On
dit souvent, à tort, que les hautes sphères de la finance et de la
richesse étaient jadis uniquement l’affaire des anglophones et des
écossais, qu’il s’agissait d’une sorte de club hermétique qui
ne laissait filtrer aucun francophone.
C’est
évidemment faux.
Pour
parvenir au succès financier ce qu’il fallait n’était pas de
parler anglais mais bien d’avoir de la volonté et de ne pas avoir
peur de se retrousser les manches pour travailler fort. À titre
d’exemple, Donald Alexander Smith, devenu Lord Strathcona, n’est
arrivé ici qu’avec le change dans sa poche. Son cousin, George
Stephen, devenu Lord Mount Stephen, n’est pas débarqué non plus
ici les poches pleines. Il a passé de longues soirées à étudier
des volumes sur les finances l’art bancaire. Ce ne sont là que
deux exemples parmi tant d’autres. Or qu’est-ce qui empêchait un
Canadien-Français de connaître le succès?
Rien.
La
recette était la même. Et cette recette, Louis-Joseph Forget l’a
bien comprise. Le personnage n’est pas né d’une famille riche du
Golden Square Mile mais bien dans une famille d’agriculteurs de
Terrebonne en 1853. Il aurait pu enfiler la salopette et manier de la
bâche mais il a préféré s’instruire au collège Masson. Il a
trimé dur et après sa graduation il est allé travailler pour le
compte de Thomas Caverhill, courtier en valeurs mobilières. À force
de travailler sans compter les heures Louis-Joseph Forget a amassé
une quantité de sous assez importante pour lui permettre de fonder,
dès 1876, sa propre maison de courtage.
En
1890 la compagnie de Forget est l’une des plus importantes au pays.
Notez bien l’utilisation du mot «pays» et non »quartier»,
«ville» ou même «province». Deux ans plus tard il prend les
rênes de la Montreal Street Railway à titre de président et
supervise dès lors l’électrification du réseau de tramways,
travail qui sera complété en 1895. L’année suivante Forget est
nommé sénateur et en plus de ce travail il chapeaute la fusion des
compagnies énergétiques qui formeront en 1900 la Montreal Light,
Heat & Power, l’ancêtre d’Hydro-Québec. Toujours en 1900 il
est élu au conseil d’administration du Canadien Pacifique, le
premier francophone à accéder à la table d’une des plus
importantes compagnies canadiennes. Tout ça parce que le bonhomme
n’a pas eu peur de se relever les manches.Évidemment
Forget a pu amasser une fortune assez considérable et c’est avec
cet argent qu’il s’est fait construire une splendide résidence
sur la rue Sherbrooke, pif-poil au milieu d’autres résidences
cossues du secteur. Le terrain est acquis en 1882 et les plans
confiés à l’architecte Maurice Perreault, à qui l’on doit,
entre autres, le Monument national sur St-Laurent qu’il a réalisé
avec son partenaire Alphonse Ménard. La maison fait largement usage
de pierre de taille avec un escalier imposant flanqué de rampes en
fer forgé et que je vous propose aujourd’hui avec cette photo
prise l’été dernier. Fort heureusement la résidence a été
classé monument historique en 1974 et se trouve donc protégée.
Dommage que l’on n’ait pas pu en faire autant avec d’autres de
ces belles demeures, comme celle de William Van Horne.
Le
saviez-vous? C’est le 21 septembre 1892 qu’est apparu le premier
tramway électrique à Montréal; le Rocket, surnommé ainsi parce
qu’il allait légèrement plus vite qu’un picouille flegmatique.
On peut d’ailleurs l’admirer (le tramway, pas la picouille) à Exporail.
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