Dites, vous avez une
baignoire chez-vous?
Question idiote, vous
allez me dire. Qui c'est qui n'a pas de bain aujourd'hui à la
maison. On va
donc reculer de quelques cases par en-arrière. Juste assez pour revenir
au début du vingtième siècle.
Maintenant, combien de
gens possèdent des choses aussi rudimentaires que l'eau chaude et
une baignoire?
Pas beaucoup.
Les gens aisés
financièrement en ont, possiblement avec un chauffe-eau Gurney tel qu'annoncé dans cette publicité de 1889, mais les pauvres, qui constituaient une bonne
partie de la population n'en avaient pas du tout. Fallait donc faire
preuve d'ingéniosité pour ne pas sentir le p'tit canard. Une des
méthodes utilisées était de l'eau chauffée sur le poêle et qu'on
versait dans une cuve, souvent en fer blanc. On changeait l'eau entre
chacun, non?
Pas vraiment. Chez les gens pauvres ou de la classe ouvrière l'eau était une commodité de luxe, parfois achetée d'un porteur d'eau qui la puisait quelque part comme le fleuve, la mettait en tonneau et parcourait les rues pour la vendre.
Il y avait d'autres façons
de se garder propre; on allait directement dans le fleuve ou sur les
abords du canal Lachine par exemple (si, si). Les gens s'y jetaient complètement à poil.
Souvent, pas trop loin de la rue. Assez proche pour que, si vous
étiez un homme, l'on sache de quelle religion vous étiez. On a voté
des lois contre ça. Deux fois même. En 1865 et 1870 mais ça demeurait un «sport»
populaire. Au grand dam des dames qui s'en faisaient parfois mettre
un peu trop dans la vue.
Avant de souhaiter aller
vivre dans le passé où se baigner à poil à Montréal semblait
coutume, sachez que si vous vous faisiez pogner ça risquait de vous
coûter gros. Parlez-en à ces six hommes et femmes qui se sont fait
prendre à complètement à poil en 1889 alors qu'ils se baignaient à
l'île Ronde (aujourd'hui le lac des Dauphins et dont le parc
d'amusement tire son nom). Ils ont été condamnés à payer $5
d'amende, qui était une sorte de petite fortune dans le temps. Dans
les cas de récidive le montant pouvait grimper à $40 et deux mois
de prison.
Autre affaire à retenir:
l'eau du canal Lachine n'était probablement pas la meilleure pour
s'y baigner. Sûrement que toute la concentration d'industries de
toutes sortes n'y est pas étrangère... Les normes environnementales
dans ce temps-là étaient à toute fins pratiques inexistantes.
C'est pour ça que l'on a construit tout un tas de bains publics un peu partout. Il en existe encore un certain nombre, quoi qu’aujourd’hui on les appelle tout simplement des piscines. Mais si vous ouvrez l’œil vous verrez sur ces bâtiment les anciennes appellations. C'est le cas du Bain Quintal, du Bain Mathieu et aussi le Bain Maisonneuve. Prenons ce dernier comme exemple, si vous le voulez bien.
La ville de Maisonneuve
est une municipalité qui a le vent dans les voiles et pour l'élite
qui en mène la destinée, y'a rien de trop beau pour la classe
ouvrière et c'est le cas de le dire. On veut faire de Maisonneuve un
ville moderne, dotée de ce qu'il y a de mieux et de plus beau.
Incluant un bain public qui ferait des jaloux. L'idée d'un tel bain
est venue du maire de la ville de Maisonneuve, Alexandre Michaud
ainsi que des frères Dufresne (propriétaires du château du même
nom sur la rue Sherbrooke).
(Crédit photo: Musée McCord)
Les plans du bain sont
dessinés par Marius Dufresne qui s'adonne justement à être
architecte. Et Marius ne lésine pas sur le style. Remarquez il
aurait pu faire une simple boîte en brique tout à fait banale pour
que ca ne coûte pas trop de sous mais il a plutôt opté pour le
style beaux-arts. Et avec la pédale dans le tapis à part cela.
C'est d'ailleurs un peu pour cette raison que le budget initial de
$30,000 ($610,000 aujourd'hui) a été légèrement dépassé pour se
chiffrer, sur la facture finale, à près de $300,000 ($6 millions
aujourd'hui) comme quoi les dépassements de coûts faramineux ne sont pas une invention
récente.
Malgré que Marius semble
avoir été fortement inspiré par le bain public situé sur la 23è
avenue à New York le résultat a de quoi impressionner; colonnades,
portique, grand escalier, fronton et statues imposantes. C'est
d'ailleurs un des plus beaux bâtiments de ce genre en Amérique du
Nord.
La construction a
commencé en 1914 et l'année suivante on s'y lavait et on s'y
baignait. En 1920 la police de Montréal s'est servi du gymnase a des
fins d'entraînement et ça, jusqu'en 1960. Aujourd'hui le bain
Maisonneuve ne sert plus de bain public, évidemment, et les anciens
bains privés dans lesquels les ouvriers se lavaient ont été
enlevés vers 1962. Par contre la piscine y est toujours et on peut y
patauger allègrement.
Saviez-vous ça vous autres? Quand une famille dans l'temps devait s'laver c'était un après l'autre, du père jusqu'au plus jeune. Dans cet ordre-là. Faque veut, veut pas, après trois ou quatre «lavages» l'eau commençait à avoir l'air d'la Rivière-des-Prairies pis rendu à bébé l'eau était rendu noire
comme de l'encre. Fallait faire attention pour pas vider la cuve par la
fenêtre sans vérifier si l'bébé en question était pas dedans.
Connaissez l'expression «Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain?». Ça vient de là.
Merci pour cette explication de cette expression connue! Je ne savais pas! Maintenant je vas pouvoir avoir l'air savante! :-)
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