C’est
passé dans le journal Métro du 3 juillet 2014 à la page 3 sous la
plume de Laurence Houde-Roy. Alors qu’est-ce qui se passe donc avec
la place des Nations? Ben voilà, il était prévu investir des sous
pour retaper et remettre en ordre la mythique place. Si, parce qu’au
fil des ans la négligence caractéristique de la ville par rapport à
son patrimoine architectural ainsi que les éléments ont transformé
la place en un lieu qui fait davantage penser à Pripiat.
La
place des Nations je vous en ai parlé souvent ici, à plusieurs
reprises même; ici,
par-là,
encore
ici, là
également, par
ici, sans oublier ici
également et là
aussi. C’est pratiquement un cheval de bataille. Pourquoi? Je
vais piger dans l’article du Métro encore une fois et vous allez
comprendre de suite. Ainsi,
lors d’une réunion du comité exécutif à la ville, Denis Coderre
y est allé de cette déclaration, et je cite :
«On
ne peut pas dépenser de l’argent [inutilement]. Vous aurez à me
convaincre [de la valeur de ce projet].
Ça,
c’est le maire de Montréal qui dit ça. Allons plus loin où il
rajoute, et je re-cite encore : «[La place des Nations] ça m’a
plus l’air du festival de la manne [que d’autre chose]. Je ne
suis pas sûr qu’on devrait faire ça». Mettre de la tourbe sur le
parterre au milieu, pas de problème, le maire n’a pas l’air
contre. Maintenant allons voir du côté de l’opposition
officielle, dûment représentée par Richard Bergeron, le chef du
parti Projet Montréal. Que dit-il à ce sujet?
«C’est
du gaspillage d’argent. C’est un racoin, prisonnier entre un
viaduc autoroutier et une sortie en descente».
Monsieur
Bergeron, faut-il le souligner n’est pas convaincu mais alors pas
du tout que l’endroit, une fois retapé, attirerait les gens. Maintenant,
je vais y aller avec une question directe et crue : savez-vous
pourquoi le patrimoine architectural de Montréal est sur le cul?
Relisez
les déclarations de messieurs Coderre et Bergeron et vous allez tout
comprendre. En fait, en retournant en arrière, on peut constater que
les maires précédents ont à peu de choses près tenu un discours
semblable sur le legs bâti de notre ville. C’est pour ça qu’on
voit pousser partout d’insipides clapiers de béton aux noms tout
aussi chiatiques en rasant tout ce qu’on peut sans se soucier de
quoi. C’est de cette façon-là qu’on a perdu la maison Van
Horne, Ben’s Deli, Orange Julep (sur Sherbrooke) et combien
d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ici. C’est aussi
à cause de l’incurie des élus que des organismes comme Héritage
Montréal et Sauvons Montréal ont vu le jour. Mais par-dessus tout,
je le redis et le répète encore, ce ne sont pas que des bâtiments
que l’on démolit mais aussi ce qu’ils représentent.
Idem
pour la place des Nations.
Qu’est-ce
que le monde entier connaissait de Montréal avant 1967? À vrai
dire, pas grand-chose. D’accord, y’avait des voyageurs qui
venaient de temps à autres mais la plupart des gens des autres pays
n’avaient aucune idée de ce qu’était Montréal ni de ce que
cette ville avait l’air. En d’autres mots nous n’étions pas
vraiment sur la «map».
Tout
ça a changé le 28 avril 1967 lorsque les caméras de plusieurs
diffuseurs télé d’ici et d’ailleurs ont capté la cérémonie
d’ouverture d’Expo 67, laquelle se tenait, justement, à la place
des Nations où s’étaient rassemblé 7,000 invités tant dans les
gradins qu’au parterre. Pour quantité de gens de plusieurs pays
dans le monde, lorsqu’ils ont regardé tout ça à la télé, les
premières images qu’ils ont eues de Montréal étaient celles de
la place des Nations. Au fil de l’évènement les dirigeants des
pays qui participaient à Expo 67 se sont tous succédé à la
tribune et quantité de vedettes s’y sont produites. Il se trouvait
toujours quelque chose de différent à y voir et entendre.
Mais
voilà, nos élus contemporains ne considèrent pas ou peu, que
d’investir de l’argent dans la réfection de la place des Nations
soit quelque chose d’utile. Denis Coderre parle de dépense plutôt
que d’investissement et Richard Bergeron utilise le mot
«gaspillage», ni plus ni moins. Dernière
question : que nous reste-t-il d’Expo 67?
- La
biosphère? Elle n’a plus son aspect d’origine depuis l’incendie
de mai 1976 et présentement son sort est nébuleux.
- Le
pavillon de la Corée? Soyons sérieux, il ne s’agit plus que d’un
condo à siffleux et pigeons doublé d’un abribus glorifié dont il
ne reste que les colonnes et le toit.
- Le
pavillon de la Tunisie? Il ne ressemble en rien à ce qu’il avait
l’air en 1967. C’est devenu un espace tout à fait morne et
parfaitement ordinaire. Mention citron pour avoir placé la mosaïque de l’artiste Tunisien Zoubeir Turki à un bien mauvais endroit (indice: chasse d'eau).
- Le
pavillon de la France? Ne me faites pas rire. On l’a défiguré
pour agrandir cette abomination qu’est le casino.
- Le
pavillon du Québec? Un de ses architectes, Luc Durand, m’a confié
que le pavillon a tellement été modifié qu’on peut tout
simplement dire qu’il a été détruit.
- Le
pavillon de la Jamaïque? Il a été restauré mais il sert à quoi
au juste?
- Le
pavillon du Canada? Il loge l’administration du parc Jean-Drapeau.
- Les
canaux qui faisaient le charme de l’île Notre-Dame? On les a
remplis de terre.
- Le
stabile de Calder? Non seulement il n’occupe plus son emplacement
originale mais il s’en est fallu de peu pour que l’immense
sculpture se retrouve au milieu d'une intersection de Montréal, quelque chose
qui aurait eu autant de sens qu’un poisson dans un arbre.
Voyez?
Physiquement il ne reste presque rien de cet événement qui nous a
amené 50 millions de visites et qui a fait permis à Montréal de
s’ouvrir sur le monde et vice-versa. Même la mémoire de
l’événement est tronquée puisqu’il se trouve encore quantité
de gens qui confondent Expo 67 et Terre des Hommes. Pourquoi? Parce
qu’on semble avoir sciemment choisi d’envoyer aux poubelles tout
ce qu’Expo 67 a été et a représenté.
Y’a
aussi un autre bout qui faisait partie intégrante d’Expo 67 et qui
s’appelait la Cité du Havre. Vous savez, c’est là qu’on a
construit Habitat 67 et où se trouvait aussi de magnifiques
pavillons. Évidemment on a tout rasé. Ne reste que les fragments
asphaltés des allées piétonnières ainsi que les moignons de
lampadaires que l’on a décidé de couper à la torche. Plus à
l’ouest, laissé à l’abandon dans la négligence la plus totale,
la
Giboulée
de l’artiste Jean Cartier, gît telle une épave.
Mieux,
ou pire c’est selon, il se trouve à la place des Nations, bien
fixée sur le socle de béton où se trouvait la torchère, une
plaque qui commémore Expo 67 mais qui comporte une erreur notable;
en effet il y est indiqué qu’Expo 67 s’est terminée le 27
octobre alors qu’en réalité elle s’est terminée le 29 octobre.
Cette erreur est tout simplement due au fait que pour inscrire la
date de clôture on s’est fié au guide officiel, lequel a été
conçu et imprimé en 1966. Les dirigeants d’Expo 67 se sont rendu
compte que clore l’évènement le 27 octobre, soit un vendredi, ne
faisait pas de sens alors on a présenté une demande spéciale au
Bureau International des Expositions pour repousser la fermeture de
deux jours afin que ça puisse tomber un dimanche. Ce qui, faut
l’avouer, avait plus de sens.
Sur
le site d’Archives Canada ce n’est pas diable mieux puisque l’on
apprend, avec stupéfaction, qu’il se trouvait dans le pavillon
américain, bien exposé, les parachutes… de la navette spatiale.
Non, je ne rigole pas, allez voir par vous-mêmes. C’est
ici.
Sérieux! La navette spatiale, bordel! Un bidule dont le budget de
développement n’a été approuvé par Nixon qu’en 1972. On se
serait attendu d’un peu plus de rigueur de la part d’un organisme
officiel chargé de conserver la mémoire de notre Histoire.
La
place des Nations, telle qu’elle se trouve dans l’estime de nos
politiciens actuels, s’inscrit dans cette longue liste où la
mémoire d’Expo 67 est malmenée. Mais bon, je m’égare un peu
mais n’en reste pas moins que je ne comprends d’aucune façon la
réaction de nos dirigeants politique par rapport au sort de la place
des Nations. Plutôt que de parler de dépenses ou de gaspillage,
pourquoi ne pas parler d’investissement? Pourquoi ne pas profiter
de cette occasion unique pour faire de la place des Nations un
mémorial d’Expo 67 couplé d’un centre commémoratif ou centre
d’interprétation? Parce que voilà le truc: nous n’avons pratiquement aucun mémorial sur cet
événement, le plus important et le plus significatif du 20è siècle
au pays. L’information, comme je vous l’ai montré, comporte des
erreurs flagrantes quand ce n’est pas du galvaudage pur et simple.
Ce qui en résulte est un enfouissement graduel de la mémoire d’Expo
67 et, comme bien d’autres pans de notre Histoire, on en viendra un
jour à ne plus se souvenir. Cela viendra, encore une fois, confirmer
ce que je dis depuis des lustres; que la devise du Québec devrait
être : Je me souviens… de rien.
«Aussi,
avec une ferveur égale à celle qui m’a toujours personnellement
animée, je conserve l’espoir qu’il sera possible de préserver
de la destruction, des bâtiments et des éléments, qui devraient
continuer de rappeler d’une façon permanente en terre d’Amérique,
la réalité d’une civilisation universelle, reconstituée quant au
passé, des choses qui ont résisté à l’usure du temps, de celles
qui ont triomphé des haines et des guerres, et quant à l’avenir,
exprimée par des formes architecturales ou graphiques, nouvelles ou
renouvelées, des états actuels de la science ou de l’art, et
surtout, par des indications claires et précises, du recul des
frontières de la misère et de la faim, de l’ignorance et de la
pauvreté.»
Jean Drapeau
Extrait de discours, 1967
Place des nations
Le
saviez-vous? Lors d’Expo 67 les dirigeants de nombreux pays
donnaient des discours à la place des Nations mais malheureusement
cela coïncidait avec le passage de l’aéroglisseur dont le vacarme
enterrait l’allocution, ce qui ne manquait jamais de faire rager le
commissaire-général d’Expo 67, Pierre Dupuy.