mardi 30 avril 2024

D'hier à aujourd'hui: le marché Métro de la rue Hochelaga

Sur la portion du haut, on peut voir un marché d'alimentation Métro sis au coin des rues Hochelaga et de La Salle. Bien que non datée, elle pourrait avoir été prise au début des années 60 alors que Métro, qui comptait probablement quelques 75 épiciers membres avec un très bon chiffre d'affaires, était encore un joueur mineur dans le marché de l'alimentation au Québec. Le haut du podium était alors occupé par Steinberg. 

Le petit marché que l'on voit en haut a probablement évolué à partir d'un marché de quartier indépendant. L'affiliation à Métro lui permettait probablement alors d'avoir les reins plus solides face à Steinberg qui exploitait alors deux gros marchés dans le quartier; un sis au coin de l'avenue Morgan et Ste-Catherine (aujourd'hui un Métro) et l'autre sur la Ontario près de Bourbonnière (également devenu un Métro). Dominion avait aussi sa présence avec un supermarché au coin des rues Aylwin et Ontario (espace maintenant occupé par un Dollarama).

L'évolution des marchés Métro vers des grandes surfaces a fait disparaître ces petits marchés Métro de quartiers et si certains on connu une seconde vie en devenant des dépanneurs, d'autres on été convertis en d'autres espaces commerciaux ou en espaces résidentiels. Le marché Métro qui nous intéresse aujourd'hui fait partie de la première catégorie où un dépanneur occupe l'espace. 

Comme on peut le constater, le bâtiment fait l'objet d'une "cure de Jouvence" où l'on a non seulement remplacé toute la brique mais aussi fait disparaître les appareillage de la corniche pour y installer une nouvelle corniche en aluminium assez banale. Les fenêtres d'origine, dont certaines comprenaient des vitraux, on également été remplacées.  


 

Le saviez-vous? C'est à Verdun, le 22 décembre 1947, que Rolland Janneau a fondé les Magasin Lasalle Stores, une bannière à laquelle se joignent plusieurs épiciers indépendants. L'entreprise change de nom en 1952 pour Grocetaria puis, au tournant des années 60, change à nouveau de nom pour Métro.


jeudi 25 avril 2024

La première fois

 

L'école secondaire a été pour moi tout un paradigme, comme pour bien d'autres aussi. Fini les enfantillages du primaire. Bienvenue dans la cour des grands! Parmi toutes les nouvelles découvertes que ledit secondaire m'a apporté, le plus important a été la musique. Depuis le premier secondaire, et grâce au grand frère de mon bon ami Arsenault qui lui était déjà en cinquième, j'ai pu m'immerger dans ce monde qui m'était alors à peu près inconnu. M'enfin, pas tout à fait inconnu, mais disons que j'en avais pas mal plus à découvrir que j'en savais.

 Dès le premier secondaire, durant les pauses, je me retrouvais avec Arsenault, son frère qui est accompagné de quelques amis de sa classe. Ça jasait musique. J'étais parfaitement néophyte. Les noms de groupes dont ils discutaient ne me disaient absolument rien. Ça parlait de différents types de rock aussi. La règle d'or, on le sait bien est que lorsque tu ne connais rien à un sujet donné, tu ne dis rien. Autrement dit: mieux vaut rester silencieux et passer pour un imbécile que de parler et d’éliminer tout doute raisonnable. 

Le frère d'Arsenault et ses amis n'étaient pas cons. Flairant mon ignorance parfaite, et au lieu de m'humilier comme d'autres l'auraient pas fait, ils m'ont, pour ainsi dire, pris sous leur aile. On va te faire découvrir différents groupes et styles, m'avaient-ils dit, fiers qu'ils étaient de se retrouver avec un adepte potentiel. Le lendemain, comme promis, ils m'avaient apporté une cassette. Oui, parce qu'il m'a donné un des meilleurs conseils en matière de musique: Ne. Prête. Pas. Tes. Disques. À. Personne. Niet. Zip. Nada. T'écouteras ça, m'avait-il dit, et tu nous en donneras des nouvelles.

Je me souviens encore de ce vendredi soir où j'avais glissé la cassette dans le magnétophone. J'étais seul ce soir-là. J'ai mis l'appareil en marche puis me suis installé dans le fauteuil. Y'avais du Deep Purple, du Bob Seger, et du Led Zeppelin. Il s'y trouvait aussi des pièces individuelles comme Long Cool Woman in a Black Dress du groupe The Hollies et Simple Man du groupe Lynyrd Skynyrd, entre autres. À ce moment, ces tounes dataient de quelques années mais je devinais tout de même leur styles intemporels. On va les écouter souvent, et pendant longtemps. 

Avance rapide en décembre 1979. À la pause on parlait abondamment de Pink Floyd, ce groupe de rock progressif qui nous avait donné, entre autres, l'album Dark Side of the Moon et avec lequel j'étais déjà familier, et qui vient de sortir un nouvel album intitulé The Wall, et dont on disait pas mal de bonnes choses. Il n'en fallait pas plus pour me convaincre.

C'est en janvier 1980, par un samedi après-midi, que j'ai pris le métro en direction du centre-ville. Chez Sam the Record Man, plus précisément. Un des meilleurs endroits en ville m'avait-on mentionné pour acheter des disques. Le personnel s'y connait tout plein. Cette boutique de disques et cassettes, qui comptait plusieurs succursales au pays, se trouvait sur Sainte-Catherine au coin de la rue Alexandre. Pas eu besoin de chercher longtemps pour trouver une copie de l'album The Wall. Je m'étais arrêté afin de compter mes sous, pour être certain que j'en avais assez. Le compte y était. En présentant l'album à la caisse je me suis soudain senti fier car non seulement j'achetais un album dont le groupe était fort populaire mais aussi parce c'était le premier album que je le payais avec mon propre argent. 

En revenant à maison je me suis installé dans ma chambre. La pochette n'avait rien de remarquable au niveau graphique. Un simple mur blanc dessiné avec des lignes noires. Avec mes écouteurs sur la tête, j'ai placé l'aiguille sur la face A du premier disque. L'expérience unique de cet opéra rock qui raconte l'histoire d'un rockeur nommé Pink et qui s'érige un mur psychologique et d'isolation sociale m'a littéralement foutu par terre. Toujours selon les conseils du frère de l'autre, je m'en suis rapidement fait une copie cassette afin de ne pas user les disques inutilement. 

Je possède toujours cet album dont les deux disques sont précieusement conservés dans leurs enveloppes originales et dont j'ai pris un grand soin. Depuis ce temps je me suis procuré un version en disque compact et l'album demeure le témoin important qui a marqué mon entrée dans le monde de la musique des "grands". 

L’œil avisé aura vite remarqué que je tiens l'album par le verso, répétant ici la même erreur que j'avais faite en l'ouvrant pour la première fois en 1980. 

L'intérieur de l'album, illustré par Gerald Scarfe.


 

Le saviez-vous? L'album tient son nom d'un incident survenu lors du passage de Pink Floyd au Stade olympique en 1977 où des spectateurs près de la scène avaient à ce point enragé Gilmore et Rogers que ce dernier disait qu'il aurait fallu construire un mur entre eux et la foule.


dimanche 21 avril 2024

La fille avec l'oeil au beurre noir

 

Norman Rockwell, ce peintre-illustrateur de grand talent est surtout connu pour ses magnifiques couvertures du défunt magazine Saturday Evening Post. La fille avec l’œil au beurre noir est une œuvre, ci-dessus, et réalisée en 1953, est l'une des couvertures les plus connues et les plus populaires. Rockwell nous fait ici toute la démonstration de son talent non seulement en tant qu'illustrateur mais aussi d'observateur.

La composition est absolument sublime; la jeune écolière qui s'est vraisemblablement battue, est porteuse d'un magnifique œil au beurre noir et ses vêtements, salis et de travers, les lacets défaits et les bas ravalés racontent l'histoire d'un match digne d'un ring de boxe. Le sparadrap sur son genou gauche, posé sûrement avant l'escarmouche,  témoigne d'une jeune fille n'ayant pas peur de se faire mal. Mais c'est surtout son regard, qui fixe directement l'observateur, additionné d'un sourire fier, qui rend la scène absolument amusante. Elle semble nous dire que si c'était à refaire, elle ferait la même chose, encore et encore. 

Rockwell utilise une minuscule pourcentage de l'illustration, très restreint, pour nous faire voir le bureau du directeur de l'école et de sa secrétaire, qui s'apprêtent à recevoir la bagarreuse. À cette époque on ne rigolait pas avec la discipline et se retrouver ainsi à attendre près du bureau du directeur n'augurait rien de bon, mais alors là, pas du tout.

Pour réaliser ce magnifique tableau, Rockwell a fait comme à l'habitude; il a recruté un modèle. La grande majorité du temps il utilisait des gens de son entourage qui ne se faisaient pas prier pour prendre la pose. Il en va de même pour l'image ci-haut.

Rockwell assistait à un match de baseball et son attention a été attirée par la fille de son avocat qui se disputait avec son père pour un verre d'eau. Rockwell propose sa boisson gazeuse et peu de temps après il réalise que cette jeune fille d'onze ans serait parfaite pour sa prochaine création. C'est ainsi que la jeune Mary Walen s'est retrouvée à être immortalisée sur la peinture. 

Toutefois, c'est l'oeil au beurre noir qui causait un problème pour Rockwell. Il avait beau utiliser du charbon et autres trucs de maquillage mais rien n'y faisait: ça ne paraissait ni réaliste, ni authentique. Il a donc publié dans les petites annonces du Berkshire Eagle dans laquelle il disait rechercher un enfant de onze ou douze ans avec un œil au beurre noir. Le journal a ensuite envoyé cette demande assez particulière à d'autres journaux et Rockwell s'est rapidement retrouvé avec plus d'offres qu'il n'aurait imaginé. Un garçon, avec un œil au beurre noir tout frais a donc été choisi et Rockwell a pu donc l'intégrer au visage de la jeune fille. 

Pour le décor, Rockwell s'est inspiré d'une école à Cambridge dans l'état de New York. Il a pris plusieurs photographies du bureau du directeur et ensuite choisi deux modèles afin de personnifier le directeur et sa secrétaire. 


 

 

Le saviez-vous? La peinture originale, mesurant 30"x34" (76cmx86cm), peut être admirée au Wadsworth Atheneum Museum of Art à Stamford, au Connecticut.

samedi 13 avril 2024

Les couleurs des vieux quartiers

Restaurant Gaétane, rue Logan et Champlain, 1978. Photo: Daniel Heikalo. Avec permission.

L'auteur de la photo ci-haut est Daniel Heikalo, un artiste multidisciplinaire (on peut visiter son site en cliquant sur le lien qui se trouve à droite) qui a pris de très nombreuses photos de Montréal, surtout des quartiers centre-sud, où il a grandi, et d'Hochelaga, où j'ai grandi. Daniel est un fin observateur de l'urbanité et de la nostalgie qui s'y rattache. En 2016 il s'affiche dans une exposition à l'économusée du fier monde. Il a composé un texte fort éloquent sur les couleurs qui décoraient le tissu de nos quartiers voisins. Voici donc le texte en question et portant sur les vieilles maisons de Montréal:

J'aime ça croche. Des trésors d'inexactitude usés par le temps. Arrive le rénovateur,et souvent, c'est la poésie qui fout l'camp. Il y a moyen de faire mieux.
 

MON QUARTIER ÉTAIT EN COULEURS!!!
 

Un jour, un homme m’a demandé : « pourquoi tant de rouge dans vos photos? » Je lui ai répondu : « parce que le rouge était omniprésent! »
 

On peinturait les façades avec une peinture spécialement conçue pour que la brique respire. Si elle est peinte avec de l’émail ordinaire, elle devient scellée. Lorsque l’eau parvient à s’infiltrer  par une fente ou une fissure dans la peinture vieillie, et que la température descend sous le point de congélation, la brique s’écaille, éclate. Trop souvent, on voit de ces façades qui s’émiettent littéralement après avoir été peintes avec un produit inapproprié. 

Autrefois, on savait...
 
Avenue des Pins et Saint-Dominique, 1978. Photo: Daniel Heikalo. Avec permission.

Lors de la sélection de mes photos, j’ai repensé à la question de cet homme. J’ai cherché d’autres aspects “colorés” du quartier, et j’ai choisi des images où la couleur était une part essentielle de la composition, où elle était nécessaire : une lessive séchant sur la corde, des briques, une clôture, des ornements multicolores, des scènes de rue, une borne d’alarme incendie…,  un peu de tout ce qui colorait le quartier.

J’ai aussi remarqué, lors de promenades plus récentes, que la nouvelle mode des couleurs neutres, comme des gris, a donné un aspect fade aux rues du quartier. On dirait qu’on a peur de la couleur, ce qui n’était pas le cas autrefois.
Au sujet de mon quartier:
 
Le quartier Saint-Jacques, Centre-Sud aujourd’hui, c’est le quartier qui m’a vu grandir. Quartier ouvrier et aussi, de chômeurs et de familles en assistance sociale. Quartier coloré dont l’architecture vernaculaire a su me fasciner dès l’enfance et influencer profondément l’iconographie de mes oeuvres visuelles, quelles soient photographiques, infographiques ou simplement des dessins d’architecture imaginaire réalisés à la plume. 

​C’est au hasard de promenades sans but, souvent matinales et dominicales, qu’on été prises les images qui constituent cette exposition. Le dimanche matin, de bonne heure, était un temps particulièrement propice à la photographie, avec sa lumière plus vive, due à une pollution moindre, et son silence. Les jours enneigés étaient aussi prisés, pour leur lumière surréelle. 

​Cette exposition est pour moi un retour aux sources, et aussi un hommage aux ouvriers et artisans anonymes qui ont donné au quartier son cachet, son architecture: charpentiers, couvreurs-artisans de toits en ardoise, briqueteurs, sculpteurs de nombreux détails ciselés de balcons et lucarnes. 

​J’ai souvent eu l’impression de vivre dans un village sympathique au coeur de la grande ville.
​Le poète montréalais Irving Layton dit au sujet de son enfance passée sur De Bullion et sur Sainte-Elizabeth, un peu à l’ouest du Centre-Sud, que ça a moulé sa sensibilité de poète, et qu’il ressentait un grand regret d’avoir élevé ses enfants dans la stérilité sociale de la banlieue. Je pense exactement comme lui et suis fier d’avoir grandi dans le quartier Saint-Jacques qui a laissé son empreinte sur ma vision artistique et a forgé l’homme et l’artiste que je suis aujourd’hui. 

Est-ce qu’il y a nostalgie? Un peu tout de même. Je n’ai pas la nostalgie des logements sans eau chaude, des rez-de-chaussée en terre battue, des coquerelles et autres bestioles non bienvenues, mais bien d’une époque où ce quartier était infiniment vivant, abordable, et où malgré tous ses défauts, il y faisait bon vivre. 

​On faisait avec les moyens du bord. Le VRAI recyclage était un mode de vie rendu nécessaire par la nécessité. Les vielles annonces en tôle pour patcher
les hangars, les clôtures, même les toits en certains endroits, comme ici à gauche. J'ai même vu de vielles plaques d'immatriculation clouées sur un hangar pour boucher un trou.
 
Vue du centre-sud, 1976. Photo: Daniel Heikalo. Avec permission.
 

​Au cours de mes nombreuses promenades dans le quartier, j’ai approfondi ma connaissance de ses lieux inédits, de ses trésors d’inexactitude, de sa « tout-crochitude »! J'y ai développé mon sens de la lumière, de la perspective, et une appréciation de la vie de ces gens qui, tels mes parents et grands-parents, y vivaient et essayaient à leur façon de le rendre plus beau, plus supportable.

​Notre quartier a été en grande partie construit par des charpentiers, des briqueteurs, des maçons, des gens ordinaires sans formation d’architecte. C’est le domaine de l’architecture vernaculaire. Malgré plusieurs contraintes, comme des ressources limitées ou des espaces restreints, ces bâtisseurs ont su créer une architecture sobre, aux proportions harmonieuses, qui a traversé plus d’un siècle avec la même dignité que celle affichée par ses artisans. Ceux-ci connaissaient la pierre, la brique, le plâtre, le métal et le bois. Ils ne manquaient pas d’imagination, utilisant parfois les moyens du bord pour parvenir à leur but, comme la récupération de vieilles enseignes en tôle pour recouvrir les hangars.

​C’était un quartier de travailleurs, de petits commerces, de petites et de grandes usines. Au bout de ma rue, à côté de l’école de Salaberry, mon école, il y avait la laiterie Poupart, devenue par la suite Québec-Lait, puis fermée. C'était avant le commencement de la fin: la mondialisation, la spéculation immobilière et tout ce qui a fait du Centre-Sud un quartier qui pour moi est une ombre "rénovée" de ce qu'il était.

Daniel Heïkalo.

Faut avouer d'emblée toute la force qui se dégage de ce magnifique texte. J'ai grandi dans Hochelaga, un de ces vieux quartiers aux ruelles où s'amusaient les enfants sales mais tellement heureux, je le sais, j'en étais un. On jouait à l'ombre des hangars de tôle et des innombrables cordes à linge, remplies de robes, de pantalons et de brassières, qui tapissaient le décor à gauche et à droite de la ruelle. Les marchés de quartier avec leur enseignes, là où on allait échanger des bouteilles vides contre des bonbons, ces marchés bardés d'enseignes se trouvaient situés au milieu de vieux triplex dont plusieurs étaient peints en rouge. Y'avait ces beaux balcons en bois ouvré, probablement fabriqués chez Duncan, une entreprise de bois sur Ontario et L'espérance, là où mon grand-père avait travaillé durant les années 40. 

Rue Ontario, vers 2002. Photo: Pluche

L'autre chose qu'on voyait partout, c'était les appareillages de briques de différentes couleurs et aussi les corniches de bois ou de tôle peints. Quand il faut rénover ces corniches aujourd'hui, on ne les rebâtit plus, elles sont majoritairement enlevées. Sur de Rouen et de Chambly, au coin nord-est, une magnifique caisse populaire construite au début des années 60. Je me souviens du beau plancher en pierre d'ardoise, de la belle fontaine. On y avait même tourné des scènes de films québécois, des publicités télévisées aussi avec Marthe Choquette et Jean Besré. On l'a rasée pour mieux construire des condos qui n'apportent rien au paysage. De l'autre côté de la rue il y avait un p'tit marché IGA de rien du tout et dont je me souviens de l'enseigne dehors. C'est un logement maintenant. À quelques rues à l'ouest, près d'Aylwin, c'était le tailleur pour hommes Capogreco, avec sa belle façade en brique rouge vernissée. C'est une garderie aujourd'hui. En 1970, je m'en rappelle, après ma maternelle, ma grand-mère m'amenait soit manger un hot-dog au Harvey's coin Aylwin et Ste-Catherine, où bien chez A&W sur Sherbrooke. Après, à cause de son métier de couturière, on allait chez Montpetit, un magasin de tissu au coin de Adam et Joliette. C'était un de ces vieux magasins au plancher de bois qui datait d'un autre siècle, un peu croche et qui craquait abondamment quand on marchait dessus. L'extérieur n'avait pas changé depuis les années 40, quand ma grand-mère était une jeune mariée. Il y avait du charme tout plein dans c'te bâtisse-là. On l'a perdue avec le feu. Aujourd'hui c'est des condos. 

Enseigne lumineuse de chez Shamie, aujourd'hui disparu. Photo: Pluche

Sur Ontario, près de l'actuelle place Valois, y'avait le spectacle des trains du CN qui passaient et où se trouvait pas loin une station d'essence Champlain avec une belle tourelle blanche et bleue. Dtruite depuis un bout et l'espace est occupé aujourd'hui par des condos. Et en marchant vers l'est, dépendamment du vent, on pouvait sentir l'odeur des bons biscuits de la biscuiterie Charbonneau, une autre bâtisse peinte en rouge. Fermée en '73 celle-là. Tout le long d'Ontario et de Ste-Catherine aussi, on retrouvait les belles enseignes lumineuses sur les murs des magasins. Parties. Celle du magasin Shamie, qui existait depuis les années quarante au moins, a été la dernière à encore trôner sur Ontario, avant de disparaître complètement. Aujourd'hui, il ne reste plus que les trous dans la brique où elle était attachée.

Sur Ste-Catherine, l'Oiseau Bleu attirait les passionnés de différents hobbies et possédait une belle devanture et vitrines, avec aussi son enseigne marqué d'un oiseau bleu. Ma grand-mère y allait pour ses patentes de couture, et moi, j'allais lorgner du côté des voitures Matchbox et du beau présentoir. L'Oiseau Bleu a migré, non pas ailleurs mais dans le néant. Le seul survivant que je connaisse dans le quartier est la boutique de jeux et jouets Le bric-à-brac, coin Ontario et Aylwin, mais dans mon temps, il était entre Aylwin et Cuvillier. 

Autrefois, Hochelaga et le centre-sud, c'étaient des quartiers refuges pour les gagne-petit, ceux qui se cherchaient un bon logis pour pas cher. Maintenant, tout à changé. L'embourgeoisement s'est bien amorcé avec la construction de condos, ici et là. Des bâtisses inodores, incolores et sans flavor qui n'ajoutent rien et dont l'architecture ne "fitte" pas exactement avec le reste, pittoresque, des alentours. 

Regardez de nouveau la première photo de l'article, comme mentionné, il s'agit du restaurant Chez Gaétane. C'était souvent là le nom que l'on donnerait aujourd’hui aux dépanneurs. De ces p'tits commerces de quartier comme ça, il n'en existe presque plus. Maintenant, observez l'endroit tel qu'il apparaît de nos jours: 

L'ancien emplacement du restaurant Chez Gaétane, 2022. 
 
Comme on peut le constater, le bâtiment a été assez modifié puisque le restaurant n'existe plus. On a changé la vocation du local de commercial à résidentiel, ce qui a amené d'importantes modifications. L'entrée du restaurant a été bouchée et une simple fenêtre occupe le coin tronqué. On peut voir d'autres morceaux qui ont été bouchés afin de remplacer les grandes vitrines par des fenêtres ordinaires. Le charme qui opérait autrefois est disparu.  Et c'est comme ça à plein d'autres endroits qui débordaient de charme typique des vieux quartiers ouvriers. Toutefois, ils ne sont pas disparus d'eux mêmes. Y'a un mélange; d'abord dans les habitudes de consommation où les gens ont préféré aller acheter dans les grands supermarchés du temps, Steinberg ou Dominion, à l'époque où Métro c'etait encore les Épiciers unis, ces petites épiceries dont la bannière n'avait rien de celle qu'elle est aujourd'hui. Aussi, les dames âgées qui faisaient livrer leur commande de par le marché du quartier, souvent situé sur la rue même. Chaque rue avait le sien. Des fois c'était moi qui allait chercher leurs choses et leur ramenaient. Dix cennes de pourboire, vingt cinq si j'étais pas mal chanceux. Je me souviens de madame Lecluse, une cliente de ma grand-mère. Elle appelait le marché et faisait préparer sa commande. Elle n'avait même pas besoin de dire à l'épicier comme elle voulait sa viande. Il savait. Le boucher aussi. Pis moi, j'allais récupérer tout ça pour elle et bien d'autres. Elle n'aimait pas les supermarchés, même s'il avait un Dominion au coin d'Aylwin et Ontario. Pas de service personnalisé comme de l'aut' bord d'la rue, disait-elle. Pour nous, les gamins du quartier, ces restaurants, épiceries et petit marchés c'étaient des lieux de socialisation, on s'y rencontraient, on bouffait des bonbons. 
 
Daniel a bien saison. C'était pas mal plus coloré dans l'temps. 


 
 
 
Le saviez-vous? La rue Ontario a été nommées ainsi en 1842. Avant, elle a porté les noms de Napoléon, Arthur-Buies et Berthelet. Son nom provient du grand lac du même nom.



 

mercredi 10 avril 2024

Post éclipse

 

Éclipe solaire.


Il s'en trouve peut-être quelques uns qui sont verts dans le visage à force d'entendre parler de l'éclipse du 8 avril 2024. Toutefois, à en juger par la quantité fort impressionnante de personnes qui se sont rendues à différents endroits, On parle de 100,000 personnes juste au parc Jean-Drapeau, j'imagine qu'ils font partie d'une minorité. Mais bon, promis promis, je ne vous parle plus d'éclipse complète au Québec avant au moins août 2044. 

Si initialement j'avais prévu aller justement au parc Jean-Drapeau, j'ai changé d'idée, anticipant un retour en ville assez compliqué. J'ai donc opté pour le Jardin botanique, plus proche mais avec le désavantage de n'avoir que trente secondes d'éclipse totale plutôt que la minute et demi pour ceux au parc Jean-Drapeau.

Chemin faisant à vélo, j'ai remarqué une foule assez abondante au parc Maisonneuve, et une autre encore plus imposante autour du stade olympique. Chose surprenante, pas de rassemblement important au Jardin. J'ai eu donc l'embarras du choix.

La lune a commencé son transit un peu après 15:10. Puis, au fil des minutes, la luminosité a tranquillement diminuée et du coup la température a un peu chuté. Au moment où la lune couvrait le soleil entièrement, j'ai pris le cliché que vous voyez ci-haut. 

Chose étonnante, au moment où l'éclipse était totale, les bernaches du Canada ont fait tout un tintamarre que j'ai attribué à une forme d'inquiétude/panique. Lorsque la lune a amorcé son transit de sortie et que la lumière est graduellement revenue, elle se sont tues. Autrement, pas noté d'autres comportements inhabituels de la faune du Jardin. 

Bien entendu, il y a eu plusieurs mises en garde, un peu partout dans les médias, concernant des lunettes vendues et n'étant pas conformes. Est-ce que le message est parvenu à tous? Une recherche Google juxtaposant le trajet de l'éclipse et la localisation de recherches sur le moteur concernant les mots clés "Why my eyes hurt" (pourquoi mes yeux font mal), a donné un graphique assez éloquent:

À ce sujet, d'ailleurs, La Presse a publié un article fort intéressant sur le sujet des problèmes oculaires. Pour la plupart des gens il n'y aurait pas grand risque, mais pour ceux et celles qui auraient malencontreusement utilisé des lunettes non conformes, c'est possiblement une autre histoire.  

Du reste, j'ai quitté le Jardin bien plus tard avec la satisfaction d'avoir pu observer ma seconde éclipse de ma vie. Je ne sais pas pour la prochaine en 2044. C'est dans vingt ans après tout. Ça viendra, ça viendra. 

Bonus de la journée: J'ai observer un pygargue à tête blanche, un grand rapace de la famille des aigles, survoler le Jardin, mais ça, ce sera le sujet d'un autre article. 


 

Le saviez-vous? Dans l'Antiquité les royaumes de Mèdes et de Lydie, deux peuples d’Asie Mineure se faisaient la guerre en Anatolie. Après cinq longues années de combats, ils se rencontrèrent à nouveau, le 28 mai 585 avant J-C. Durant les combats il y eu une éclipse totale, plongeant le champ de bataille dans l'obscurité. Les deux armées interprétèrent cette éclipse comme un présage pour l’arrêt des combats car elle indiquait que les dieux exigeaient la fin de la guerre. Les soldats déposèrent donc les armes.

dimanche 7 avril 2024

L'éclipse solaire de 2024

(Photo d'archives, BANQ)

  


Je me souviens de ma première éclipse solaire. C'était le 10 juillet 1972. Ce jour-là en avait été un comme les autres; j'étais dehors aux petites heures à jouer dans la cour, me salir, m'égratigner ici et là. J'avais couru après les bouteilles de boissons gazeuses vides avec l'ami Alain et on les avait échangées contre une quantité assez généreuse de bonbons à l'épicerie du coin.

À la fin de l'après-midi il y avait mon rendez-vous quotidien à ne pas manquer avec Bobino, c'était sacré. Mais avant l'émission mon grand-onle et ma grand-mère m'avaient bien avisé de ne pas regarder l'éclipse qui s'en venait, parce que sinon je risquerais de devenir aveugle, comme mon oncle Joe qui demeurait à la campagne. Il ne voyait plus rien du tout. Mais ce n'était pas une éclipse qui lui avait enlevé la vue. D'ailleurs, on ne m'avait jamais dit comment!

Évidemment, j'étais curieux comme dix. C'est quoi une éclipse ? Alors, mon grand-oncle avait tiré de sa bibliothèque bien garnie un livre de science astronomique où il m'avait montré, images à l'appui, ce qu'était une éclipse lunaire. Comme dans Tintin et le temple du soleil que j'avais demandé. Exactement ! Donc, il avait pris soin de me le rappeler encore : Ne regarde pas l'éclipse !

Puis, à l'arrivée de 16 heures, je me suis dépêché d'aller devant le téléviseur où mon émission favorite, Bobino, allait commencer. Mais quoi ? Que le grand crique me croque ! Pas de Bobino. Nénon. Au lieu, c'était une émission spéciale-spatiale sur l'éclipse à venir. Bon, alors je suis allé faire un tour au canal 10, pour voir. Meuh! C'était la fin d'un film…

Alors, je suis sorti dehors, comme ça, pour jouer avec mes bébelles dans la cour. Le fil du temps est passé rapidement. À un moment, ma grand-mère m'a demandé de venir sur le balcon. J'ai monté les marches et c'est en arrivant en haut que le ciel est devenu noir. Noir comme dans la poêle, comme on disait dans le temps. Faisait tellement noir que le réverbère de l'autre côté de la rue, et tous les autres du même coup, se sont allumés. Cette noirceur a duré un petit bout de temps, tout au plus, et puis, la lumière est revenue. Quel phénomène ! On avait de quoi se raconter, les copains et moi.

Maintenant, avant [très] rapide à aujourd'hui, dimanche le 7 avril 2024, où nous sommes à la veille d'assister de nouveau à une éclipse solaire. L'engouement pour le phénomène est palpable, comme en témoigne la grande quantité de lunettes pour l'éclipse qui ont été distribuées. Avant d'aller plus loin, j'aimerais bien expliquer ce qu'est, en gros, une éclipse solaire.


 

Donc, une éclipse solaire se produit lorsque la Lune se retrouve entre la Terre et le Soleil. La Lune crée donc un cône d'ombre sur la Terre selon une trajectoire qui est bien connue des astronomes et des astrophysiciens. Comme on peut le voir, l'éclipse solaire n'est complète que si l'on se trouve directement le long de la bande d'ombre. Si l'on est un peu à l'écart, c'est une éclipse partielle que l'on voit. Mais, vous allez me demander, la Lune, elle ne passe pas entre la Terre et le Solaire tout le temps ?


Oui, mais il y a quelques détails ; la Lune n'orbite pas directement sur le plan de l'écliptique. Comme on le voit sur l'image ci-haut, la Lune possède son propre plan d'orbite et qui contient des variations, tout comme la Terre. On observe ceci avec les phases lunaires ainsi qu'avec les saisons. 
 
Mais pourquoi se munir de lunettes d'éclipse homologuées et quels sont les risques pour la santé. Commençons par une question : est-ce que vous regardez le soleil directement durant une belle journée d'été, même avec des lunettes de soleil ? Bien sûr que non ! Eh bien voilà, regarder une éclipse sans protection, c'est comme regarder le soleil directement. C'est tout simplement que lors d'une éclipse, on ne perçoit pas l'intensité du soleil, mais elle est bien là. Il ne suffit que d'un très court moment pour qu'il y ait des dommages majoritairement permanents et irréversibles aux yeux se produisent. C'est là toute l'utilité d'avoir avec soi de bonnes lunettes spécialement conçues pour regarder l'éclipse en toute sécurité.

Ceci dit, il se trouve quelques précautions à prendre concernant ces lunettes; il y en a qui ne sont pas conformes. Le Journal de Montréal a publié un article fort instructif à ce sujet, du même qu'un autre article où l'on fait mention qu'une école de St-Jérôme a été obligée de jeter quelques 3,700 paire de lunettes achetées sur Amazon et qui se sont révélées non conformes.

Alors, comment s'y retrouver? L'édition Week-End du Journal de Montréal de cette fin de semaine comporte un encart spécial sur l'éclipse. Aussi, on peut se référer au site de l'American Astronomical Society qui répertorie les fabriquants qui offrent des lunettes sécuritaires, incluant la fameuse norme ISO 12312-2

Si vous n'avez pas encore mis la main sur des lunettes certifiées encore, sachez que le Planétarium sera présent sur le site du parc Jean-Drapeau ce lundi 8 avril et aura environ 150,000 paires de lunettes à donner.

En terminant, sachez que l'éclipse durera, dans toutes ses phases, de 15:25 et 15:40. Voici le trajet de l'éclipse, indiquant la durée de l'éclipse totale selon là où vous trouvez. 
 


 
 
 
Le saviez-vous? La prochaine éclipse solaire complète telle que celle du 8 avril 2024 ne se reproduira que le 22 août 2044, soit dans vingt ans!