Il existe sur la rue Ontario, un peu en retrait de la rue Moreau, un
bâtiment industriel en béton peint en blanc. Vous l'avez sûrement
appercu en roulant dans ce coin-là mais histoire de bien le situer je
vous le montre à l'aide de ces deux photos, l'une aérienne et l'autre au
sol.
On remonte en arrière. Le 9 septembre 1940 sur l'heure du midi, plus précisément. A cette époque le bâtiment appartenait à la Manufacturers Terminal Co. mais louait des espaces à d'autres comme GD Peters & Co. of Canada, Marvens Ltd, AG Snowdon, John Labatt Ltd, les vins Jordan et National Conduits Co. Ltd. Les différents espaces servaient fort probablement à de l'entreposage à court terme alors le va et vient était constant. Ça devait grouiller, comme on dit.
Au travers tout ça il y avait un p'tit gars de 14 ans, Thomas Gauthier. Thomas n'habitait pas très loin, au 2043 Moreau soit tout juste un peu plus haut et travaillait pour Le restaurant du Coin situé au coin de Moreau et Ontario, tout juste en face du bâtiment industriel. Thomas allait à l'école mais sur l'heure du dîner Il livrait des repas et menus articles aux employés des différentes compagnies qui se trouvaient dans le bâtiment.
Pour aller sur les différents étages et livrer les commandes, Thomas empruntait une sorte de monte-charge relativement rudimentaire. Certains modèles étaient pourvus d'une barrière protectrice en bois, comme les Turnbull, mais pas celui-là. Fallait donc faire gaffe. Les normes de sûreté industrielles du temps, s'il faut le rappeler, n'étaient pas trop encombrantes.
Thomas se trouvait au dernier étage et venait de terminer une commission quand il s'est précipité vers le monte-charge pour redescendre mais malheureusement pour lui le monte-charge n'était pas là et Thomas chuta pour s'écraser quelques quarante pieds plus bas. La mort fut instantanée.
On appela immédiatement une ambulance qui arriva rapidement de l'hôpital Notre-Dame mais on ne put évidemment que constater la mort du jeune homme. Pendant ce temps c'est Jean-Paul, le frère de Thomas qui entra dans la cuisine familiale pour annoncer la mauvaise nouvelle à sa mère. On ne peut que s'imaginer le désarroi de la scène, celle que tout parent redoute le plus au monde.
Le corps de Thomas fut transporté à la morgue où le coroner Duckett rendit un verdict de mort accidentelle. Son histoire nous est bien connue puisque Thomas faisait partie de la famille. Son frère cadet de quelques années, Édouard, encore bien portant pour ses 84 ans, se souvient de cette tragédie comme si c'était hier. Toutefois, et comme c'est souvent le cas, cette tragédie en engendra d'autres. Marie-Jeanne, a mère de Thomas, était enceinte lorsqu'elle apprit la nouvelle du décès accidentel de Thomas. Elle donna naissance à son enfant pour ensuite disparaître complètement sans laisser de traces. Ce n'est que bien des années plus tard qu'un membre de la famille crût la reconnaître sur le coin d'une rue, visiblement itinérante. Elle ne fut plus revue par la suite. Le père de Thomas quant à lui, ne pouvant s'occuper de tous ses enfants, ne garda avec lui que les plus vieux et dût se résoudre à placer les plus jeunes dans des orphelinats. Ceux-ci ont grandi sans aucune connaissance de leur véritable famille sans non plus savoir qu'ils avaient des frères ailleurs.
Thomas fut le deuxième décès accidentel en un peu plus de dix ans dans la famille. En effet, en 1927 ce fut Adrien Gauthier, cousin de mon grand-père, qui périt dans l'incendie du Laurier Palace à l'âge de dix ans.
Sur cette photo on voit Jean-Paul Gauthier dans les bras de sa mère Marie-Jeanne. Devant elle à gauche en culottes courtes noires se trouve Thomas et à droite son frère cadet Édouard.
On voit ici Thomas vers l'âge de cinq ans, arborant
fièrement une casquette blanche. Son frère Édouard est à ses côtés sur
la chaise. Au moment où la photo a été prise la crise économique battait son plein.