dimanche 30 juin 2013

Smith Corona en 1949


Voici une jeune et charmante jeune fille, sans aucun doute fraîchement émoulue de son cours commercial (ne pas confondre avec le cours classique) et qui s’apprête à taper une lettre pour un nouveau patron. C’était l’époque de ce métier que l’on connaissait sous le nom de dactylo, ou parfois sténo-dactylo. Taper avec une machine à écrire n’était qu’une partie du travail parce qu'auparavant il fallait que la jeune fille écrive s’installe auprès de son patron qui dictait alors la lettre. Et celui-ci ne parlait pas lentement comme dans une dictée de troisième année, nenni. Il parlait normalement alors la dactylo écrivait en mode sténo. En France on utilisait les méthodes Prévost-Delauney, Duployé alors qu'au Québec il s'agissait plutôt de la méthode Gregg. Un autre aspect certainement amusant est le poids de la machine à écrire et qui devrait accessoirement peser entre 15 et 20 kilos. Notre pauvre dactylo aurait eu bien du mal à la soulever et la changer de place. 

 Couverture du Saturday Evening Post du 17 septembre 1960 du célèbre Norman Rockwell. Bien que réalisée onze ans après la publicité d'aujourd'hui, le métier de sténo-dactylo n'avait que bien peu changé. Il ne manque d'ailleurs  pas de souligner l’aspect sexué de la dactylo avec laquelle le laveur de vitre flirte allègrement.

Smith Corona est une vieille compagnie, fondée en 1886 par les frères Lyman Cornelius Smith, Wilbert Smith, Monroe C. Smith et Hulburt Smith et on ne pourra certes pas accuser leur mère d’avoir manqué d’imagination pour les prénoms. La compagnie s’appelait originalement Smith Premier Typewriter Company. Elle a acquis le nom de Smith Corona en 1914. Elle existe toujours au moment de tapocher ce texte et elle ne donne plus tellement dans les machines à écrire mais plutôt dans les rubans et technologies thermiques, largement utilisés dans les commerces.

1949, l’année où est parue cette publicité, c’est évidemment l’époque d’après-guerre où l’économie reprend de la vigueur où l’accès des femmes à l’éducation supérieur est quelque chose de moins exceptionnel qu’avant mais on remarque aussi, industrie de guerre terminée oblige, un retour des femmes vers le foyer. Les curés se sentent encore bien aise d’aller dans les foyers de leurs paroisses respectives pour y semoncer celles qui «empêchent la famille». En contrepartie on verra apparaître des gains pour les femmes comme leur entrée dans des ordres professionnels comme le Barreau ou celle des comptables agréés. 1949 c’est aussi la fameuse grève de l’amiante qui oppose les travailleurs au gouvernement Duplessis et où l’on voit apparaître le premier schisme entre le pouvoir et l’Église alors que monseigneur Charbonneau prendra le parti des travailleurs. L’Archevêché ne sera pas trop content de cette prise de position et forcera derechef Joseph Charbonneau à démissionner. Il sera remplacé par Paul-Émile Léger.


Saviez-vous ça vous autres? La sténo là, ben ça date pas d’hier-ô-soir, ni même d’avant-hier. Nope. Ça l’air qu’on a commencé à écrire de façon abrégée quelque part en 430 av. J.-C. quand chose, Xénophon, a été obligé d’écrire abrégé quand y transcrivait ce que Socrates racontait. Pis allez pas pensez qu’on se sert pu du sténo aujourd’hui parce que sinon vous êtes dans les patates (frites ou pilées, au choix) parce qu’on s’en sert pour plain d’affaires comme dans les procès par z’emple.Y'existe encore des écoles pour ça.

lundi 24 juin 2013

BOOOM!!


Sur l'heure du souper j'étais affairé dans la cuisine lorsque je me suis rendu compte que la luminosité ambiante baissait pas mal. Beaucoup même. Tout de suite j'ai su que cet orage, que l'on annonçait, était sur le point d'arriver. Je suis sorti par la porte arrière pour aller voir de quoi il en retournait. Je suis rentré pour ressortir avec mon appareil parce qu'il n'était pas question que je laisse passer une si belle cellule orageuse, surtout qu'il ne pleuvait pas encore. Entre les deux seules photos que j'ai pu prendre, un éclair est tombé dans l'est, pas trop loin et qui a immédiatement été suivi d'un coup de tonnerre du diable. La pluie a commencé à tomber alors qu'une dame courait dans la rue pour retourner chez elle à toute vitesse, ses deux p'tits chiens-chiens flottant presque comme des drapeaux à l'arrière. La deuxième photo que j'ai prise, c'est celle que vous voyez aujourd'hui. 

 
Saviez-vous ça vous autres? La pluie là, ben ça tombe en moyenne à 24 km/h. Ouain. Des éclairs? Y'en tombe une affaire comme une centaine chaque seconde su'a Terre pour un total d'à peu près 8,6 millions d'éclairs par jour répartis entre 1,800 pis 2,000 orages un peu partout. La température d'un éclair? 11,967ºC soit cinq fois la température qui fait à la surface du Soleil. L,éclair tombe jamais deux fois à la même place? Boulechite, qu'on dit. L'Empire State Building se fait zapper cent fois par année par l'éclair. Faque.

samedi 22 juin 2013

ostium


Détail de la porte double située au 105 de la Commune dans le Vieux-Montréal, tout près de St-Sulpice. Cette photo fait partie de tout un lot que j’ai pris par un samedi nuageux de septembre 2005. Cette porte, avec son appareillage dans la vitre, fait partie de ces nombreux petits détails architecturaux qui échappent souvent au yeux des gens. Faut admirer, parce que des portes comme celle-ci, ça fait longtemps qu'il ne s'en fait plus!

 
Saviez-vous ça vous autres? La rue de la Commune est une des plus vieilles à Montréal mais y’a une route en Italie qui date de 312 avant J.-C. C’est la route Apienne pis qui est encore utilisée de nos jours. Ça l’air que c’est un certain Appius Claudius Caecus qui l’a fait construire (d’où le nom). On a pas trouvé par contre le contracteur qui l’a construite voir si y'aurait pas pu nous donner une couple de leçons.

dimanche 16 juin 2013

Échanges de voitures

C’est un avant-midi d’été ensoleillé de ’73, peut-être ‘74. Dans la cour arrière d’où j’habite, qui était un peu notre QG, mes amis et moi sommes installés dans le gazon avec, autour de nous, nos collections respectives de petites autos. Mais l’heure n’est pas au jeu, que non. Chacun de nous arbore ce faciès si caractéristique des ceuzes qui jouent au poker avec de gros sous.

Au son des cordes à linge, des chiens qui jappent et du balai mécanique qui passe, on se prépare à faire des échanges. Alain a ses voitures dans une grosses boîte Tupperware alors que celles de Patrick sont dans un caisse Matchbox, celles avec des paniers en plastique jaune. Il a aussi quelques excédentaires dans un sac de plastique. Quant à moi elles sont dans une boîte de rangement Hot Wheels, celle en forme de pneu de course. 


Incidemment il y a toujours dans le lot voisin des voitures qui nous tentent et on regarde alors ce que nous avons tout en cherchant celles que nous sommes prêts à sacrifier. Nous avons tous quelques voitures que l’on aime moins que d'autres, pour une raison ou une autre. Parfois c'est la couleur, un mécanisme qui ne fonctionne plus ou un essieu croche. Dans certains cas, certainement plus particuliers, la voiture est sérieusement amochée parce qu'elle a été laissée dans le gazon tout l’hiver ou encore parce qu’elle est malencontreusement passée dans un manège appelé "la tondeuse". Le but de nos échanges par contre est toujours le même: obtenir de belles bagnoles en échange de nos.

La première chose qu'on recherche attentivement dans les autres «collections» sont ces modèles que l’on a parfois voulu au magasin mais que l’on a pas pu avoir, pour une raison ou une autre. Pour ceux-là nous sommes prêts à faire à faire des concessions importantes. Sauf dans des cas de rares exceptions les échanges ne se font que très rarement au ratio 1:1. La plupart du temps l'ordre est davantage 3:1, soit trois vieilles voitures pour une convoitée. Ça pouvait même aller jusqu'a 4:1 dans certains cas. 


Les voitures aux essieux croches peuvent passer (quoique difficilement) mais les ceuzes que l'on avait frotté sur le ciment pour leur donner un fini "chromé" sont non-négociables et ne sont généralement même pas considérées. Quant aux marques nous avons une préférence nette pour Matchbox, spécialement la série Superfast, viennent ensuite les Hot Wheels, les Corgi et puis en bas de la liste, mais alors là complètement en bas très au plus profond des fonds, il y avait les… Majorettes.

Les Majorettes étaient, de façon générale, parfaitement ignorées lors des échanges. Les modèles, sont largement européens, ce qui veut dire qu'une Peugeot ou une Citroën ne vaut pas grand chose dans la balance contre un Mustang Fastback ou un Dodge Charger. La peinture ne nous épate guère non plus. Elle semblait manquer d'uniformité ou de consistance, contrairement aux Matchbox et Hot Wheels. Les essieux pliaient trop facilement aussi, parfois juste à les regarder et leur métal était trop léger. Mais peut-être était-ce le nom aussi: parce lorsque l’on pensait majorette ce n’est pas des voitures qui nous venaient en tête mais plutôt cela:



Les sessions d'échanges pouvent être courtes ou encore durer tout un avant-midi, dépendant de la quantité de voitures que l'on a, de celles dont on veut se défaire, des concessions que sommes prêts à faire (ou pas) et s'il n'y a pas un film de Godzilla qui jouait à la télé pendant ce temps-là.

Quelques jours plus tard on se retrouvait encore ensembles mais pour jouer cette fois, avec nos autos qui comprenaient celles que l’on était parvenu à échanger et comme on les mélangeait dans nos jeux on ne parvenait plus à savoir ce qu'on avait échangé, avec qui et contre quoi. Bien souvent, sans même s’en rendre compte, on finissait invariablement par se retrouver avec ces voitures qu’on avait travaillé bien fort à se débarrasser en premier lieu.


Saviez-vous ça vous autres? Aux États Unis y se vend une affaire comme 275,000 Hot Wheels par jour. Si on sort notre calculatrice pis qu'on fait un calcul ben savant pis ben compliqué, ça fait 8.250,000 chars par mois. Mieux, les ventes de Hot Wheels sont steady depuis 1968 pis à environ une piasse et des poussières le char ça veut dire que le prix est moins cher que dans l'temps.

mercredi 12 juin 2013

J'ai donc maintenant quinze ans

C’est qu’elle écrivait dans son journal le 12 juin 1944. Au travers tout ce qu’elle a pu représenter, la jeune Anne Frank est devenue la figure la plus mémorable à émerger de la Seconde guerre et qui a également donné un visage à cette horreur incommensurable et résolument inhumaine que fut l’Holocauste. Aujourd'hui, elle fêterait son 84è anniversaire.

Anne en 1940

Annelies Marie Frank naît le 12 juin 1929 à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Elle est la deuxième fille d’Otto Frank et Edith Hollander et de ce fait, la sœur cadette de Margot Betti, née quant à elle le 16 février 1926.

Anne a quatre ans et sa sœur aînée Margot en a huit lorsque leur univers est sur le point de changer. Otto Frank, leur père, se souvient de ce jour fatidique en janvier 1933 alors qu’il écoutait à la radio la nouvelle à l’effet qu’Hitler venait d’accéder à la chancellerie. Sa femme Edith venait de figer, comme changée en statue de pierre. Otto n’est cependant pas convaincu de l’utilité de quitter l’Allemagne, enfin pas à ce moment-là, mais lorsque les décrets renforçant la ségrégation entre Juifs et non-Juifs entrent en vigueur il n’y eut plus de place pour le doute. En 1933 il déménage sa famille à Amsterdam. C’est dans un bloc appartements au 37, Merwedeplein (l'adresse indique le numéro d'appartement) que la famille Frank établi sa nouvelle résidence. Anne et Margot apprennent le néerlandais et se font rapidement des amis.   


Alors que Margot fréquente l’école publique, Anne quant à elle est inscrite à l’école Montessori dont l’apprentissage se fait de manière ouverte selon les préceptes de sa fondatrice, la pédagogue italienne Maria Montessori. Anne est une écolière populaire, taquine, un peu espiègle et extravertie, ce qui lui vaut les remontrances de son professeur qui la surnomme miss Chatterbox, parce qu’elle jacasse sans cesse. Pour venir à bout de cette mauvaise habitude son professeur lui donne des punitions, essentiellement des compositions à rédiger sur son bavardage. C’est là que commence à se manifester son talent pour l’écriture puisque ces compositions sont non seulement très amusantes mais aussi imaginatives et bien rédigées. Ces textes peuvent être lus en partie dans le livre Tales From the Secret Annex.

 Anne et son amie Hanneli (Lies dans le livre) sur le Merwedeplein. Elles vont se retrouver plus tard dans d'horribles conditions qu'elles n'auraient jamais imaginées.

Toujours sur le Merwedeplein, avant les jours sombres durant l'été de 1939. De gauche à droite: Lucie van Dijk, Anne, Suzanne Ledermann, Hanneli Goslar,Juultje Ketellaper, Kitty Egyedi, Mary Bos, Rie (Ietje) Swillens et Martha van den Berg.

La famille Frank: Margot, Otto, Anne et Edith, devant leur appartement sur le Merwedeplein.

 Margot et Anne, en vacances à la plage.

C’est également sur le Merwedeplein qu’Anne va commencer la rédaction de son journal intime, un magnifique cahier reçu en cadeau pour ses 13 ans en 1942. Il s'agit en fait d'un carnet pour y collectionner des autographes, acheté dans une librairie située à quelques pas du Merwedeplein mais Anne s'en sert pour y rédiger un journal intime. Ce qu’elle y écrit d’ailleurs ressemble à n’importe quel journal intime d’une jeune adolescente; elle y raconte sa vie à l’école, à la maison ainsi que sur ses différents amis et admirateurs, car Anne est très courtisée par les garçons. Non seulement cela l’amuse beaucoup mais elle prend plaisir à utiliser tout plein de stratagèmes cocasses pour se libérer de plusieurs d’entres eux sauf peut-être un, Lutz Peter Schiff, plus vieux de trois ans. Durant l’été de 1940 ils sont carrément inséparables mais un ami de Peter en viendra à le convaincre qu’elle n’est qu’une enfant trop jeune pour lui. Anne fait souvent référence à lui dans son journal où elle l’appelle Petel.

Voici le seul film connu où l'on voit Anne. Des mariés sortent de leur appartement sur le Merwedeplein et la personne qui filme capte Anne qui regarde la scène de la fenêtre.

Dans une autre séquence du même film il se trouve une jeune fille, captée aussi par hasard et qui fait partie des gens qui regardent les nouveaux mariés. Sans que l'on ne puisse le confirmer, il y a de fortes chances, étant donné l'étonnante ressemblance, qu'il s'agisse de Margot, la sœur d'Anne.

Margot avait elle aussi un journal mais il n'a jamais été retrouvé. Fille très intelligente, elle passait de longues heures à étudier dans l'annexe. Parmi les nombreux sujets, et tel que relaté par Anne, on retrouve l’anglais, le français, le latin, la sténo en anglais, allemand et néerlandais, la trigonométrie, géométrie, mécanique, physique, chimie, algèbre, littérature anglaise, française, allemande et néerlandaise, comptabilité, géographie, histoire, biologie et l'économie.

Mais entre temps l’Allemagne envahi les Pays-Bas et bientôt les Allemands prennent le contrôle d’Amsterdam, forçant alors tous les Juifs à porter l’étoile jaune. Ils sont aussi soumis à toute une foule de restrictions qui inclut l’interdiction d’utiliser voitures, tramways et même des vélos. Dès lors, leur existence bascule et Anne, qui écrit toujours dans son journal, délaisse peu à peu le style initial de ses textes pour entrer davantage dans une description de la vie sous l’occupation allemande. À ce moment, quitter le pays n’est même plus une option envisageable. Les Frank sont «prisonniers» dans leur propre ville.

 Anne et son étoile jaune, telle que personnifiée par l'actrice britannique Anna Gordon Taylor dans le film  "Anne Frank, The Whole Story".


Le 5 juillet 1942 marque une date importante pour la famille Frank puisque c’est ce jour-là que Margot, alors âgée de seize ans, reçoit un avis de mobilisation du
Zentralstelle für jüdische Auswanderung (le Bureau central de l’immigration juive) pour se rendre dans un camp de travail. Pour Otto il n’est pas question que sa fille y mette le pied et c’est à moment qu’il entreprend de cacher sa famille ainsi que la famille Van Pels dans une annexe située à l’arrière de la compagnie Opekta pour laquelle il travaillait avec, bien entendu, le concours d’employés en qui il avait pleine confiance soit Victor Kugler, Johannes Kleiman, Miep Gies et Bep Voskuijl. Voyons d’un peu plus près qui sont ces gens.

Victor Kugler est autrichien d’origine. Il migre en Allemagne où il travaille comme électricien après quoi, en 1920, il migre de nouveau mais cette fois à Utrecht, en Hollande pour travailler chez Pomosin, une compagnie qui fabrique de la pectine. En 1924 il se joint à la branche d’Amsterdam d’une compagnie concurente, Opekta, laquelle est sous la direction d’Otto Frank. Kugler devient citoyen Hollandais en 1938, ce qui lui permet en 1940, de prendre en charge la direction de la compagnie, qu’il renomme Gies & Co., et de ce fait empêche les nazis de s’emparer d’Opekta.

Johannes Kleiman a rencontré Otto Frank pour la première fois en 1923 et les deux hommes sont devenus des amis proches en 1933. En 1938 Otto Frank embaucha Kleiman comme comptable pour Opekta et Pectacon.

Elizabeth «Bep» Voskuijl est embauchée par Otto Frank en 1938 comme secrétaire et en 1942 devint gérante administrative de la compagnie. Lorsque Otto lui dit qu’il s’en allait se cacher dans l’annexe avec sa famille elle accepta de l’aider, tout comme Miep Gies, en apportant des provisions. Elle s’est aussi inscrite à des cours de sténo et de latin par correspondance mais qu’elle refilait aux gens dans l’annexe.

Miep Gies, Hermine Santruschitz de son vrai nom, est une autrichienne qui a rencontré Otto Frank en 1933 alors qu’elle appliqua pour un poste temporaire de secrétaire pour Opekta. Toutefois, lors de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, Miep fut automatiquement désignée comme étant de nationalité allemande et dut, de ce fait, accepter un passeport allemand. Afin d’éviter une déportation elle se maria rapidement avec son fiancé, Jan Gies, le 16 juillet 1941. Miep n’hésita nullement à aider ceux cachés dans l’annexe. Chaque jour elle voyait camions après camions remplis de Juifs et qui étaient amenés vers les trains menant aux camps de concentration. En se procurant des provisions elle est parvenue à échapper aux soupçons en visitant plusieurs commerces différents à chaque jour, en ne transportant qu’un seul sac à la fois.

Un peu plus dans l’ombre on retrouve le mari de Miep, Jan. Travailleur social, Jan fait partie de la Résistance et parvient à obtenir pour les gens dans l’annexe des choses qui auraient été autrement impossible a trouver. Il y a aussi Johannes Hendrik Voskuijl, le père de Bep. Non seulement il fut celui qui a construit la bibliothèque pivotante mais fut aussi d’une aide indispensable. Anne y fait souvent référence dans son journal et s’inquiète souvent de son état de santé.

 Johannes Kleiman et Victor Kugler. Avec Miep Gies et Bep Voskuijl, ils risquent la mort en cachant des Juifs dans l'annexe.

Le 6 juillet 1942 Margot, en compagnie de Miep Gies, se rend la première à l’annexe secrète à vélo. Les deux femmes sont conscientes du danger, Miep ne court rien mais Margot, en tant que juive, court un grand risque. S’ils sont arrêtés par les autorités Margot serait alors obligée de décliner son identité, ce qui conduirait invariablement à son arrestation. Pédalant sous la pluie, elles parviennent malgré tout à la cachette et sont rejointes plus tard par Anne, Otto et Edith. Le lendemain c’est au tour de la famille Van Pels, Hermann, Auguste et leur fils Peter d’arriver. 

 Auguste et Hermann van Pels.

 Le bâtiment de la compagnie Opekta, vu de l'avant, tel qu'il apparaît aujourd'hui.

L'emplacement du bâtiment d'Opekta et de l'annexe, indiqués en bleu sur une photo aérienne où l'on voit aussi l'église de Westerkerk dont Anne fait mention, ainsi que du Prinsengracht (canal du prince). 

L’annexe est un vieux bâtiment de trois étages, caractéristique de ceux qui longent le Prinsengracht, et construit autour de 1635. L’ensemble est caractéristique de la Hollande où le bâtiment avant porte le nom de Voorhuis alors que celui à l’arrière s’appelle Achterhuis, qui veut dire maison à l’arrière. C’est une cachette idéale car ce concept architectural est parfaitement inconnu des Allemands. Pour accéder à l’annexe on devait utiliser un escalier étroit et abrupt qui menait au deuxième étage, de là, au bout d’un court corridor, se trouvait ce qui semblait être un réduit où s’entassaient des boîtes, divers objets ainsi qu’une bibliothèque trapue contenant des cartables et surmontée d’une carte géographique. 


Pour n’importe quel visiteur il n’y aurait là que bien peu de choses d’intérêt mais il y avait une astuce ingénieuse. La bibliothèque était en fait une porte qui donnait accès à l’achterhuis, l’annexe secrète. Voici d’ailleurs de quoi tout cela avait l’air :





Tout ce qui est gris représente essentiellement les locaux utilisés par Opekta et ses employés et l’entrée principal donnant sur le Prinsengracht se trouve à gauche. La partie en couleurs, à droite, montre l’espace où se cachaient les Frank, les Van Pels et Fritz Pfeffer. La superficie totale pour ces derniers est d’environ 500 pieds carrés. La chambre d’Anne se trouve à l’endroit indiqué au #2. Elle partageait initialement la pièce avec sa sœur Margot puis, plus tard, avec Fritz Pfeffer. La relation entre Anne et Fritz ne sera pas d’ailleurs au beau fixe et les frictions entre les deux vont souvent se retrouver dans le journal d’Anne. Le #1 montre l'endroit où se trouvait le passage secret.

Malheureusement on rend vite compte que les murs de l’annexe sont bien minces et laissent passer tous les bruits. Si ces bruits sont entendus par ceux qui sont dans les bâtiments avoisinants, dont la compagnie Keg, cela pourrait facilement mener à une dénonciation à la Gestapo. D’ailleurs cette dernière menait souvent des rafles à différents endroits, généralement suite à des informations obtenues de façon anonyme. Il faut également prendre en considération la présence, durant le jour, d’autres employés d’Opekta qui ne sont nullement au courant de la présence des Frank et des Van Pels. Comme on peut le voir dans le plan ci-haut, il se trouve des locaux juste en-dessous. Les règles sont vite établies afin de demeurer le plus silencieux possible; aucun déplacement durant le jour, pas de chasse d’eau ni d’utilisation des robinets et surtout, pas de bavardage. Pour s’occuper on lit et on étudie. 

À partir de ce moment, et pour une durée indéterminée, tout le monde se retrouve confiné. C'est une réalité nouvelle qui aura de sinistres conséquences s'ils sont trouvés. Il leur faudra adopter de nouvelles habitudes contraignantes à plein de niveaux, chose que nous ne connaissons pas puisque nous ne sommes pas en guerre, mais une pandémie pourrait nous rappeler ce que Anne et sa famille ont vécu. Espérons que cela ne devienne pas un jour une réalité. 

 Une reconstitution de la cuisine de l'annexe, telle qu'elle apparaissait à l'époque.

Une autre vue de la salle à manger. La nuit cette pièce devenait la chambre des Van Pels. 
 
Une autre grande difficulté est l’approvisionnement en nourriture. Il y a alors neuf personnes dans l’annexe secrète et la nourriture à Amsterdam est sujette à un rationnement. Pour se procurer des aliments il faut des cartes de rationnement ou alors avoir des contacts dans la Résistance. Les résidents de l’annexe dépendent grandement de Miep Gies, une des employées d’Opekta en qui Otto Frank a une confiance aveugle. Miep est celle qui va faire «l’épicerie» et qui ramène la nourriture à l’annexe. Pour ce faire, elle doit attendre que les employés d’Opekta aient quitté, généralement sur l’heure dîner, pour se rendre dans la cachette via la bibliothèque. Pour Anne l’arrivée de Miep est toujours un évènement heureux et la jeune fille bombarde Miep de questions quant à ce qui se passe à l’extérieur et est très curieuse d’avoir les dernières nouvelles quoique c’est avec Bep Voskuijl, la jeune secrétaire d’Opekta, qu’Anne entretiendra la relation la plus étroite.

 Bep Voskuijl.

Pour écrire son journal, Anne prend place à un petit bureau installé dans la chambre qu’elle partage avec Fritz Pfeffer et il y aura discorde quant au temps qu’Anne y passe. Pour Pfeffer il est indéniable que les travaux qu’il doit faire sont plus importants que les trucs d’une jeune adolescente. Ce ne sera pas le seul conflit interpersonnel à surgir et le fait que les occupants de l’annexe sont si nombreux pour un si petit espace ne fait rien pour aider les choses. De ce fait, Anne aura des rapports difficiles avec Auguste Van Pels qui est pour elle une sotte et Fritz Pfeffer, qu’elle qualifie de pédant. Dans son journal Anne n’écrit pas les véritables noms des occupants et pour lui Anne choisit le nom de Dussel qui en allemand veut dire «idiot» et réserve pour lui des termes atrabilaires et injurieux qu’elle puise dans son vocabulaire pour démonter le dédain qu’elle a de cet homme. 

 Le coin d'écriture d'Anne, un endroit qui a causé des problèmes avec Fritz Pfeffer. Dans cette reconstitution on voit le journal d'Anne avec sa couverture en tissu ainsi que des photos de vedettes, photos de vedettes et autres qu'Anne avait collé sur le mur. Si vous visitez la Maison Anne Frank vous pourrez voir ces photos, lesquelles ont été minutieusement conservées et restaurées. 

Anne aura aussi de nombreuses difficultés avec sa mère, décrivant dans son journal l’inhabilité de cette dernière à la confronter avec son insouciance, son sarcasme et son endurcissement. Le 7 novembre 1942 elle y va d’une diatribe très dur sur ses relations familiales. Elle écrit entre autres qu’elle s’attache à son père parce que son mépris pour sa mère ne fait que grandir jour après jour et que c’est seulement à travers sa relation avec son père qu’elle parvient à conserver les dernières onces d’attachement familial qui lui reste. De sa mère elle dira aussi qu’elle la voit comme une mère mais ne la perçoit pas en tant que tel ; «…elle n’est pas une mère pour moi et je suis ma propre mère…». Elle a aussi une relation difficile envers Margot ainsi que le fait que sa mère prenne toujours le parti de Margot, et vice versa. «Je les aime mais seulement parce qu’il s’agit de Mère et de Margot mais je me fous d’eux en tant que personnes. En autant que je suis concernée ils peuvent bien aller sauter dans un lac. C’est différent avec Père. Mais lorsque je le vois être partial avec Margot, approuvant chacune de ses actions, lui faisant des éloges, lui donnant des câlins, je ressens une douleur qui me ronge à l’intérieur parce que je suis folle de lui. Je le prend comme modèle et il ne se trouve personne au monde que je n’aime plus que lui.»

 Edith Frank, la mère d'Anne et Margot.

En rééditant son journal plus tard, Anne reviendra sur ces passages et sera horrifiée d’avoir pu écrire de telles choses et se demandera comment elle a pu. Par la suite elle en est venue à comprendre que leurs différents étaient dus à des malentendus et que ces différents étaient autant sa faute qu’à sa mère. Avec cette réalisation, Anne a commencé a traiter sa mère avec tolérance et respect.

Au fil des mois Anne passe l’essentiel de son temps à lire, étudier, rédiger son journal et à en réécrire des passages où elle en profite aussi pour y aller d’une narration très descriptive des évènements qui se passent. Elle s’ouvre également sur ses émotions, ses croyances et ses ambitions, autant de sujets avec lesquels elle n’était pas à l’aise de discuter avec les gens qui l’entouraient. À la lecture du journal on note une maturité grandissante qui se reflète dans son écriture et vers la fin on sent une maîtrise qui se trouve aux antipodes de ses premières entrées en 1942. D’ailleurs, le 5 avril 1944 Anne professe sa passion pour l’écriture, espérant devenir plus tard écrivaine ou journaliste mais qu’il reste à savoir si elle possède un réel talent. En écrivant elle dit qu’elle peut tout laisser ses problèmes de côté, que sa tristesse et son chagrin disparaissent et que son esprit est ravivé. Un jour, Miep Gies est arrivée dans l’annexe et est entrée dans la pièce où Anne se trouvait, profondément concentrée dans son écriture et vit une facette différente de la jeune fille. À ce sujet elle dit plus tard : « Au fil des ans j’ai vu Anne tel un caméléon, allant d’une humeur à l’autre, mais toujours avec gentillesse mais ce jour où je l’ai interrompue dans son écriture j’ai vu une expression dans son visage que je n’avais jamais vue auparavant. C’était une concentration profonde, presque noire, comme si elle avait une migraine. Son regard me perça et je fus sans mot. À sa table elle était devenue une autre personne. Elle se leva, ferma le livre dans lequel elle écrivait et toujours avec cette expression dure elle me fixa et d’une voix que je n’avais jamais entendue elle m’a dit, oui, et j’écris sur toi aussi. Elle continua de me regarder et j’ai tenté de dire quelque chose, n’importe quoi mais tout ce que j’ai pu dire fut, Ce sera très bien.» 

   Miep Gies lors de son mariage le 16 juillet 1941 avec Jan. Ce n'est que bien des années plus tard que Miep a appris que son mari avait fait partie de la résistance durant la guerre.

 Otto Frank, au milieu avec le chapeau avec Anne à sa gauche ainsi que des membres de la famille, s'en vont au mariage de Miep et Jan. Margot et Edith sont absente car Margot était malade ce jour-là.

Pendant ce temps, à l’extérieur, la guerre se poursuivait. Dans l’annexe, une petite radio permettait de suivre la progression des forces alliées et Otto les marquait sur une carte géographique. À de nombreux moments ils ont craint pour leurs vies alors que des combats aériens intenses se déroulaient au-dessus d’eux, tel que le raconte Anne le 26 juillet 1943. Ce jour là les sirènes ne cessèrent de fonctionner alors que les batteries anti-aériennes, certaines situées à proximité de l’annexe, pétardaient constamment. Anne raconte comment tous et chacun tenait son sac d’urgence, rempli d’effets personnels tout en se tenant prêt à quitter au cas où les circonstances les y obligeraient. Plus tard, le 3 février 1944 Anne racontait comment on ils s’inquiétaient d’un débarquement allié en Hollande et comment les Allemands feraient tout pour repousser une telle attaque, étant même prêts à inonder le pays s’il le fallait. Dans un tel cas Amsterdam, Anne écrivait, serait complètement dévastée et on se demandait bien comment se sortir d’un tel pétrin si cela en venait à se produire.

 Une des dernières photos prises d'Anne, peu avant le départ pour l'annexe.

Outre les combats, il y eu deux intrusions par effractions dans les locaux d’Opekta et lors de l’une d’elles un malfaiteur alla jusqu’à «brasser» la bibliothèque. Heureusement celle-ci était verrouillée de l’intérieur avec un crochet. Ces deux événements ne manquèrent pas d’inquiéter grandement les occupants de l’annexe! Autre source d’inquiétude : la nourriture. Bep, Miep, Victor ou Johannes rencontraient de plus en plus de difficulté à obtenir des aliments. Dans l’annexe on a dû faire avec des restants, utiliser des substituts et parfois des aliments pas toujours très frais. Le 3 avril 1944 Anne écrit dans son journal que les mets, une fois mangés, donnent l’impression d’avoir des roches dans l’estomac. 




Le 6 juin Anne écrit à propos du débarquement de Normandie, lequel signale l'arrivée des forces Alliées en France: « Chère Kitty, le débarquement se déroule à merveille. Les Alliés ont pris Bayeux, un petit village sur la côte française, et se battent à présent pour s’emparer de Caen. Tous les soirs, les correspondants de guerre parlent des difficultés, du courage et de l’ardeur de l’armée, ils racontent aussi des actes d’éclats inimaginables, des blessés déjà revenus en Angleterre sont aussi venus parler au micro. (…) Ici, l’excitation est un peu tombée; pourtant nous espérons que la guerre sera enfin terminée à la fin de l’année, il serait temps ». 

La nouvelle est apprise via la BBC que les gens dans l’annexe peuvent écouter via un petit récepteur radio. Anne dit qu’en apprenant la nouvelle, leur conclusion est qu’il s’agit d’un débarquement pour tester les défenses allemandes. Mais un peu plus tard, il devient clair, toujours de par la BBC lors du bulletin de dix heures, que ce débarquement en est un vrai. Anne transcrit dans son journal les effectifs militaires à l’œuvre soit 11,000 avions, 4,000 bateaux et quantité de soldats qui prennent d’assaut les plages de la Normandie. Anne dit qu’avec ce débarquement elle a l’impression que des amis viennent à leur aide. Anne est confiante à propos de la libération de la Hollande et avec Margot, elle évoque même la possibilité de retourner à l’école en septembre. 

Mais le 4 août 1944 les locaux d’Opekta sont investis par un groupe de policiers Allemands, la Grüne Pilizei, dirigés par le SS-Oberscharführer Karl Silberbauer. Ils savent, de par une dénonciation anonyme, que des Juifs se cachent dans le bâtiment. Pour Victor Klugman il ne sert à rien non seulement de résister mais de nier la présence des occupants de l’annexe et sous la menace armée, il doit mener les policiers à la cachette.en arrivant dans l'annexe ils rassemblent rapidement les occupants. 

« Il était à peu près 10 h 30. Je me trouvais dans la chambre de Peter van Pels où je lui donnais une leçon d'anglais. Je n'ai rien entendu. Et quand j'ai perçu du bruit, je n'y ai pas fait attention. Peter avait fait une dictée et j'étais en train de lui dire: « Mais Peter, double, ça s'écrit avec un seul b en anglais !» J'étais en train de lui montrer la faute dans la dictée quand, soudain, quelqu'un a monté l'escalier en courant. Les marches craquaient, je me suis levé d'un bond car c'était encore le matin et chacun se devait d'être silencieux - puis la porte s'est ouverte et un homme est entré. Il tenait un revolver et le pointait sur nous. C'était un homme en civil. Peter et moi avons mis les mains en l'air. L'homme nous a tout d'abord ordonné de le précéder et ensuite de descendre l'escalier. Il nous suivait, le pistolet à la main. En bas, tout le monde avait été rassemblé. Ma femme, les enfants et les Van Pels se tenaient debout, les mains en l'air. Puis Pfeffer est entré à son tour, talonné lui aussi par des hommes que je ne connaissais pas. Au milieu de la pièce se tenait un homme en uniforme vert. Il observait nos visages. Puis il nous a demandé où se trouvait notre argent et nos bijoux. Je lui ai indiqué un placard dans lequel se trouvait mon coffre. L'homme du service de sécurité a pris le coffre, a regardé à droite et à gauche et s'est emparé du porte--documents dans lequel Anne gardait ses papiers. Il l'a secoué, en a vidé le contenu par terre puis il y a fourré nos bijoux et notre argent. »

Témoignage d’Otto Frank relatant l’arrestation du 4 août 1944.

Miep Gies a reconnu dans la voix du policier Silberbauer un accent autrichien distinct de la ville de Vienne et a tenté de faire changer l’officier d’idée en lui disant qu’elle était aussi originaire de cette ville. Elle ne fut pas arrêtée, tout comme Bep Voskuijl mais fut soumise à des conditions strictes et que si elle tentait de s’enfuir elle n’aurait pas autant de chance qu’aujourd’hui. 

Karl Silberbauer. 



Le cœur de Miep a sombré lorsqu’elle a entendu les bruits de pas, descendant l’escalier. Elle n’a pas vu ses «protégés» lorsqu’ils ont été amenés à l’extérieur pour être ensuite embarqués à bord d’un fourgon. Puis les prisonniers ont été amenés au quartier général de la RSHA, le SS-Reichssicherheitshauptamt (Bureau de la Sécurité du Reich) où ils ont été interrogés et gardés durant la nuit.


Plus tard, elle risque gros en allant dans l’annexe où les policiers ont tout viré à l’envers et c’est ici que se déroule un moment historique, lequel a permis plus tard au monde entier de connaître Anne Frank. Miep aperçoit au sol le journal d’Anne réparti dans plusieurs carnets et feuilles mobiles. Elle entreprend d’en ramasser le plus possible mais, craignant le retour de Silberbauer, retourne en bas en emportant ce qu’elle peut. Elle demande à un employé du nom de Van Maaren d’aller récupérer le reste. Elle place ensuite le tout dans un tiroir sans toutefois lire une seule ligne du journal. Il s’agit là d’une heureuse décision puisque si Meip l’aurait lu, elle aurait été dans l’obligation de le détruire puisque quantité d’aidants étaient identifiés. Elle ne verrouille toutefois pas le tiroir afin de ne pas alimenter de soupçons.

Le lendemain Miep Gies s’est par la suite rendue au quartier général de la RSHA, au péril de sa vie puisque ceux qui y entraient n’en ressortaient pas toujours, même si c’était pour «affaires». La petite femme d’à peine cinq pieds bravant les officiers SS afin de se rendre au bureau de Silberbauer où elle a tenté de monnayer la libération de ses amis. Mais en vain. Silberbauer, même s’il aurait été soudainement animé d’une volonté d’aider Miep, ne pouvait faire grand-chose car il avait les mains liées mais Miep n’était pas convaincue. L’officier l’a alors invitée a aller à un autre endroit de l’immeuble où se trouvaient ses patrons. Miep s’y rendit et se trouva face à des nazis en uniforme qui écoutaient attentivement un bulletin de nouvelles de la BBC de Londres. Non seulement elle ne put rien dire mais fut expulsée des lieux. Miep a alors compris que le rideau venait de tomber et fut saisie d’un abattement total doublé de sentiments d’échec et de perte qui n’ont jamais diminué avec les années.

Le lendemain les prisonniers ont tous été conduits dans une maison de détention, sorte de prison surpeuplée de Weteringschans après quoi, deux jours plus tard, ils ont été transférés au camp de transit de Westerbork. Comme ils avaient tous été trouvé coupables de s’être cachés ils ont été libellés comme criminels et directement envoyés au baraquement des punitions pour y effectuer des travaux forcés. Ce n’était là que le début d’un long calvaire qui ne ferait que d’aller de pire en pire.


 Le 3 septembre 1944 le groupe est embarqué à bord d’un wagon pour le bétail et où tous sont entassés. Le train se met en marche sans que personne ne sache quelle est la destination. Le voyage quant à lui dure trois jours pendant lesquels personne ne peut s’asseoir et où es besoins naturels sont faits devant tous et chacun. Le convoi ferroviaire s’arrête ensuite au camp de concentration d’Auschwitz où, en peu de temps, hommes et femmes sont séparés. C’est là qu’Otto Frank voit sa famille pour la dernière fois. Des 1,019 personnes débarquées, 549 sont immédiatement envoyées dans les chambres à gaz, incluant tous les enfants de moins de quinze ans. Anne vient tout juste d’avoir quinze ans alors elle est épargnée. Elle parvient néanmoins à rester auprès de sa sœur et de sa mère.

Anne, Margot et Edith sont ensuite amenées, avec plein d’autres dans une grande salle glauque où elles reçoivent un tatouage sur l’avant-bras gauche. Selon la biographie d’Anne par la biographe autrichienne Melissa Müller, Anne et Margot auraient reçu des numéros entre A-25060 et A-25271. Puis elles ont été conduites dans une autre pièce où elles ont dû se dévêtir complètement afin d’être rasées complètement, incluant la région pubienne. Ceci était non seulement pour limiter la propagation des poux mais aussi pour aussi pour humilier et déshumaniser le plus possible. Du reste, Anne, Margot, Edith et les autres prisonnières ont été envoyées de nouveau aux travaux forcés, transportant de lourdes roches ou de creuser le sol. La nuit elles étaient entassées dans des baraques surpeuplées où les maladies étaient nombreuses. Ronnie Goldstein-van Cleef, une survivante des camps, a rencontré les sœurs Frank et mentionne dans son témoignage qu’elles faisaient pitié à voir; déjà fortement amaigries, elles étaient chauves et couvertes de ces plaies qui caractérisent la gale, causée par le sarcopte (Sarcoptes scabiei), un parasite acarien. Elles sont alors envoyées à l’infirmerie, terme qui décrit grossièrement un édifice mal éclairé et infesté de vermine. Entre s’y rendre et ne recevoir aucun traitement il n’y a pratiquement pas de différence. Leur mère Edith se prive de manger, préférant donner à ses filles toute la nourriture qu’elle reçoit.

En octobre 1944 les sœurs Frank sont sélectionnées, tout comme Auguste Van Pels, pour être expédiées au camp de transition de Bergen-Belsen. Elles sont 8,000 a être embarquées de nouveau dans un train. Edith n’est pas sélectionnée et meurt de faim peu de temps après. Si ce n’avait été des infections qu’elles ont attrapées Anne et Margot seraient restées à Auschwitz aux travaux forcés.

À Bergen-Belsen les sœurs Frank sont dirigées dans une section du camp qui avoisine un autre où se trouvent des prisonniers plus «fortunés» qui sont utilisés comme monnaie d’échange contre des prisonniers Allemands capturés par les Alliés. Parmi ceux-ci, deux amies d’enfance d’Anne, Hanneli Goslar et Nanette Blitz. Bien que séparées par une clôture de barbelés mêlés à de la paille, Nanneli et Anne parviennent à échanger quelques mots. De ce qu’Hanneli peut entendre, Margot est très malade et trop faible pour se lever de sa couchette et Auguste tente de la soigner du mieux qu’elle le peut. Anne dit à Hanneli qu’elle est maintenant seule au monde car elle est convaincue que ses parents sont morts. L’expérience est relatée ici par Hanneli Goslar alors qu’elle marche sur le site de Bergen-Belsen, aujourd’hui devenu un centre commémoratif.

Hanneli Goslar, sur l'ancien site du camp de Bergen-Belsen, raconte sa dernière rencontre avec Anne. C'est dans ce témoignage éprouvant qu'elle affirme que si Anne avait su que son père était encore vivant elle aurait certainement trouvé la force de survivre.

La rencontre entre Anne et son amie Hanneli à Bergen-Belsen est tristement ironique puisque le samedi 27 novembre 1943 Anne décrit dans son journal un rêve qu’elle a fait durant la nuit. Dans celui-ci elle raconte avoir vu Hanneli, habillée de haillons avec de grands yeux, si caractéristique de ceux qui ont le visage terriblement amaigri. Hanneli demande à Anne pourquoi elle l’a laissé toute seule et de l’aider à la sortir de cet enfer. Or, à Bergen-Belsen c’est tout le contraire, Anne est celle qui est décharnée, habillée de haillons et qui supplie Hanneli de la sortir de là.


Nanette Blitz, qui a survécu, est toutefois parfois parvenue à voir Anne et a raconté avoir été horrifiée en la voyant, cette dernière étant décharnée, voire squelettique, chauve, grelottante et couverte de marques dues à la gale et aux poux.

« Je me demande comment deux squelettes comme nous avons pu nous reconnaître. » A-t-elle dit dans une entrevue en 2013. «Anne était une jeune fille pleine de vie qui aimait parler. Elle aimait bien les garçons aussi.» Rajouta-t-elle avec un clin d’œil. «Si elle était vivante aujourd’hui je suis convaincue qu’elle serait devenue une excellente écrivaine.» Elle se souvient parfaitement du jour où Anne a reçu son journal comme cadeau d’anniversaire. «La plupart de ses amies de classe étaient là. Un film a été projeté sur le mur, ce qui était pour nous quelque chose de très particulier. On y a vu Rin Tin Tin.» C’est peu après que leurs destins se sont séparés; Anne est partie se réfugier dans l’annexe tandis que Nanette et sa famille ont été arrêtées par les nazis. Elles ne se sont revues qu’à Bergen-Belsen durant ce terrible hiver de 1945. Rachel van Amerongen-Frankfoorder était une des détenues de Bergen-Belsen, où elle a rencontré Anne et Margot. Après-guerre, elle parlait de leur mort :

« Dans la baraque, j’ai retrouvé Anne et Margot. Leurs parents n’étaient plus là. On ne posait pas de questions, on savait. Les filles Frank étaient pratiquement méconnaissables car elles étaient rasées ; j’ignore pourquoi elles étaient plus chauves que nous. Elles souffraient du froid comme nous toutes. Nous étions en hiver et nous n’avions pas de vêtements. Tous les éléments favorisant la maladie étaient réunis. Elles y étaient particulièrement prédisposées. Elles s’affaiblissaient de jour en jour et étaient très maigres. […] Les filles Frank se disputaient à cause de leur maladie. Le typhus était très répandu à Bergen-Belsen. Leur visage était émacié, elles n’avaient plus que la peau sur les os. Elles grelottaient. Leur châlit était le plus mal placé près de la porte qui s’ouvrait constamment. On les entendait sans cesse crier : « Fermez la porte ! » mais chaque jour leur voix faiblissait. […] Les symptômes du typhus se sont déclarés chez elles sans aucun doute possible… »

Extrait de : Anne Frank – les sept derniers mois, Willy Lindwer (Paris, 1988)

En juin 1944 Bergen-Belsen recensait déjà plus de 7,300 prisonniers et ce nombre a augmenté considérablement lorsque Margot et Anne y arrivent à la fin octobre. En décembre le nombre de prisonniers grimpe à 15,000, puis à 22,000 en février, soit beaucoup plus que la capacité du camp. Qui plus est, les prisonniers doivent se soumettre régulièrement à ce que l’on appelait «roll call». Irma Sonnenberg Menkel, une des prisonnières, se souvient.

«Peu de temps après être arrivée à Bergen-Belsen on m’a dit que je serais chef de baraques. J’ai répondu que je n’étais pas assez forte mais on m’a bien fait comprendre que refuser serait désobéir à un ordre. J’étais terrifiée mais je n’ai pas eu le choix. Il se trouvait près de 500 femmes et jeunes filles dans mes baraques et tout le monde s’entassait sans qu’il n’y ait quelconque forme d’hygiène ni aucun chauffage. À tous les matins je devais me lever à cinq heures et réveiller les autres. À six heures nous devions sortir pour le «roll-call» où nous devions nous tenir debout, en rang, sans bouger pendant des heures peu importe la température. Lorsque sélectionnés nous allions dans un bâtiment pour fabriquer des munitions pour les soldats allemands. La journée, passée soit debout à attendre ou à travailler, se terminait à dix heures du soir et les lumières étaient éteintes. À minuit trois ou quatre soldats passaient pour une inspection et je devais leur confirmer que tout était en bonne condition alors que dans les faits ces conditions étaient misérables. Une des jeunes filles dans une de mes baraques s’est trouvée à être Anne Frank. Elle était une enfant tranquille et j’ai été surprise d’apprendre qu’elle n’avait que quinze ans mais elle me semblait plus jeune. Le typhus était très répandu et sur 500 personnes qui se trouvaient dans les baraques sous ma responsabilité il y en avait plus de cent qui en étaient atteints. Lorsque Anne a attrapé la maladie je lui ai dit qu’elle pouvait demeurer dans la baraque, qu’elle n’avait pas à se rendre au «roll-call». […] Je me souviens qu’Anne m’a parlé de son père mais elle me disait aussi être très malade et moi je tentais de la rassurer en lui disant que ce n’était pas le cas. Lorsqu’elle a sombré dans le coma je la tenais dans mes bras
  Janny Brandes-Brilleslijper, qui a confirmé par écrit la mort d'Anne et Margot.

Janny Brandes-Brilleslijper et sa sœur Lin, qui travaillaient pour la Résistance, ont été arrêtées par la gestapo durant l’été de 1944 pour avoir caché des Juifs. Considérées comme criminelles elles ont d’abord été envoyées au camp de transition de Westerbork ou elles ont fait la rencontre des sœurs Frank. Ensemble elles ont été transférées à Auschwitz puis finalement à Bergen-Belsen où Janny a travaillé comme infirmière. Janny raconte que soigner les malades était un travail à temps plein mais que malheureusement elles ne disposaient que de bien peu de choses pour prodiguer des soins. Dans son témoignage, Janny raconte qu’un jour de l’hiver 1945 elle trouva Anne, debout devant elle dans la baraque qui ne disposait d’aucun type de chauffage, horriblement maigre, elle n’était vêtue que d’une seule couverture. Elle avait jeté tous ses vêtements car elle avait horreur des puces dans son linge. Janny lui donna ce qu’elle pu trouver et Anne pu se vêtir de nouveau. Elle lui donna aussi une petite ration de pain.

Anne et Margot partageaient la même couchette et Margot était visiblement la plus malade des deux, à peine capable de chuchoter. Anne s'en occupait beaucoup. Un jour Lin trouva la couchette vide mais découvrit qu'Anne et Margot s'étaient rendues dans la baraque des malades. Elle alla les voir et Anne lui dit que lorsque Margot dormirait elle n'aurait plus besoin de se lever. Lin lui dit qu'il fallait qu'elles reviennent dans l'autre baraque, parce qu'une fois ici la fin n'est jamais plus très loin. Peu de temps après Margot, encore plus affaiblie, tomba de la couchette sur le sol. Elle était à peine vivante.
 
Quelques jours plus tard Lin passa de nouveau devant la couchette d’Anne et Margot et la trouva vide, encore une fois. Sa sœur Janny et elle trouvèrent Margot et Anne derrière la baraque au sol. Elles étaient toutes les deux mortes. «Nous avons enveloppé leurs corps avec des draps que l'on a pu trouver et avons été les déposer dans une grande fosse qui se trouvait tout près."

Une des nombreuses fosses de Bergen-Belsen. L'inscription sur celui-ci indique qu'il contient enciron 5000 personnes mises là en avril 1945.

La libération de Bergen-Belsen arrive lorsque le site est investi par les forces britanniques et canadiennes. Michael Bentine, un soldat britannique qui a participé à la libération du camp, a dit que des millions de mots ont été écrits sur les camps de concentration et qu’il a lui-même tenté de décrire l’endroit dans ses propres mots. Sans succès. Les mots ne lui parvenant pas. Il a simplement dit que Bergen-Belsen était l’ultime blasphème. Un officier, le major Richard Williams a tout simplement dit que l’endroit était le Mal et rien de moins que l’enfer sur Terre. Les morts jonchent le sol partout et parmi eux il y a des survivants qui doivent être sauvés mais le typhus fait toujours rage sur le site. Les véhicules doivent rouler à basse vitesse pour éviter de soulever la poussière. Malgré tout, les Alliés décident d'incendier tous les bâtiments afin d'éviter d'éventuelles propagations de la maladie.

 Bergen-Belsen, peu de temps après la mort d'Anne et Margot et l'arrivée des Alliés.

Partout sur le site on prend soin d'indiquer les risques de contagion par le typhus.

Des prisonnières, entassés dans une baraque pour femmes. Certaines s'en sortiront mais d'autres auront moins de chance.



Soldats et anciens prisonniers regardent des baraques être incendiées. Les risques de contagion sont alors grandement diminués.


Fritz Pfeffer, après avoir transigé par Auschwitz, est expédié à Neuengamme, un autre camp de concentration situé près de Hambourg, au nord de l’Allemagne. Là, les prisonniers sont soumis à des travaux forcés très durs et on ne leur donne que très peu de nourriture. Pfeffer devient malade et meurt le 20 décembre 1944. Les fichiers du camp indiquent qu’il est mort d’une entérocolite, un terme généraliste qui englobe entre autres la dysenterie et le choléra, deux causes de décès alors largement rependues dans les camps.

Quelques jours après son arrivée à Auschwitz, Hermann van Pels est sélectionné pour être envoyé à la chambre à gaz. Son fils Peter ainsi qu’Otto sont témoin de cette sélection et plus tard, Otto a raconté avoir vu passer un charriot avec les vêtements de Hermann.

Auguste van Pels fut expédiée à Bergen-Belsen en même temps qu’Anne et Margot et les trois femmes ont pu demeurer ensembles. Hanneli Goslar a raconté dans un témoignage avoir pu lui parler au travers la clôture. Bien qu’elle a pu s’occuper de Margot, laquelle était tombée très malade, Auguste fut transférée à Buchenwald en février puis au camp de Theresienstadt en Tchécoslovaquie. Il est estimé qu’elle est décédée là quelque part en avril ou mai 1945.

Peter van Pels, le jeune fils d’Auguste et d’Hermann, fut expédié initialement comme les autres à Auschwitz et Otto a alors entreprit de le prendre sous sa protection. Ce dernier tenta de le convaincre de ne pas prendre part à une marche forcée jusqu’au camp de Mauthausen mais Peter fut convaincu qu’il avait de meilleures chances de survivre s’il s’y rendait. Là bas, son arrivée fut enregistrée le 25 janvier 1945 et fut envoyé aux travaux forcés à l’extérieur. Il fut envoyé dans la baraque servant d’infirmerie et la Croix Rouge a désigné la date de son décès comme étant le 2 mai 1945. Le camp de Mauthausen fut libéré trois jours plus tard par la 11è Division blindée de la US Army.

De tous les occupants de l'annexe, Otto est le seul à avoir survécu. Après la libération d'Auschwitz par les Soviétiques, Otto transige par Odessa avant de revenir à Amsterdam. Il sait à ce moment que sa femme n'a pas survécu mais entretient de bons espoirs pour Anne et Margot. Il savait que Bergen-Belsen n'était pas un camp d'extermination et que ses filles étaient en bonne santé avant d'y être déportées.  Il a inscrit leurs noms dans un avis de recherche publié dans les journaux afin de faciliter leur localisation.



Malheureusement il a reçu la nouvelle, l'horrible nouvelle qui lui a tranché le cœur non pas une, mais deux fois, soit l'annonce des décès respectifs de ses deux filles de par Lin et  qui est parvenue à contacter Otto. Il ouvrit la lettre adressée à son intention puis, après un lourd silence Otto regarda Miep et lui dit «Miep... Miep, Margot et Anne ne reviendront pas.» Il se leva et se dirigea d'un pas lourd vers son bureau. Les notices officielles de la Croix Rouge lui ont par la suite confirmer qu'il ne reverrait jamais ses filles. La douleur, on le devine, a dû être parfaitement insoutenable.



Après qu'Otto est entré dans son bureau, Miep a ouvert son tiroir, prit tous les écrits qu'elle avait soigneusement conservé pour ensuite les donner à Otto. «C'est le legs de votre fille Anne.» lui a t-elle dit. En recevant le journal d'Anne, Otto demanda à Miep de veiller à ce qu'il ne soit pas dérangé et Miep le rassura en lui disant qu'elle avait déjà prit cette précaution.


Le reste, on le sait, est passé à l’Histoire. Le journal d’Anne Frank a connu un succès exponentiel à travers le monde et est devenu un des livres les plus lus au 20è siècle. En publiant le journal de sa fille, Otto a rendu possible le souhait d’Anne, soit celui de devenir une écrivaine qui n’aura pas vécu en vain.

Au fil des ans plusieurs se sont posé souvent la question, à savoir qui avait trahi la famille d’Anne alors qu’ils se cachaient dans l’annexe du 263 Prinsengracht. Une enquête a pointé du doigt un petit criminel sans evergure du nom de Tonny Ahlers alors que qu’une autre accuse Lena van Bladeren-Hartog laquelle avait été embauchée pour faire le ménage des locaux d’Opekta. Toutefois, et comme le démontre une étude du Nederlands Instituut voor Oorlogsdocumentatie (Institut néerlandais de documentation de guerre), il est fort possible aussi que les Frank et les van Pels aient fait preuve d’une certaine insouciance en se rendant parfois visibles ou audibles de l’extérieur. Anne mentionne à plusieurs reprises dans son journal des disputes à haute voix, des claquements de portes, des fenêtres laissées ouvertes par mégarde été autres maladresses qui auraient pu les trahir.

Est-ce que les Frank auraient pu, originalement, éviter toute cette tragédie? Otto aurait pu, comme d’autres membres de sa famille, fuir en Suisse mais il préféra les Pays-Bas non sans avoir considéré d'autres endroits comme les États-Unis mais les visas d'immigration étaient longs à traiter et les conditions d'admission quelquefois difficiles. Otto était convaincu que l’Allemagne n’envahirait pas les Pays-Bas, considérant alors Amsterdam comme un lieu sûr. Ce fut évidemment une erreur. Otto avait basé son jugement sur sa propre expérience d’officier Allemand durant la Première guerre alors que l’Allemagne n’avait effectivement pas envahi les Pays-Bas mais avec Hitler, la donne avait considérablement changé. Bien que les Pays-Bas avaient déclaré leur neutralité, tout comme le Luxembourg, la Belgique et la Suisse, Hitler considérait les Pays-Bas comme une porte d'accès au Reich pour les Alliés. Il eut la possibilité, alors que c,était toujours possible, d'envoyer Anne et Margot en Angleterre mais ni lui ni Edith n'étaient prêts à se séparer de leurs enfants.

 Johannes Kleiman (Koophuis dans le livre), l'un de ceux qui ont aidé à cacher la famille Frank montre la fausse bibliothèque menant à l'annexe secrète.

Otto Frank, au centre, entouré de ceux qui l'on aidé durant la guerre. À gauche, les bras croisés, se trouve Miep Gies, qui a récupéré le journal d'Anne après l'arrestation. À droite se trouve Bep Voskuijl, une confidente d'Anne. À l'arrière, avec les lunettes se trouve Johannes Kleiman ainsi que Victor Kluger.

Miep Gies, vers la fin de sa vie. Sans elle le monde n'aurait jamais connu Anne. Dans le sud d'Amsterdam, en ce 12 juin 2013, le parc Hunzestraat devient le parc Miep Gies.

Est-ce qu’Otto aurait pu faire autre chose que de cacher sa famille? Étant Juif il était persuadé qu’un bien mauvais sort attendait les siens. Toutefois, lorsqu’il fut arrêté le 4 août 1944, l'homme du service de sécurité s'est arrêté soudain devant le lit de sa femme, a fixé la malle qui se trouvait entre le lit et la fenêtre et a crié : « Comment vous êtes-vous procuré cette malle ? » C'était une malle grise avec une armature métallique comme tous les soldats de la Première Guerre mondiale avaient eu et dont le couvercle portait l'inscription : Lieutenant de réserve, Otto Frank. Il a répondu : « Elle m'appartient. » « Comment ça ? » « J'ai été officier dans l'armée allemande. » Sa réponse a décontenancé l’homme. Il l'a regardé fixement puis a demandé : « Pourquoi ne l'avez-vous pas signalé en temps et en heure ? » Otto s’est mordu les lèvres. « Vous auriez sûrement été épargné. On vous aurait envoyé à Theresienstadt ! »

Theresienstadt était le nom allemand de de Terezín, une ancienne forteresse militaire située au nord-ouest de la République tchèque et qui avait été transformée par la Gestapo en camp de travail. Durant la Seconde guerre plus de 144,000 Juifs s’y sont retrouvés. À la fin de la guerre on ne comptait que 19 000 survivants.

Outre le journal, que l’on connaît bien (du moins je l’espère) les écrits d’Anne ont fait l’objet d’adaptations tant pour la scène que pour des films. De façon assez intéressante la première actrice à se voir offrir le rôle d’Anne fut… Audrey Hepburn. Cette dernière partageait plusieurs points en commun avec Anne en outre être née la même année en plus de s’être également cachée des Nazis en Hollande. Elle avait dit que de jouer le rôle d’Anne ne ferait que lui rappeler les horribles souvenirs. 

 Audrey Hepburn en compagnie d'Otto Frank.

«J’ai exactement le même âge qu’Anne. Nous étions toutes les deux âgées de dix ans lorsque la guerre éclata, et quinze lorsqu’elle se termina. Un ami m’a offert le journal d’Anne en néerlandais et cela m’a détruit. Cela se produit chez beaucoup de gens lorsqu’ils le lisent pour la première fois. Par contre je ne le lisais pas comme un livre. C’était davantage comme lire ma propre vie. Je n’ai jamais plus été la même tellement cela m’a affecté. Dans le journal j’ai placé un marqueur à l’endroit où Anne raconte l’exécution de cinq personnes dans la rue, c’était la date où mon oncle a été tué de cette façon et dans les mots de cette jeune fille je lisais ce qui se trouvait à l’intérieur de moi, et s’y trouve toujours. Ce fut une catharsis pour moi. Anne, enfermée dans l’annexe parvint à écrire parfaitement tout ce dont j’avais fait l’expérience ainsi que ce que je ressentais. »

C’est Millie Perkins qui a alors obtenu le rôle dans un film produit en 1959 quoique Millie semblait un peu vieille pour jouer une adolescente de treize ou quatorze ans. Melissa Gilbert, la fameuse Laura Ingalls, a aussi tenu le rôle dans un téléfilm tourné en 1980. On a aussi pu apprécier Ellie Kendrick dans une minisérie diffusée en 2009 mais de beaucoup s’entendent pour dire que l’actrice britannique Hannah Gordon Taylor fut la personnification la plus fidèle dans Anne Frank : The Whole Story et tourné en 2001. Sans compter que sa ressemblance avec Anne était des plus frappantes. Hanna a d’ailleurs raconté dans une entrevue avoir rencontré Miep Gies sur le plateau et Miep n’a pu que confesser à quel point Hannah ressemblait à Anne, au point d’en pleurer. 

 Hanna Gordon Taylor dans le rôle d'Anne, une ressemblance étonnante.

Il y a eu aussi des représentations au théâtre dont un pièce en 1955 avec Susan Strasberg dans le rôle d’Anne. Cette pièce reçut un très bel accueil et se mérita un Tony Award. Une autre, plus récente mit en vedette Natalie Portman, native de Jérusalem et elle-même juive, et  qui joua une Anne bouleversante et très poignante.


 Nathalie Portman dans le rôle d'Anne.

Statue de cire au musée Tussaud de Berlin représentant Anne dans l'annexe alors qu'elle écrit dans son journal. On a confié à des spécialistes la réalisation de la statue d'Anne car nous ne possédons aucune photo d'elle alors qu'elle se trouvait dans l'annexe. Les spécialistes ont donc utilisé leur expertise et ont tâché de déterminer de quelle façon elle avait changé physiquement.

L’héritage d’Anne est certainement appréciable. Il y a évidemment la Fondation Anne Frank, basée à Bâle en Suisse et établie par Otto en 1963. La Fondation est le seul organisme qui détient les droits sur le journal d’Anne. À Amsterdam on retrouve la fameuse annexe, maintenant connue sous le nom de Maison Anne Frank et qui fait office depuis 1960 de musée que les gens peuvent visiter. On peut y voir de nombreux artéfacts dont les photos qu’Anne avait collé sur son mur ainsi que les marques de crayon qui ont servi à mesurer la grandeur d’Anne et Margot durant leur période dans l’annexe. On peut également y admirer le journal original d’Anne, celui qu’elle avait reçu de son père en cadeau en 1942. 

 Son journal, tel qu'exposé à la Maison Anne Frank. 

Si vous allez vous promener sur le Merwedeplein vous pourrez voir, de l’extérieur seulement, l’appartement où la famille Frank a habité de 1933 à 1942. L’endroit n’a que très peu changé depuis l’époque. En face, dans le grand parc, se trouve une statue d’Anne la représentant sous un air triste et transportant ses bagages, symbolisant son départ pour l’annexe secrète.


Justement, non loin de la Maison Anne Frank, se trouve l’église protestante Westerkerk qu’Anne mentionne à plusieurs reprises dans son journal et dont le clocher était visible de l’annexe. Anne décrivait le son des cloches comme une source de réconfort. Sur le square de l’église se trouve une statue d’Anne réalisée par Mari Adriessen. 


Et non loin du Merwedeplein, au coin de Wallstraat et Rooseveltlaan, se trouve la petite librairie, Boekhandel Jimmink où Otto a acheté à Anne le fameux cahier d'autographes qui allait devenir si symbolique. 

   
 Kitty Gokkel-Egyedi, Hanneli Goslar et Jaqueline van Maarsen, des amies d'enfance d'Anne réunies en 2012. Elles se sont sûrement rappelées des souvenirs mais auraient certainement souhaité qu'Anne soit là, avec elles.

Victor Kugler a été arrêté avec les occupants de l’annexe le 4 août 1944. Le 7 septembre il a été transféré à la prison de Weteringschans dans une cellule réservée à ceux qui sont condamnés à mort. Il a toutefois été amené à différents endroits pour effectuer des travaux forcés. En mars 1945 il faisait partie d’un large groupe de quelques 600 prisonniers marchant vers l’Allemagne mais il une attaque aérienne, semant la confusion, Kugler en a alors profité pour s’échapper. En avril 1945 il s’est réfugié dans sa propre maison jusqu’à la libération des Pays-Bas par les Forces canadiennes le 5 mai 1945. Kugler a ensuite déménagé à Toronto où il est décédé le 16 décembre 1981.

Johannes Kleiman est arrêté, tout comme Victor Kugler, le 4 août 1944 par Silberbauer en même temps que les occupants de l’annexe. Il fut envoyé à la prison d’Amstelveenseweg en attendant la déportation puis au camp de travail d’Amersfoort où il fut libéré plus tard par dispensation spéciale de la Croix Rouge en raison de son état de santé précaire. Keliman souffrait de violents ulcères à l’estomac. En tout il fut prisonnier des nazis pour environ six semaines. Après la publication du journal d’Anne, Kleiman fit souvent visiter l’annexe, vacante depuis le début des années 50, à des journalistes ou encore d’autres gens. Il devint instrumental dans la création et le développement de la Anne Frank Foundation le 3 mai 1957. Kleiman est mort subitement à son bureau le 28 janvier 1959 sans avoir vu l’ouverture officielle de la Musée Anne Frank en 1960.

Lorsque la Gestapo a procédé à l’arrestation des occupants de l’annexe, Bep s’est enfuie avec des documents qui auraient incriminé leurs contacts avec le marché noir. Elle est toutefois revenue plus tard pour aider Miep Gies à récupérer les effets personnels des Frank et des van Pels capturés, incluant le journal d’Anne. Proche confidente d’Anne, elle fut terriblement secouée en apprenant la mort de cette dernière. Elle quitta la compagnie en 1946 et vécut de façon très discrète tout en élevant quatre enfants qu’elle eut plus tard. Elle ne donna que quelques entrevues mais conserva des liens étroits avec Otto jusqu'à sa mort en 1983 à l’âge de 63 ans.

Miep ne fut pas arrêtée le 4 août 1944 et le jour suivant, avec l’aide de Bep, elle récupéra le journal d’Anne ainsi que d’autres effets qui n’avaient pas intéressé la Gestapo. Après avoir donné le journal à Otto elle mena une vie discrète et rangée mais ne lut le journal d’Anne que lors de sa seconde édition. Peu de temps avant sa mort en 2010 à l’âge de 100 ans, elle a écrit, avec Leslie Gold, une livre intitulé Anne Frank Remembered dans lequel elle raconte sa propre histoire.

Jan Gies, le mari de Miep, est demeuré tout aussi discret que son épouse après la guerre. Il est décédé en 1993 des suite de complications du diabète. Quant à Johannes Hendrik Voskuijl, il est décédé d’un cancer abdominal en novembre 1945. 

Karl Silberbauer est décédé en 1972 et a toujours dit n'avoir fait que son travail. Il a toutefois lu le journal d'Anne en espérant s'y retrouver mais celà était bien entendu impossible puisqu'Anne n'a évidemment jamais pu continuer à écrire une fois incarcérée. Sa seule réaction a été de dire que s'il aurait su pour le journal lors de l'arrestation il aurait tout fait ramasser. S'il l'aurait effectivement fait les écrits d'Anne ne nous seraient jamais parvenu.

Janny Brandes-Brilleslijper est décédée le 15 août 2003 à l'âge de 86 ans. Elle apparaît dans le documentaire Anne Frank: Remembered dans lequel elle raconte son histoire et comment elle a rencontré les sœurs Frank.  

Aujourd’hui le site de l’ancien camp de concentration de Bergen-Belsen est un cimetière. Vers 1945-46 on a conçu des plans d’aménagement pour un mémorial mais ces plans ne  comprenaient pas l’ensemble de l’ancien camp qui comptait une superficie de 55 hectares mais seulement une section entourant les fosses communes. La grande majorité des anciennes structures; clôtures, chemins, tours de garde ainsi que les ruines du crématorium ont été enlevées et remplacées par des arbres et arbustes et bien peu de choses témoignent de la présence passée d’un camp de concentration. Plus loin subsistent les fondations de quelques bâtiments se trouvant à l’extérieur de l’aménagement et des groupes de jeunes ont entreprit de les excaver et cette partie de l’ancien camp n’ont été incorporées au Mémorial de Bergen-Belsen qu’en 2009. On retrouve sur le site de nombreux monuments à la mémoire des Juifs, des Polonais et des Hollandais qui ont péri, dont un dédié aux sœurs Frank qui fut érigé en 1999. On compte aussi un centre d’interprétation incluant une Maison du Silence.

L’Holocauste a signifié la mort horrible de plus de six millions de Juifs dont un million et demi d’enfants, chacune de ces personnes ayant une histoire. Celle d’Anne Frank n’est qu’une de celles-là.

L'épitaphe provient d'un passage biblique; Proverbes, chapitre 20, verset 27: Le souffle de l'homme est une lampe de l'Eternel; Il pénètre jusqu'au fond des entrailles.

Pour ceux et celles qui seraient intéressés d'en lire et apprendre davantage, voici les livres de ma bibliothèque personnelle que j'ai consulté afin de rédiger cet article. Ces livres sont disponibles en librairie mais ne sont pas tous traduits en français. Informez-vous auprès de votre libraire pour leur disponibilité et traductions s'il y a lieu.


1. Anne Frank: The Diary of a Young Girl - The Definitive Edition (Otto H. Frank, Mirjam Pressler) Il s'agit de l'édition définitive du journal d'Anne qui inclut des portions autrefois censurées par le père d'Anne.
2. Anne Frank: Tales From The Secret Annex (Anne Frank): Collection d'anecdotes amusantes qui se sont déroulées dans l'annexe secrète, souvenirs d'école ainsi que divers contes imaginés ert écrits par Anne.
3. Anne Frank's Family: Treasures From The Attic (Mirjam Pressler): L'histoire de la famille d'Anne au travers 6,000 documents inédits trouvés dans le grenier de la sœur d'Otto en Suisse. On y retrouve des lettres et cartes postales écrites par Anne à son cousin Bernd.
4. The Last Seven Months of Anne Frank (Willy Lindwer): Le destin final d'Anne et Margot tel que raconté par des survivantes de Bergen-Belsen. On a aussi tiré de ce livre un documentaire du même nom et qui s'est mérité un Oscar pour le meilleur documentaire en 1996.
5. Anne Frank: The Biography (Melissa Müller): L'écrivaine autrichienne Melissa Müller va au-delà du journal d'Anne et brosse un portrait émouvant de la jeune fille et de sa famille. 
6. Anne Frank Remembered (Miep Gies, Allison Leslie Gold): Miep Gies est celle qui a récupéré le journal d'Anne après l'arrestation du 4 août 1944. Avec l'écrivaine américaine Alison Leslie Gold, Miep raconte sa vie ainsi que la façon dont elle a pu venir en aide aux gens réfugiés dans l'annexe.
7. The Diary of Anne Frank: The Revised Critical Edition (Netherlands Institute for War Documentation): On retrouve dans ce livre de près de 800 pages les trois versions du journal d'Anne; soit ce qu'elle a originalement écrit, les corrections et éditions qu'elle a apporté par la suite ainsi que la version éditée qui fut publiée. On retrouve aussi les résultats des enquêtes concernant l'identité de la personne qui a trahi les gens de l'annexe, une analyse de l'écriture d'Anne, des photos, des annotations et notes des traducteurs.