J’aime bien cette
publicité, qui, malgré sa composition classique qui s’agence bien
avec les standards de l’époque, nous donne l’occasion
d’apprécier le talent des graphistes d’autrefois. C’était le
temps où ils devaient être non seulement capables d’agencer les
différents éléments mais aussi de réaliser des illustrations
telles que l’on voit ici. Ça pouvait parfois être des gens, des
produits ou encore les deux.
Chaque publicité, comme
on le sait, vise un but précis, lequel peut évidemment varier.
Est-ce que l’on veut simplement attirer l’attention? Provoquer
une action immédiate de la part du consommateur? Regagner des
clients perdus? Faire reconnaître une marque? Les possibilités sont
nombreuses. Alors qu’est-ce qui en est de la publicité
d’aujourd’hui qui est parue en décembre 1954?
Tout d’abord, la
compagnie elle-même : Gooderham & Worts, nommée, on le
devine, après ses fondateurs, en l’occurrence ici William
Gooderham et James Worts qui sont aussi des beaux-frères. Ces deux
immigrants britanniques sont arrivés dans la région de Toronto en
1832 et ont entreprit de construire un moulin à vent quelque part
dans la baie de Toronto. Worts n’est pas un timoré puisqu’il
possède quelque chose comme vingt ans d’expérience comme meunier
et Gooderham est un homme d’affaires avisé qui amène une large
part de capital. Worts est décédé en 1834 et Gooderham a continué
seul. En 1837 il a ajouté une distillerie au moulin et c’est là
qu’ont été jetées les fondations de la compagnie. En 1845 c’est
le neveu de Gooderham, James Gooderham Worts qui s’amène et qui
devient partenaire dans la firme et en 1856 c’est le fils de
William Gooderham qui arrive aussi en tant que partenaire. En 1861
les affaires vont bien. Très bien, même. La compagnie possède un
bâtiment de cinq étages et la production a grimpé de 80,000 à 1
million de gallons par an.
La compagnie a été
vendue en 1923 à Harry C. Hatch qui a par la suite acheté Hiram
Walker & sons en 1927 et toute la patente est alors devenue
Hiram Walker-Gooderham & Worts Ltd. C’est une bonne période
parce que c’est à peu près dans ce temps-là que cesse la
prohibition en Ontario et la compagnie continue de faire de bonnes
affaires puisqu’elle profite de l’autre prohibition, américaine
celle-là, et qui perdure jusqu’à la fin de 1933.
Quant au produit, en
l’occurrence ici le whisky Coronation Bonded, il fait partie des
fins alcools produits par la compagnie. Certains pourraient se
demander ce que l’appellation «Bonded» veut dire alors voici;
pour qu’un whisky puisse porter cette mention il faut qu’il ait
été produit en une seule saison par une seule distillerie et avoir
«âgé» au moins quatre ans dans un entrepôt supervisé par le
gouvernement. Les distilleries utilisaient cette méthode afin de ne
pas avoir à payer la taxe d’accise jusqu’à ce que le whisky
soit prêt pour la distribution sur le marché. Les consommateurs
croyaient (à tort) que le terme «Bonded» était une déclaration
de qualité.
Par contre en 1954,
Gooderham & Sons, seul nom à apparaître sur l’étiquette,
n’en a plus que pour trois ans à produire du whisky puisque que la
compagnie va entièrement en cesser la fabrication en 1957 pour se
concentrer essentiellement sur le rhum et les alcools industriels.
Mais bon, nous sommes toujours en 1954 et le produit se vend très
bien. Donc, pas besoin de peser sur la pédale à gaz pour le vanter
puisqu’il a déjà sa réputation, laquelle est d’ailleurs
excellente. Ce qu’on tient à souligner, c’est justement ça,
l’excellence du produit ainsi que le fait qu’à Noël on se
s’offre que le meilleur. Dans la conception de la pub on encadre le
message avec une illustration qui met en scène des gens élégamment
vêtus, visiblement raffinés et visiblement heureux de s’offrir
entre eux le produit en question dont le personnage de droite qui
ressemble à s’y méprendre à Clark Gable.
Par contre, et c’est là
un élément intéressant, cette illustration est néanmoins
générique puisqu’elle ne met pas en évidence le produit; poignée
de main et cadeaux soigneusement enveloppés. On pourrait facilement
remplacer la partie du bas par un autre produit.
Comme je le mentionnais
plus haut, cette publicité est parue en décembre 1954 alors
qu’est-ce qui fait jaser à ce moment-là dans les chaumières?
Tout d’abord faut mentionner qu’à cette époque le Québec est
encore très catholique, ce qui inclut les interminables messes en
latin et tout le reste alors pas étonnant que la santé du pape
Pie-XII, qui connaît des hoquets, inquiète les fidèles. Malgré
tout il va s’en remettre.
Les gens de Montréal
s’habituent, depuis octobre, à une toute nouvelle administration
municipale alors dirigée par l’ancien avocat Jean Drapeau, lequel
en est à son premier mandat à la mairie. Drapeau, à la tête de la
Ligue d’action civique, a été élu par une majorité de quelques
50,000 voix et il a de ce fait battu son opposant, Sarto Fournier.
Pour ce dernier, ce n’est que partie remise et compte bien
reprendre les rênes de l’hôtel de ville en 1957. Et justement,
c’est à cet endroit que le conseiller Émile Pigeon mijote un plan
afin de faire passer la rue Berri sous la rue Sherbrooke avec un
viaduc. Toujours au municipal, le ministre Paul Dozois se relève les
manches et commence à préparer le plan qui portera son nom et dont
le but est l’élimination des taudis dans la ville.
Dans un autre ordre
d’idée, les gens qui ont les moyens de se permettre l’achat
d’un téléviseur peuvent suivre, depuis peu, le téléroman Le
Survenant, à Radio-Canada et mettant en vedette Jean Coutu dans le
rôle-titre. Pour ceux qui préfèrent le cinéma il y a une
nouveauté tout à fait extraordinaire qui arrive en ville : le
Cinérama où les films sont projetés par une caméra spéciale à
trois lentilles sur un grand écran concave. L’inauguration est
prévue pour la fin du mois.
Dans Pointe St-Charles on
parle beaucoup de cette explosion qui est survenue à l’usine de
produits de plomberie Cuthbert où un fourneau à métal défectueux
a explosé, causant la mort d’un homme et en blessant d’autres.
Dans les nombreuses tavernes les hommes se désolent du fait que les
Alouettes, parvenus en finale de la coupe Grey, ont été battus par
les Eskimos d’Edmonton.
Le
saviez-vous? Il n’y a qu’une seule loi au Canada pour la
production de whisky canadien: Il doit être fermenté, distillé et
vieilli au Canada. C’est tout. Et tout comme le bourbon, le whisky
canadien est généralement fabriqué à partir de plusieurs grains
différents. Cependant, contrairement bourbon, au Canada chaque grain
est généralement fermenté, distillé et vieilli séparément. Ils
ne sont combinés qu’à la toute fin, ce qui signifie la quantité
de whisky de seigle ajouté à chaque mélange varie
considérablement.