Nous sommes le 2 avril 1873 et le gouvernement Conservateur de John A. Macdonald est dans le caca jusqu'au cou à cause du scandale du Pacifique. On peut remercier, comme on l'a vu dans l'article précédent, George McMullen qui a décidé d'aller voir les Libéraux et de tout étaler les vilaines manigances d'Allan et de Macdonald comme un fermier qui étend son fumier.
Bref, il n'y a rien dans tout cela qui sent très bon et pour tout dire ça n'augure pas bien pour le parti de Macdonald qui se saigne de ses membres. Ce jour-là à la Chambre des Communes le Libéral Lucius Seth Huntingdon tente d'introduire une motion afin de faire tomber le gouvernement. La motion ne passe pas mais au fil des mois qui suivent d'autres révélations viennent s'ajouter à la montagne fumante qui existe déjà. Macdonald a pu se maintenir au pouvoir malgré tout mais plus pour longtemps.
Lucius Seth Huntingdon
Le 4 novembre 1873 à une heure du matin il y a tout un brouhaha dans la Chambre des Communes. En effet, une nouvelle motion pour faire chuter les Conservateurs est mise en branle et cette fois-ci le vote est égal et on attend impatiemment que le député [conservateur] indépendant de Selkirk (Manitoba) prenne position. S'il vote avec les Libéraux les Conservateurs tombent, sinon, Macdonald et son gouvernement reste en poste.
Ce député est Donald Alexander Smith, officier de la compagnie de la Baie d'Hudson. Il y a un certain chahut qui règne jusqu'à ce que Smith se lève de sa chaise. Macdonald est écrasé dans sa chaise et ressemble à cadavre. Il s'attend au pire. Le silence tombe alors que tous les yeux sont rivés sur Smith, lequel ne précipite aucunement l'exécution. Et pourquoi le ferait-il? Ce n'est pas tous les jours qu'on tient le premier ministre du Canada par les parties tendres après tout.
Donald Alexander Smith
Smith débute avec des commentaires gracieux sur Macdonald ainsi que son dévouement pour le pays et affirme ne pas croire que Macdonald ait pu accepter l'argent de Hugh Allan à des fins malhonnêtes. C'est tout ce qu'il faut à une bande de Conservateur, convaincus de leur victoire, pour qu'ils se lèvent de leurs sièges, fassent plein de grimaces aux Libéraux pour ensuite se rendre au restaurant du Parlement où on peut les entendre tonner "God Save the Queen".
Mais Smith n'a pas fini. Oh que non!
Il dit à la Chambre qu'il était prêt à soutenir le gouvernement actuel (clameur du côté des Conservateurs) mais prononçe ces paroles qui sonnent comme une douce mélodie aux oreilles des Libéraux: "Pour l'honneur du pays, aucun gouvernement ne devrait exister s'il pèse sur lui ne serait-ce que l'ombre d'un soupçon, et voilà pourquoi je ne peux en toute conscience de cause lui offrir mon support".
Et pouf!
Le gouvernement de Macdonald n'a d'autre choix que de démissionner le 5 novembre. Le pays s'en va alors en élections et le 22 janvier 1874 les Canadiens élisent le gouvernement Libéral D'Alexander Mackenzie avec une très nette majorité.
Toutefois, la traîtrise de Smith et la déroute de Macdonald ne pouvait survenir à un meilleur moment; le pays s'en allait vers une récession économique, le projet de chemin de fer transcontinental était en lambeaux et le pays contemplait la dette. Macdonald s'installa dans son fauteuil, prit certainement une bonne lampée de brandy et se dit qu'il valait mieux laisser Mackenzie se débrouiller avec toute cette merde et arriver comme des sauveurs lors de la prochaine élection.
Ho ho hi.
Et effectivement, le gouvernement de Mackenzie se retrouva dans un joyeux bourbier financier dont il n'était nullement responsable mais que tout le monde s'attendait à ce qu'il le corrige. Vous connaissez trente-six façons pour un gouvernement de faire face à un déficit sinon que de hausser les taxes? Vous avez déjà vu un gouvernement devenir très populaire en prenant cette décision?
Ben voilà.
Qui plus est, Macdonald avait rempli le fonctionnariat du gouvernement d'amis, ce faisant, les gens sur qui Mackenzie comptait pour mener à bien ses politiques devaient leur emploi à Macdonald et leur allégeance était évidemment pour le parti Conservateur. Mackenzie détestait ce genre de pratique que Macdonald avait finement mis au point mais il n'avait d'autre choix. Quant au chemin de fer, les Libéraux de Mackenzie le supportaient mais de un ils n'étaient pas d'accord mais alors là pas du tout avec l'accord conclu avec la Colombie-Britannique (le délai de dix ans, vous vous souvenez?) mais encore souhaitaient-ils le construire par étapes selon les moyens du gouvernement.
Alexander Mackenzie
En 1874 ils tentèrent les investisseurs potentiels avec de généreuses subventions. Seulement, et comme je l'ai dit plus haut, il y avait une récession économique et on ne peut pas dire qu'on se pressait aux portes pour obtenir le contrat, surtout que les odeurs marécageuses du scandale du Pacifique étaient encore assez persistantes... A l'autre bout du Canada, la Colombie-Britannique tapait du pied alors qu'il ne restait que cinq ans pour parachever le chemin de fer sans lequel la province allait très certainement se joindre aux États-Unis.
Pendant son mandat, Mackenzie ne fait construire que 380 kilomètres de voies ferrées et il considère qu'il en vaut mieux ainsi; faire juste ce qu'il faut de travaux pour satisfaire la Colombie-Britannique tout en attendant que les conditions économiques s'améliorent. Et pourquoi pas espérer qu'un groupe quelconque se montre intéressé par le projet et prenne alors la construction de la ligne intercontinentale en main. Malgré les progrès anémiques du gouvernement Mackenzie, on peut douter que quiconque aurait pu faire mieux avec les conditions qui prévalaient à cette époque. Les électeurs ne l'ont pas vu de la même façon cepandant, comme quoi la mémoire courte chez ceux-ci ne date pas d'hier!
Le 17 septembre 1878, comme prévu, les Conservateurs de Macdonald reviennent au pouvoir et avec eux s'amène le "National Policy" qui se veut une série de mesures visant à protéger les industries canadiennes de celles américaines qui déversent au Canada leur surplus de production. L'arrivée des Conservateurs coïncide avec la fin de la récession (il n'y a pas de cause à effet, rassurez-vous). Entre temps, en avril 1879, John Henry Pope est bien décidé à nettoyer la crasse qu'a laissé le scandale du Pacifique en s'appropriant le Ministère des Travaux Publics ainsi que des Chemins de Fer et Canaux. Il annonce en grandes pompes la construction de quelques centaines de kilomètres de voies en Colombie-Britannique mais n'y donne pas suite. De toute façon aucune route n'a été encore choisie alors ce fut une annonce quelque peu inutile.
Bien que les conditions économiques s'améliorent de jour en jour la dernière chose que Macdonald désire c'est de se remettre les deux pieds dans le marécage du chemin de fer qui ne se construit toujours pas et il ne reste alors que trois ans. Idéalement ça prend quelqu'un d'autre, idéalement un Syndicat de financiers qui pourraient alors tout prendre entre leurs mains. Comme ça, si ça foire c'est eux qui en prennent plein la tronche.
Dans le prochain et dernier article de cette mini-série on verra comment un tel Syndicat de financiers en vint à obtenir le fameux contrat du chemin de fer intercontinental et qui donna ainsi naissance à la compagnie dont on fêtera les 130 ans vendredi.
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