samedi 9 mars 2013

La fille du Shea

Elle était jeune. Quinze ans. Possiblement seize. Peut-être dix-sept. Si vous savez ce que je veux dire. Et elle se tenait là. Comme d’autres filles de son âge elle avait découvert les Beatles de par la radio, puis à la télévision en écoutant le Ed Sullivan Show. Des disques elle en avait, tout comme des affiches dans sa chambre. La musique des Fab Four, qu’elle écoutait encore et encore la transportait, imaginant possiblement que Paul et John s’adressaient à elle lorsqu’ils chantaient And I Love Her, I Saw Her Standing There, From me to You ou encore All my Loving.
 
Durant l’été de 1965 elle s’est empressée, comme 55,000 autres fans, d’acheter son billet pour le concert que les Beatles allaient donner au stade Shea où jouaient les Mets de New York. Mais pas de baseball ce soir-là. D’ailleurs c’était la première fois, dans l’histoire de la musique, que l’on utilisait un stade pour une performance musicale.

Acheté très tôt, son billet lui a garanti une place de choix, dans les premières rangées de sièges, tout juste en bas, derrière le marbre près du terrain. Elle aurait bien voulu y aller mais c’était interdit et surtout formel: pas de spectateurs sur le terrain. Il se trouvait d’ailleurs plus de deux-mille policiers pour s’en assurer. 

 
Vêtue d’un chandail à manches longue blanc avec des lignes bleues et ses longs cheveux bruns au vent, elle a attendu avec ses amies. Elle a écouté, en première partie,les prestations de King Curtis Band, Cannibal and the Headhunters, Brenda Holloway, The Young Rascals et Sounds Incorporated. Elle ne détestait pas mais ils n’étaient pas la raison pour laquelle elle se trouvait là. Mais quand Ed Sullivan s’est approché de la scène, qui se trouvait près du deuxième but, elle s’est levée. Puis, prenant le micro, il a prononcé ces paroles :

"Now, ladies and gentlemen, honoured by their country, decorated by their Queen, loved here in America, here are The Beatles!"

Lorsque Paul, John, George et Ringo sont finalement arrivés sur le terrain, sortant tout droit d’un camion de la Wells Fargo, elle a joint ses cris à ceux de tous les autres dans le stade. Elle s’est accrochée au filet de sûreté, celui qui, durant les parties de baseball empêche les fausses balles de se trouver dans la foule. Plus bas, les policiers bouchaient leurs oreilles avec leurs mains. 

 
Puis ils ont commençé à jouer. Twist And Shout pour commencer, suivi de She's A Woman puis par I Feel Fine et ensuite Dizzy Miss Lizzy. Rendu à Ticket To Ride elle se trouvait dans un autre monde. Toujours debout, solidement accrochée au filet, elle s’est dandinée, comme sur un bateau qui tangue sur la houle. Et elle hurlé sa passion, son amour et sa dévotion vers ses idoles qui se trouvaient plus loin, lancé un cri primal venant du fond de l’âme et elle est restée agrippée au filet, se laissant porter jusqu’à la fin. 



Lorsque le Fab Four a quitté le terrain, quelques trente minutes après être arrivé, s’engouffrant de nouveau dans le même camion de la Wells Fargo, elle est restée debout, dévorant des yeux les derniers instants de cette soirée. Elle allait en garder un souvenir impérissable, bien entendu.

Puis, les années ont passé. Elle a grandi et terminé ses études. En quoi? On ne le sait pas. On peut cependant admettre qu’elle a dû s’effondrer solide lorsque le groupe légendaire s’est séparé quelques années plus tard. A-t-elle suivi Paul McCartney avec les Wings? Ou encore Lennon? Peut-être a-t-elle migré vers d’autres groupes? Possiblement Pink Floyd ou encore Led Zeppelin. S'est-elle mariée? A t-elle raconté à ses enfants ce fameux soir d'août '65? On l'ignore. Elle n'a jamais été identifiée. 

Elle est revenue cepandant, bien des années plus tard. Pour les besoins d’un jeu vidéo sur les Beatles, Rock Band, on a produit une bande-annonce très stylisée, utilisant de l’animation traditionnelle superposée à des images par ordinateur. On y voit défiler la carrière des Beatles du Cavern Club, au Ed Sullivan Show en passant par le mythique stade Shea où, dans une séquence particulière, son cri primal, si iconique du spectacle de ‘65, est repris. 



Le saviez-vous? Les cris des fans étaient tellement forts que les Beatles ne pouvaient même pas s’entendre entre eux sur scène et, incapables de même percevoir la batterie de Ringo (qui a dû jouer à l'aveuglette), ont été obligés de se regarder constamment entre eux pour se synchroniser. Les amplificateurs Vox, d’une puissance de 100w, spécialement fabriqués pour l’occasion, se sont avérés parfaitement inutiles. Lennon, à la fin du concert, a même ironisé sur le bruit en jouant du clavier avec ses coudes. Dans la foule on s'amusait même avec un petit jeu qui s'appelait «guess that song!». Éventuellement les cris ont eu raison des performances «live» des Beatles, lesquelles ont cessé un an plus tard. Prochain rendez-vous: sur le toit de l'édifice sur Saville Row pour un dernier show.

 

2 commentaires:

  1. J'ai beaucoup apprécié cette histoire, ainsi que la dernière photographie. Merci.

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    1. Merci de votre visite et heureux que l'article vous ait plu.

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