Elle
était jeune. Quinze ans. Possiblement seize. Peut-être dix-sept. Si
vous savez ce que je veux dire. Et elle se tenait là. Comme d’autres
filles de son âge elle avait découvert les Beatles de par la radio,
puis à la télévision en écoutant le Ed Sullivan Show. Des disques
elle en avait, tout comme des affiches dans sa chambre. La musique
des Fab Four, qu’elle écoutait encore et encore la transportait,
imaginant possiblement que Paul et John s’adressaient à elle
lorsqu’ils chantaient And I Love Her, I Saw Her Standing There, From me to You ou encore All my Loving.
Durant
l’été de 1965 elle s’est empressée, comme 55,000 autres fans,
d’acheter son billet pour le concert que les Beatles allaient
donner au stade Shea où jouaient les Mets de New York. Mais pas de
baseball ce soir-là. D’ailleurs c’était la première fois, dans
l’histoire de la musique, que l’on utilisait un stade pour une
performance musicale.
Acheté
très tôt, son billet lui a garanti une place de choix, dans les premières
rangées de sièges, tout juste en bas, derrière le marbre près du
terrain. Elle aurait bien voulu y aller mais c’était
interdit et surtout formel: pas de spectateurs sur le terrain. Il se trouvait
d’ailleurs plus de deux-mille policiers pour s’en assurer.
Vêtue
d’un chandail à manches longue blanc avec des lignes bleues et ses
longs cheveux bruns au vent, elle a attendu avec ses amies. Elle a
écouté, en première partie,les prestations de King
Curtis Band, Cannibal and the Headhunters, Brenda Holloway, The Young
Rascals et Sounds Incorporated. Elle ne détestait pas mais ils
n’étaient pas la raison pour laquelle elle se trouvait là. Mais
quand Ed Sullivan s’est approché de la scène, qui se trouvait
près du deuxième but, elle s’est levée. Puis, prenant le micro,
il a prononcé ces paroles :
"Now,
ladies and gentlemen, honoured by their country, decorated by their
Queen, loved here in America, here are The Beatles!"
Lorsque
Paul, John, George et Ringo sont finalement arrivés sur le terrain,
sortant tout droit d’un camion de la Wells Fargo, elle a joint ses
cris à ceux de tous les autres dans le stade. Elle s’est accrochée
au filet de sûreté, celui qui, durant les parties de baseball
empêche les fausses balles de se trouver dans la foule. Plus bas,
les policiers bouchaient leurs oreilles avec leurs mains.
Puis
ils ont commençé à jouer. Twist
And Shout
pour commencer, suivi de She's
A Woman puis
par I
Feel Fine
et ensuite Dizzy
Miss Lizzy.
Rendu à Ticket
To Ride elle se trouvait dans un autre monde. Toujours debout,
solidement accrochée au filet, elle s’est dandinée, comme sur un
bateau qui tangue sur la houle. Et elle hurlé sa passion, son amour
et sa dévotion vers ses idoles qui se trouvaient plus loin, lancé
un cri primal venant du fond de l’âme et elle est restée agrippée au filet, se
laissant porter jusqu’à la fin.
Lorsque
le Fab Four a quitté le terrain, quelques trente minutes après être
arrivé, s’engouffrant de nouveau dans le même camion de la Wells
Fargo, elle est restée debout, dévorant des yeux les derniers
instants de cette soirée. Elle allait en garder un souvenir
impérissable, bien entendu.
Puis,
les années ont passé. Elle a grandi et terminé ses études. En quoi? On ne
le sait pas. On peut cependant admettre qu’elle a dû s’effondrer
solide lorsque le groupe légendaire s’est séparé quelques années
plus tard. A-t-elle suivi Paul McCartney avec les Wings? Ou encore
Lennon? Peut-être a-t-elle migré vers d’autres groupes?
Possiblement Pink Floyd ou encore Led Zeppelin. S'est-elle mariée? A t-elle raconté à ses enfants ce fameux soir d'août '65? On l'ignore. Elle n'a jamais été identifiée.
Elle est revenue cepandant, bien
des années plus tard. Pour les besoins d’un jeu vidéo sur les
Beatles, Rock Band, on a produit une bande-annonce très stylisée,
utilisant de l’animation traditionnelle superposée à des images
par ordinateur. On y voit défiler la carrière des Beatles du Cavern
Club, au Ed Sullivan Show en passant par le mythique stade Shea où,
dans une séquence particulière, son cri primal, si iconique du spectacle de ‘65, est repris.
Le saviez-vous? Les cris des fans étaient tellement forts que les Beatles ne pouvaient même pas
s’entendre entre eux sur scène et, incapables de même percevoir
la batterie de Ringo (qui a dû jouer à l'aveuglette), ont été obligés de se regarder constamment entre eux pour
se synchroniser. Les amplificateurs Vox, d’une puissance de 100w,
spécialement fabriqués pour l’occasion, se
sont avérés parfaitement inutiles. Lennon, à la fin du concert, a même ironisé sur le bruit en jouant du clavier avec ses coudes. Dans la foule on s'amusait même avec un petit jeu qui s'appelait «guess that song!». Éventuellement les cris ont eu raison des performances «live» des Beatles, lesquelles ont cessé un an plus tard. Prochain rendez-vous: sur le toit de l'édifice sur Saville Row pour un dernier show.
J'ai beaucoup apprécié cette histoire, ainsi que la dernière photographie. Merci.
RépondreEffacerMerci de votre visite et heureux que l'article vous ait plu.
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