jeudi 18 avril 2013

Splish splash

Dites, vous avez une baignoire chez-vous?

Question idiote, vous allez me dire. Qui c'est qui n'a pas de bain aujourd'hui à la maison. On va donc reculer de quelques cases par en-arrière. Juste assez pour revenir au début du vingtième siècle.

Maintenant, combien de gens possèdent des choses aussi rudimentaires que l'eau chaude et une baignoire?

Pas beaucoup.


Les gens aisés financièrement en ont, possiblement avec un chauffe-eau Gurney tel qu'annoncé dans cette publicité de 1889, mais les pauvres, qui constituaient une bonne partie de la population n'en avaient pas du tout. Fallait donc faire preuve d'ingéniosité pour ne pas sentir le p'tit canard. Une des méthodes utilisées était de l'eau chauffée sur le poêle et qu'on versait dans une cuve, souvent en fer blanc. On changeait l'eau entre chacun, non?

Pas vraiment. Chez les gens pauvres ou de la classe ouvrière l'eau était une commodité de luxe, parfois achetée d'un porteur d'eau qui la puisait quelque part comme le fleuve, la mettait en tonneau et parcourait les rues pour la vendre.

Il y avait d'autres façons de se garder propre; on allait directement dans le fleuve ou sur les abords du canal Lachine par exemple (si, si). Les gens s'y jetaient complètement à poil. Souvent, pas trop loin de la rue. Assez proche pour que, si vous étiez un homme, l'on sache de quelle religion vous étiez. On a voté des lois contre ça. Deux fois même. En 1865 et 1870 mais ça demeurait un «sport» populaire. Au grand dam des dames qui s'en faisaient parfois mettre un peu trop dans la vue.

Avant de souhaiter aller vivre dans le passé où se baigner à poil à Montréal semblait coutume, sachez que si vous vous faisiez pogner ça risquait de vous coûter gros. Parlez-en à ces six hommes et femmes qui se sont fait prendre à complètement à poil en 1889 alors qu'ils se baignaient à l'île Ronde (aujourd'hui le lac des Dauphins et dont le parc d'amusement tire son nom). Ils ont été condamnés à payer $5 d'amende, qui était une sorte de petite fortune dans le temps. Dans les cas de récidive le montant pouvait grimper à $40 et deux mois de prison.

Autre affaire à retenir: l'eau du canal Lachine n'était probablement pas la meilleure pour s'y baigner. Sûrement que toute la concentration d'industries de toutes sortes n'y est pas étrangère... Les normes environnementales dans ce temps-là étaient à toute fins pratiques inexistantes.

C'est pour ça que l'on a construit tout un tas de bains publics un peu partout. Il en existe encore un certain nombre, quoi qu’aujourd’hui on les appelle tout simplement des piscines. Mais si vous ouvrez l’œil vous verrez sur ces bâtiment les anciennes appellations. C'est le cas du Bain Quintal, du Bain Mathieu et aussi le Bain Maisonneuve. Prenons ce dernier comme exemple, si vous le voulez bien.

La ville de Maisonneuve est une municipalité qui a le vent dans les voiles et pour l'élite qui en mène la destinée, y'a rien de trop beau pour la classe ouvrière et c'est le cas de le dire. On veut faire de Maisonneuve un ville moderne, dotée de ce qu'il y a de mieux et de plus beau. Incluant un bain public qui ferait des jaloux. L'idée d'un tel bain est venue du maire de la ville de Maisonneuve, Alexandre Michaud ainsi que des frères Dufresne (propriétaires du château du même nom sur la rue Sherbrooke).

 (Crédit photo: Musée McCord)

Les plans du bain sont dessinés par Marius Dufresne qui s'adonne justement à être architecte. Et Marius ne lésine pas sur le style. Remarquez il aurait pu faire une simple boîte en brique tout à fait banale pour que ca ne coûte pas trop de sous mais il a plutôt opté pour le style beaux-arts. Et avec la pédale dans le tapis à part cela. C'est d'ailleurs un peu pour cette raison que le budget initial de $30,000 ($610,000 aujourd'hui) a été légèrement dépassé pour se chiffrer, sur la facture finale, à près de $300,000 ($6 millions aujourd'hui) comme quoi les dépassements de coûts faramineux ne sont pas une invention récente.

Malgré que Marius semble avoir été fortement inspiré par le bain public situé sur la 23è avenue à New York le résultat a de quoi impressionner; colonnades, portique, grand escalier, fronton et statues imposantes. C'est d'ailleurs un des plus beaux bâtiments de ce genre en Amérique du Nord. 


La construction a commencé en 1914 et l'année suivante on s'y lavait et on s'y baignait. En 1920 la police de Montréal s'est servi du gymnase a des fins d'entraînement et ça, jusqu'en 1960. Aujourd'hui le bain Maisonneuve ne sert plus de bain public, évidemment, et les anciens bains privés dans lesquels les ouvriers se lavaient ont été enlevés vers 1962. Par contre la piscine y est toujours et on peut y patauger allègrement. 

 
Saviez-vous ça vous autres? Quand une famille dans l'temps devait s'laver c'était un après l'autre, du père jusqu'au plus jeune. Dans cet ordre-là. Faque veut, veut pas, après trois ou quatre «lavages» l'eau commençait à avoir l'air d'la Rivière-des-Prairies pis rendu à bébé l'eau était rendu noire comme de l'encre. Fallait faire attention pour pas vider la cuve par la fenêtre sans vérifier si l'bébé en question était pas dedans. Connaissez l'expression «Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain?». Ça vient de là. 

1 commentaire:

  1. Merci pour cette explication de cette expression connue! Je ne savais pas! Maintenant je vas pouvoir avoir l'air savante! :-)

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