Tout de
même étrange de considérer qu’il n’y a quand même pas si
longtemps que ça la rue Ste-Catherine avait une toute autre allure.
Évidemment c’est une observation qui est plus facile à réaliser
pour ceux et celles qui ont connu ladite époque et qui était, faut
l’avouer, bien différente. Certains vont même jusqu’à dire que
l’artère d’autrefois et d’aujourd’hui sont pratiquement aux
antipodes l’une de l’autre.
La
photographie que l’on voit à l’entête de l’article, que l’on
pouvait se procurer d’ailleurs en format carte postale un peu
partout, nous montre un petit bout de ladite rue Ste-Catherine, du
côté sud, tout près de l’intersection de la rue Mansfield. Il y
a eu plusieurs spéculations sur la date où elle a été prise. Je
vais donc vous épargner toute autre recherche : été 1969.
Comment?
Un
détail tout simple. Vous allez voir.
En 1969
les magnifiques enseignes lumineuses que l’on peut voir, affichant
une très belle diversité de styles et de couleurs, s’illuminaient
le soir venu et rendaient les rues extraordinairement vivantes. Par
contre elles n’en avaient plus pour longtemps puisque le maire
Drapeau les détestait profondément. Au fil des années qui vont
suivre elles vont toutes disparaître les unes après les autres,
tant sur Ste-Catherine que sur d’autres rues, comme St-Denis et
St-Hubert, entre autres. Allez, crac!
En
attendant, voyons un peu ce qu’il y a sur cette photo. En partant
de la gauche, donc de l’Est, et à la limite de ce que l’on peut
distinguer, on peut voir clairement l’enseigne du cinéma Capitol
où l’on présente le western Heaven With
a Gun.
Tout juste à côté il y a le restaurant Dunn’s Famous. Il
comporte alors deux étages et au deuxième, avec un peu de chance,
on peut déguster un sandwich à la viande fumée au son d’un
pianiste qui joue sur un magnifique piano à queue. Essayez de
trouver ça aujourd’hui pour voir. S’ensuit le Cinéma de Paris,
malheureusement peu visible, et qui présente le film J’ai
tué Raspoutine.
Puis
c’est le bijoutier Opera Diamond après quoi c’est un autre
restaurant, le Lanza Steak House. Il est suivi de Brault Watch Shop
où l’on peut se procurer toute une variété de belles montres.
C’est encore la période où des commerçants canadiens-français
ont des commerces en anglais. Ah, voici ensuite le cinéma Pigalle où
l’on projette ces deux «excellents» films qui, ultérieurement
ont probablement reçu la plus haute cote dans le TV Hebdo; un 7 :
Peut-être
cela en étonne-t-il plusieurs de voir qu’à cette époque, surtout
celle de l’ère Drapeau, des films érotiques étaient présentés
dans des cinémas ayant pignon sur une rue comme Ste-Catherine. Mais
qu’on se le dise bien : 1969 était une période non seulement
de révolution culturelle mais aussi sexuelle. C’est d’ailleurs
c’est en mai de cette année-là que Denis Héroux a tourné le
premier film érotique au Québec, Valérie, avec la sémillante
Danielle Ouimet. Nous sommes loin de l’époque pourtant pas si
lointaine où Alfred Hitchcock avait tourné I
Confess à
Québec sous la loupe constante de l’omniprésent clergé qui se
réservait le droit divin d’autoriser ou non ce qui était filmé.
Plus jamais je ne tournerai de film au Québec, avait-il dit,
parfaitement dégoûté de cette censure cléricale. En ’69 par
contre le pouvoir de l’Église s’amenuise comme peau de chagrin
et déjà les églises se vident.
Passé
la rue Mansfield se trouve une succursale de la Banque de Montréal
avec sa belle façade en grès rouge d’Écosse mais qu’on voit
très peu puisque le bâtiment est caché par le cinéma Loews où le
film The
Extraordinary Seaman avec
David Niven est projeté. C’est le titre de ce film, visible sur la
marquise qui m’a aiguillé sur la date de prise de la photo puisque
le film n’a été projeté qu’au début du mois d’août.
C’était le temps où les cinémas changeaient de films presqu’à
toutes les semaines. En 1969 le Loews, dont l’intérieur a été
magnifiquement décoré par Emmanuel Briffa, ne comporte toujours
qu’une seule salle. L’ajout de salles supplémentaires se fera au
cours des années à venir. Tout juste à côté du Loews on retrouve
la célèbre mercerie A. Gold & Sons où ces messieurs peuvent se
procurer habits et vêtements à la mode. Le restaurant Murray’s se
trouve tout juste à côté et pour ceux qui n’ont peut-être pas
si faim, le café Honey Dew vous accueille. Pour ces dames qui
désirent une nouvelle coiffure alors c’est au salon de beauté
Séville qu’elles doivent aller. Et ensuite, pourquoi pas un arrêt
au lounge cocktail
Vénus de Milo situé au deuxième étage? Et finalement, il y a le
restaurant Ville-Marie qui en plus d’offrir un menu varié peut
vous servir bières et vins. Voici le même secteur tel que vu
aujourd'hui:
Comme on
peut le voir, le changement est drastique. Plus aucun des commerces
de l’époque n’a survécu sauf Dunn’s Famous mais il n’occupe
plus son emplacement original. Quelques bâtiments l’on prit dans
la tronche aussi, comme le Pigalle, gracieuseté des démolitions
sauvages des années 70. Le Cinéma de Paris, tout comme le Loews
dont l’entrée est aujourd’hui occupée par une boutique de
souliers de sport. L’ancienne salle de projection est aujourd’hui
un vaste club sportif, Le Mansfield, mais on pourra applaudir les
promoteurs d’avoir conservé les fresques de Briffa. Certaines
anciennes façades ont été également préservées mais de façon
inégale, offrant ainsi une trame architecturale décousue qui n’a
plus d’unité.
Et
qu’est-ce qui retient l’attention durant cet été de 1969?
Évidemment le passage en mai à l’hôtel Reine-Élizabeth de John
Lennon et Yoko Ono pour leur bed-in pour
la paix n’a pas manqué de faire jaser. La rue Ste-Catherine a
aussi vu défiler, en mai, les joueurs du Canadien qui ont remporté
la coupe Stanley face aux Blues de St-Louis qu’ils ont parfaitement
tondu en quatre parties gagnées d’affilée.
Le
hockey est peut-être terminé mais les amateurs de sports
montréalais se découvrent une passion pour leur nouvelle équipe de
baseball : les Expos, lesquels disputent leurs parties au parc
Jarry. Les nouveaux héros se nomment alors Mack Jones, Rusty Staub,
Coco Laboy, Bill Stoneman ainsi qu’un québécois, Claude Raymond.
Sur la
scène politique il y a un congrès au leadership à l’Union
Nationale et Jean-Jacques Bertrand, qui succédait à Daniel Johnson,
est élu chef du parti. Bertrand a soutiré 58% des votes mais tout
n’est pas rose puisque plusieurs membres du parti, d’allégeance
nationaliste, quittent ou songent à quitter le parti. Au sud de la
rue Ste-Catherine, sur le fleuve, y’a embouteillage de navires
puisque les employés de la Voie maritime sont en grève. On espère
un dénouement rapide. Dans les journaux on apprend que le pays est
maintenant assujetti à la loi sur les langues officielles. On
s’attend à ce que ladite loi entre officiellement en vigueur au
début de septembre.
À la
radio les succès québécois s’enfilent les uns après les autres.
Éloïse de Donald Lautrec, Comme un garçon de Chantal Renaud, Le
sable et la mer
du duo Ginette Reno et Jacques Boulanger. On se souvient aussi du
fameux Lindberg
de Robert Charlebois et Louise Forestier. Renée Claude y va avec
C’est
notre fête aujourd’hui
et Le
tour de la terre,
entre autres. Et que dire de ce classique des Milady’s qui a tourné
presque sans arrêt :
Du côté
de la chanson française, toujours très populaire ici, on peut
entendre Vesoul de Jacques Brel, C’est extra de Léo Ferré, Le
Métèque de Georges Moustaki, Ma France de Jean Ferrat, Que je
t’aime de Johnny Halliday, Les Champs-Élysées de Joe Dassin,
Petit Bonheur d’Adamo et également Je t’aime… moi non plus du
couple formé par Jane Birkin et Serge Gainsbourg.
En
langue anglaise on apprécie Get
Back
des Beatles, Honky
Tonk Woman
des Rolling Stones, Sugar,
Sugar
des Archies, Suspicious
Minds
d’Elvis Presley mais ce qui détonne plus que tout en musique
durant l’été de 1969 est sans contredit le légendaire festival
de Woodstock lequel se déroule sur le terrain d’une ferme laitière
dans l’état de New York. Pendant trois jours ce sont près de
400,000 personnes qui vont s’y rendre pour assister, presque sans
relâche, à des spectacles mettant en vedette Janis Joplin, Jimi
Hendrix, les Rolling Stones, Creedence Clearwater Revival, The
Grateful Dead et de nombreux autres.
Par
contre, au-delà l’aura «Peace
& Love»
et du «tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil»,
Woodstock est en réalité un gros «cash
grab»
capitaliste de la part des organisateurs mais également de la
plupart des artistes. D’ailleurs Joplin, The Grateful Dead, The Who
et Hendrix (surtout lui) ont carrément refusé de se présenter et
même de toucher à leurs instruments avant que l’argent ne soit
bien étalé sur la table.
L’été
de 1969 est aussi tristement marqué par l’assassinat de Sharon
Tate, alors enceinte de huit mois, ainsi que quatre autres personnes
par Charles Manson et sa «famille». Il sera subséquemment arrêté
et condamné à mort mais la peine sera substituée pour une
incarcération à vie. Au moment d'écrire ces lignes Manson est
toujours vivant et vient de se marier.
Le
20 juillet, le module lunaire Eagle
de la mission Apollo 11 se pose sur la surface lunaire, dans la Mer
de la Tranquillité. À 22 :56 heure de l’est, plus d’un
demi-milliard de personnes regardent en direct à la télévision les
premiers pas de l’astronaute Neil Armstrong sur la Lune, suivi peu
de temps après par Buzz Aldrin alors que Michael Collins orbite
patiemment autour. Ils reviennent le 24 juillet sains et saufs, la
mission est couronnée de succès et ouvre la voie à d’autres
missions lunaires.
Le
saviez-vous? C’est à l’automne 1969 qu’est apparu pour la
première fois dans les rues le Dodge Challenger. Cette voiture sport
se voulait l’équivalente chez Dodge du Plymouth Barracuda, lequel
avait été conçu en guise de réponse à la Ford Mustang et à la
Chevrolet Camaro. Le Dodge Challenger connaît depuis quelques années
un regain de popularité avec la troisième génération qui se veut,
esthétiquement, un beau clin d’œil à l’original.