Juin 1975. À l’angle
des rues Elmire et de Bullion le photographe de La Presse Yves
Beauchamp a croqué une de ces scènes typiques de l’époque avec
tout le talent qu’on lui connaît. À l’époque je n’habitais
pas le Plateau mais plutôt Hochelaga-Maisonneuve, par contre cette scène
aurait très bien pu s’y dérouler puisque l’environnement était
assez similaire mis à part peut-être que dans mon vieux quartier on
retrouvait davantage de maisons à trois étages mais pour le reste,
tout est là.
Tiens, il y a ces gamins
sur le coin de la rue dont l’un enfourche son Mustang
avec siège banane, pas de vitesse et freinage en donnant un coup de
pédale par en-arrière. Presque chaque enfant et son chien en avait
un sauf moi où mon bolide était un
motocross Stelber qui faisait l’envie de tous mes
amis. Faut noter l’absence de casque de protection. Ça n’existait
même pas. Les genoux et les coudes barbouillés de mercurochrome par
contre étaient en vogue. C’était presqu’un rite de passage. Un badge.
Au balcon de la maison
sur Elmire y’a deux gars qui se la coulent douce. On pourrait
presqu’entendre jouer de la musique provenant de leur appartement.
Ça pourrait être High Voltage d’AC/DC, Face The Music
d’ELO, Wish You Were Here de Pink Floyd ou peut-être
l’album Pommes de route de Plume. De quoi ces deux amis
jasent-ils? Peut-être du salaire minimum qui vient tout juste de
passer à $2,60 l’heure ou encore de la fameuse commission Cliche?
Parmi les autres choses
que l’on peut entendre y’a les rires de ces gens installés
confortablement sur le trottoir étant donné qu’il n’y a pas de
terrain avant. Un de enfants sera sûrement chargé d’aller faire
une «commission» chez Variétés Claude pour aller chercher une
pinte de lait La Ferme St-Laurent, Sealtest ou J.J. Joubert, un
Montréal-Matin, un billet de Super et peut-être quelques Mini à
cinquante sous. Et ne pas oublier un paquet de cigarettes. On ne
cartait pas dans le temps et n’importe quel enfant pouvait acheter
tout ça. Avec 25 sous de pourboire il ne suffisait que d’une autre
commission du genre pour pouvoir acheter le Pif Gadget qui allait sortir
le samedi suivant. Ou peut-être le Journal de Tintin.
On peut aussi entendre le
bruit des ballons qui rebondissent pas terre, des «bécyks» dont
les enfants ont attaché un vieux paquet de cigarettes ou une carte à
jouer avec une épingle à linge et qui frotte sur les rayons de la
roue arrière, créant ainsi un bruit imitant le moteur d’une
moto. Certains y mettaient plutôt des balounnes mais elles
finissaient par éclater à cause de l’échauffement.
À travers tout ça il y
a les «gros chars» si particuliers de ce temps-là. Sur Elmire on
voit un vieux Pontiac Parisienne de la fin des années 60. Pas loin
y’a un Mercury Comet. Je pense deviner un Chrysler Newport, un
Buick et un Impala. Et à l’avant-plan y’a cette Coccinelle dont
le bruit du moteur refroidi à air était très reconnaissable.
C’était le temps où elles étaient encore faites à Wolfsburg en
Allemagne.
Juin 1975 c’est aussi
le moment où l’on a quitté Hochelaga-Maisonneuve pour migrer vers
Rosemont, un peu au nord du boulevard du même nom et qui avait
commencé à se développer depuis peu. Je laissais derrière le
vieux quartier que j’avais toujours connu et qui m’avait vu
grandir, ma bonne vieille cour arrière, les épiceries du coin où
j’allais si souvent mais aussi mes bons vieux amis. Un chapitre se
fermait et un autre s’ouvrait.
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