Soir venteux et assez froid. Je
reviens de faire quelques courses et, collet relevé, j’ai bien
hâte de me retrouver au chaud, dans l’mou et dans mes pantoufles
d’ours. Sur le coin de cette intersection achalandée passent
quantité de voitures et camions à toute allure. Tous les véhicules,
à quelques rares exceptions près, dépassent largement la limite de
vitesse et, à cause de ce trafic, le feu de circulation de l'artère principale demeure
vert longtemps alors que moi, ben je piaffe non seulement à cause
de cette température glaciale mais aussi parce que j’ai une de ces
faims.
Puis, je remarque, pif
poil au milieu de l’intersection, un petit sac de plastique blanc
qui traîne. Une autre cochonnerie que quelqu’un a jeté comme ça
sans aucun souci. Un autre parmi les milliers sinon les millions qui pullulent partout en ville. Je regarde le feu de circulation toujours vert et
parfaitement interminable. Mais, tout d'un coup, y’a un détail qui en vient à m’échapper. Y'a un de ces vents froid qui me fouette le visage mais, assez curieusement,
c’est à peine si le petit sac de plastique bouge. Même les voitures qui le frôlent ne le font presque pas broncher. Je n’ai pas mes barniques sur le nez et le soir comme
ça sans mes châssis doubles j’ai un peu de peine à bien
distinguer ce qui se trouve un peu loin. Je les sors donc de ma poche afin de voir de quoi il en retourne et c’est là que je me rends
soudainement compte que le sac de plastique n’en est pas un. C’est
un petit minet de rien du tout. Il n’a pas plus qu’un mois et
demi ou deux. Je peux évidemment pas le laisser comme ça et j’ai
maintenant une mission : aller le sauver coûte que coûte. Le problème
c’est qu’il se trouve une nuée de voitures qui filent, manquant
parfois de l’écraser de peu et il me serait impossible d’aller
chercher le minet sans moi-même me faire frapper. Je ne tiens plus
en place parce j’ai trop la chienne de voir la petite bête devenir
une pizza. J’arrive à percevoir sa petite bouche qui ouvre. Il
crie au secours, forcément, tout en regardant tout autour, cherchant
du regard qui pourrait bien le sortir de ce pétrin.
Je regarde à nouveau le
feu de circulation, toujours vert et lorsqu’il tombe finalement au
jaune je n’attends même pas qu’il vire au rouge. Toute de suite
je fais signe aux voitures qui s’apprêtent à décoller d’attendre
pendant que je sprinte vers le milieu de l’intersection. Dieu merci
il est sain et sauf. Je m’arrête et le regarde. Il me regarde lui
aussi et ouvre la bouche d’où s’échappe un miaulement
inaudible. Il est minuscule, sale et maigre. Je me penche et
l’agrippe rapidement par la peau du cou pour ensuite l’enfourner
dans mon manteau pour le sécuriser et aussi le réchauffer car il
grelotte comme un vieux réveille-matin à remontoir.
Après avoir traversé la
rue je presse le pas. Rendu chez-moi je dépose mon sac et me rend de
sitôt dans la salle de bain où j’extirpe le minet de mon manteau
pour le mettre dans la baignoire. Celle-ci est trop profonde pour
qu’il puisse s’en échapper. Je m’en vais porter mon manteau et
reviens afin de voir de plus près ce petit naufragé de la tempête
urbaine.
Je me rends vite compte
que mon rescapé est en réalité une rescapée. C’est une petite
femelle. Sa robe, complètement blanche est évidemment très sale et je la
peigne soigneusement afin d’y déceler quelconque trace de puces.
Je suis soulagé de ne pas en trouver. Pas de mites dans les oreilles
non plus. Voilà qui est très bien. L’eau tiède que je fais
couler l’apeure un peu mais il faut ce qu’il faut. Heureusement
j’ai du shampoing fait spécialement pour les chats alors je lui
fais subir un bon petit nettoyage en règle. L’eau devient
rapidement noire. Elle ne rouspète pas et après l’avoir
soigneusement rincée je l’assèche dans une grande serviette tout
en la gardant contre moi. Immédiatement je ressens encore un ronronnement
très fort.
Dans la cuisine je lui
sers un bon pâté que je réserve d’habitude à mon autre féline,
Zoé,
mais je ne crois pas que cette dernière s’offusque à ce que j’en
offre à la petite minette qui se met à dévorer promptement son
plat toujours en ronronnant bruyamment. C’est tout juste si elle ne
mange pas l’assiette. Elle boit aussi à grandes lampées dans le
bol d’eau.
Puis je m’installe dans
mon fauteuil en la gardant dans mes bras. Peut-être, que je me dis,
qu’elle va chercher à sauter par terre pour aller se cacher
quelque part. Après tout elle se retrouve subitement dans un
environnement qu’elle ne connaît pas mais au contraire elle
demeure bien blottie contre moi. Je lui ai préparé un petit coussin
sur ma table tout près de moi et dès que je tente de la déposer
dedans elle miaule en s’agrippant après moi, se love en petite
boule contre ma poitrine et recommence à ronronner. Je tente de
nouveau l’expérience. Même résultat. Elle miaule de désespoir
dès que je l’éloigne de moi pour se calmer de nouveau dès que je
la presse contre moi.
Une semaine plus tard je
suis chez le vétérinaire, parce que j’ai décidé de la garder.
Si, parce que cet épisode de sauvetage en plein milieu d’une
intersection diablement achalandée où les accidents ne sont pas si
rares n’était pas le fruit du simple hasard. Il se trouvait là
quelque chose de nébuleux, sorte de conjoncture de deux destinées,
celle du minou et la mienne, qui étaient mûres pour se croiser. À la clinique la petite
minette ne tient toujours qu’à être contre moi et c’est avec un
peu de misère que la vétérinaire parvient à lui faire son examen.
Le verdict est bon. La petite chatte, que j’ai depuis baptisée
Bobinette, est en parfaite santé. Ses vaccins la rendent un peu
groggy et je la redépose dans la cage pour le retour à la maison.
En écoutant l’histoire de son sauvetage la vétérinaire s’est
avancée sur la possibilité que la petite chatte soit issue d’une
portée de ruelle, maqlheureusement encore trop nombreuses dans mon quartier, et qu’elle se soit
trop éloignée pour pouvoir revenir. Mais comment a-t-elle pu se rendre en plein milieu d'un intersection sans se faire écrapoutir relève du miracle en soi. L’autre possibilité, plus
cruelle celle-là, est qu’elle ait carrément été abandonnée en plein
milieu de la rue. Quoiqu’il en soit elle est en sécurité
maintenant et le restera. Au courant de l'été prochain, lorsqu'elle aura atteint sa maturité sexuelle, elle retournera à la clinique pour une stérilisation en bonne et dûe forme. On ne répetera jamais assez l'importance de poser ce geste.
Entretemps,
lorsqu’elle n’est pas à jouer avec une ficelle ou avec Zoé,
c’est encore et toujours sur moi qu’elle préfère se reposer.
Dans ce temps-là passer un coup de fil à quelqu’un signifie
presqu’automatiquement que la conversation va être agrémentée de
ronrons en sourdine. Et à tout moment Bobinette me prend entre ses
pattes pour passer de longues minutes à me donner de petits coups de
tête, se frotter contre mes joues et me lécher le visage comme s’il
n’y avait pas de lendemain. La nuit, très souvent, il lui arrive
de me lécher le visage pendant de longues minutes pour ensuite se
coucher collée contre mon visage. Je connais assez bien la
psychologie féline pour comprendre qu’il s’agit là d’un lien
social que Bobinette me considère comme un membre de sa famille et
elle renforce ce sentiment en me léchant, comme sa mère le faisait
avec elle. J’aime à penser aussi que, durant ces moments, elle me
remercie de l’avoir ainsi sauvée d’une mort certaine et de lui
avoir offert une chance à la vie car je ne suis pas convaincu du tout qu'elle aurait survécu à cet hiver de malheur dehors.
Quelle belle histoire, merci de la partager !
RépondreEffacerContent que vous l'ayez appréciée. Ça m'a fait bien plaisir de l'écrire.
EffacerPluche