Je l'ai déjà dit dans un ou deux articles précédents; assembler des modèles réduits était l'une de mes activités favorites quand j'étais gamin. Des monstres, surtout. Et puis un jour comme ça dans les années 70 j'ai fait la rencontre de celui qui allait devenir un de mes très bons amis, Daniel.
Daniel aimait bien les modèles à coller lui aussi. Peut-être pas les monstres par contre. Lui il trippait plus sur les voitures et les gros camions. C'est d'ailleurs un peu grâce à lui si j'ai pu élargir davantage mon éventail de modèles. Un petit plaisir coupable qu'on s'est rapidement découvert était d'aller, comme ça, dans un magasin ou un autre (préférablement là où il y avait le plus de choix) pour s'acheter chacun un modèle avec tout ce qu'il fallait pour l'assembler et le peindre. Puis on revenait chez-lui où, dans un espace spécialement aménagé à l'arrière de son garage, on s'installait pour construire nos modèles respectifs.
Il y avait tout de même un différence notable entre Daniel et moi; lui il les assemblait avec un souci du détail peu commun. Ca m'impressionnait pas mal. Pas de farces, il étudiait encore la boîte (qu'il n'avait même pas encore ouverte) que j'avais déjà fini le mien.
Ouais, faut dire que mon modèle une fois fini n'était qu'un vulgaire amas de pièces grossièrement assemblées avec beaucoup trop de colle qui faisait plein de fils partout.
Pour illustrer un peu à quel point j'étais carrément nul (pas à cause que j'étais maladroit mais bien parce que je n'avais pas la patience de bien faire l'assemblage), j'avais reçu en cadeau de quelqu'un dans la famille un modèle à coller du fameux voilier Cutty Sark, un clipper britannique de type trois-mâts carré construit en 1869 (le vrai voilier, pas le modèle).
Je vous conterai pas d'histoire, ce modèle en était un assez impressionnant de par le nombre de pièces, petites et grandes, qu'il y avait dans la boîte, en plus des cordages et des voiles à découper. Pas besoin de vous dire que me mettre un tel modèle entre les mains à ce moment-là n'était rien d'autre qu'une catastrophe annoncée. Et pourtant, ce modèle n'était que de difficulté de niveau 2! J'avais certes fait des "progrès"; j'étais plus patient, je ne mettais pplus l'équivalent d'un tube de colle pour assembler deux pièces, mais malgré tout, mon Cutty Sark avait l'air d'avoir passé à travers une tempête après s'être battu contre Godzilla. Si ça avait été un vrai bateau il n'aurait jamais tenu l'eau deux secondes. Le pont était tout croche alors en mer tout aurait barouetté du même bord (tribord ou babord, peu importe) et personne n'aurait pu manger de soupe sans faire d'immondes dégâts. J'aime mieux ne pas penser aux chiottes. Les voiles en plastique, vingt-sept au total (c'était vint-six de plus que mes compétences le permettaient) n'étaient même pas placées dans le bon ordre... La misaine était à la place du grand foc, la brigantine maladroitement fichue là où devait être l'hunier fixe de fougue, le clinfoc qui pendouillait au lieu du grand hunier volant et les voiles d'étai toutes empêtrées là où on aurait dû trouver le petit foc, le grand foc et le faux foc. Alors le bateau n'aurait pas été ben loin, sans compter tous les cordages. Ah oui, parlons-en des cordages. Les instructions étaient claires (quoiqu'un peu compliquées) quand à la pose de ceux-ci sur les mâts et les voiles. Mais, manquant cruellement de patience j'avais pris du vulgaire fil à coudre, chippé à ma couturière de grand-mère, et j'avais fait un emberlificotage tout à fait immonde qui donnait l'impression que le voilier s'était pris dans une gigantesque toile d'araignée.
Bref, un désastre total.
Un jour comme ça, mon ami Daniel, vrai pro des modèles à coller, est revenu de vacances. Il avait été se balader aux z'états et il avait eu l'aimable gentillesse de m'offrir un modèle à coller qu'il m'avait acheté en cadeau là-bas. C'était une camionnette Chevrolet jaune assez pimpante. Sur la boîte en tout cas. Bien content j'étais, y'a pas à dire. Sauf que j'avais vu dans ce cadeau un genre de message de la part de Daniel, du genre "Ça te tenterait pas de le faire comme du monde celui-là?". Alors on s'est retrouvé comme ça un peu plus tard dans le petit atelier dans son garage sous le regard bienveillant "d'images saintes" dont je vous reparlerai un jour dans un autre article).
L'atelier au fond du garage ainsi que la table à pentures où Daniel assemblait méticuleusement ses modèles.
Daniel avait le camion-remorque de la populaire série télé "BJ & the Bear, un magnifique Freightliner rouge avec de maudites belles décalques et moi avec ma camionnette.
Comme Daniel aimait les joyeux défis, les modèles de la compagnie AMT, connus pour leurs millions de pièces, étaient de choix.
Ce jour-là j'ai décidé de regarder Daniel s'y prendre et d'apprendre un peu de lui. C'était impressionnant de le voir étudier la boîte pendant de longues minutes, la déballer avec soin, de l'ouvrir comme un aficionado du cigare ouvre une boîte de cubains.
Daniel qui ouvre la boîte de son modèle (dramatisation, car Daniel ne fumait pas).
Pendant de longues minutes il observait les pièces, séparait les grappes des instructions et rangeait soigneusement les décalcomanies après les avoir admirées. Moi, j'avais de l'urticaire à le regarder et je travaillais pas mal fort à me contenir tout en essayant d'en apprendre sur l'art du modélisme intelligent.
Quand venait le temps de l'assemblage Daniel n'était vraiment pas le genre pressé. Il pouvait prendre une, deux ou même trois semaines pour compléter un modèle mais quand il avait terminé je peux vous dire que le résultat vous envoyait la mâchoire par terre. Son camion BJ & the Bear? Il ressemblait à ça une fois fini:
Inspiré de sa façon de faire, j'ai assemblé mon pick-up avec tout le soin et la patience dont j'étais capable. Le résultat, loin d'être aussi beau que le camion de Daniel, m'avait pas mal plu et à partir de ce jour-là je n'ai eu qu'une idée en tête: m'améliorer.
Alors un jour Daniel et moi on a décidé d'aller s'acheter chacun un modèle mais pas n'importe où. Non. Ce jour-là on a fait les choses en grand et on est allé, à pied, au Woolco du centre commercial Langelier (ce Woolco est aujourd'hui un Wal Mart). Ce magasin à rayons, on le savait, était riche en modèles de toutes sortes alors on savait que cette journée-là on se gâtait pas mal. On savait pas ce qu'on allait acheter. Un avion à réaction? Un bateau de guerre? Une voiture de course?
On était là, lui et moi, devant l'étalage impressionnant de modèles et on bavait au gallon. On arrêtait pas de prendre les boîtes les unes après les autres et de constamment changer d'idée quant à ceux qu'on allait prendre. Puis on a fait nos choix respectifs. J'avais pris un avion militaire de la seconde guerre et Daniel avait choisi un rutilant Chevrolet Bel-Air 57 avec des flammes sur les côtés. En revenant on ne cessait de se raconter comment on les assemblerait et tout. Revenus dans le petit atelier, on a tout sorti pour tout admirer. Ayant appris de Daniel j'étais à étudier mon modèle très soigneusement quand tout à coup j'entend un cri de détresse comme jamais je n'en ai entendu un de ma vie. Daniel regardait sa boîte avec cette expression:
Je ne comprenais pas vraiment. J'avais beau regarder la boîte je ne voyais absolument pas ce qu'il pouvait y avoir d'aussi terrifiant aux yeux de Daniel. Puis il s'exclama, comme dans un opéra dramatique "OH NOOOOON, C'EST UN SNAP-TITE!!!!!!!!"
Le
Snap-Tite, pour ceux qui savent pas, c'était une variété de modèle qui ne nécessitait aucune colle du fait que les morceaux s'emboîtaient d'un seul clic. Et les morceaux, justement, y'en avait pas beaucoup. En quatre ou cinq clics le modèle était assemblé. C'était un peu la version maternelle des modèles à coller. Pour Daniel qui était habitués aux modèles universitaires à 300 pièces ça tirait évidemment du cauchemar. En tout cas, si y'a une chose que j'ai appris de Daniel cette journée-là ça été de bien lire les boîtes...
Le saviez-vous? Les premiers modèles réduits en plastique ont été fabriqués par la compagnie britannique Frog, à la fin de 1936.