angles et, pour éviter des problèmes, la
Montreal
Tramways
Company
a installé un dispositif électrique qui signalait a un tramway de
ne pas entrer dans le tunnel s’il y en avait déjà un autre devant
lui (allant dans la même direction). C’était sans aucun doute une
excellente idée mais c’est que, voyez-vous, le tunnel Wellington
avait un vilain défaut: il y avait des infiltrations d’eau
inattendues qui créaient souvent une petite mare au point le plus
bas du tunnel.
Résultat?
Certains tramways se retrouvaient donc immobilisés pif-poil en plein
milieu du tunnel, leurs moteurs court-circuités par le contact de
l’eau. Pour rajouter à l’injure, le système qui devait signaler
au tramway suivant de ne pas entrer dans le tunnel s’il y en avait
un autre était complètement déréglé à cause de l’humidité.
On a alors assisté alors à de joyeux épisodes de tamponnage qui,
heureusement, ne jamais fait de blessés. Quelques frousses par
contre, ça oui. A partir de ce moment les garde-moteurs ont reçu
des directives très claires quant à la façon de procéder dans le
tunnel.
On
peut tout de même noter ici un fait cocasse. Il se trouvait à une
certaine distance un viaduc ferroviaire qui portait le nom de
Wellington. Les modèles de tramways du temps différaient et ce
n’était pas tous les modèles qui pouvaient passer sous ce viaduc.
On avait alors pris soin d’apposer une petite étiquette dans les
tramways qui devaient éviter le viaduc Wellington. L’interdiction
ne concernait toutefois pas le tunnel Wellington où tous les
tramways sans exception pouvaient passer. Malheureusement il se
trouvait des voyageurs qui apercevaient l’étiquette alors que le
tramway s’en allait plonger dans le tunnel Wellington, à leur
grande frayeur. Convaincus du pire, ils ne savaient pas que le tunnel
et le viaduc étaient deux choses bien différentes. On pourra dire
que pendant de nombreuses années, pour de nombreux voyageurs, ce fut
le festival des fesses serrées.
Mais
qu’en est-il tu tunnel aujourd’hui?
Celui-ci
a été condamné en 1995, parce que sa structure a été jugée trop
dangereuse. A sa place on a construit un pont tout juste à côté.
Le vieux tunnel n’a pas été démoli mais simplement laissé là
où il ramasse eau et détritus. Du côté de Verdun l’entrée du
tunnel a tout simplement été démolie et remblayée. Au final, ce
que nous avons est un pont qui remplace un tunnel qui a remplacé un
pont. Toutefois, une question demeure: combien de temps avant que ce vestige d'une autre époque soit démoli? Difficile d'y répondre. Griffintown est un quartier dû pour une refonte, mais encore faut-il que ce soit fait de façon intelligente et réfléchie. Si l'on aborde la renaissance du quartier en tenant compte des familles, de logements abordables et d'espaces verts avec commerces de proximité il y aura peut-être quelque chose d'intéressant à faire avec ce vieux tunnel. Toutefois, et c'est ce que je crains, si le quartier est laissé en pâture aux "promoteux" de condo (crainte que j'ai déjà exprimée ici dans un article précédent), alors il y a fort à parier que ces gens, bien confortablement assis dans leur tour de béton ne voudront pas avoir cette tare sous les yeux, ce qui amènera fort probablement sa démolition.
Le tunnel, vu de la rue de La Montagne. Les deux entrées que l’on apperçoit sont celles des tramways.
Ici on peut voir les quatre voies; tramways au centre, voitures à gauche ainsi que voitures et piétons à droite.
Voici la voie de droite et celle des piétons.
Localisation de l'endroit exact sur ce plan.
Le saviez-vous? Le nom Wellington fait sans aucun doute référence à Arthur Wellesley, 1er duc de Wellington et qui fut surnommé «Iron Duke». Le personnage n’a jamais rien eu à voir avec Montréal mais plutôt avec la fameuse bataille de Waterloo puisque c’est lui qui y a vaincu Napoléon 1er le 18 juin.