Dans
l’article précédent il était question de la rue Ste-Catherine
telle que vue dans le centre-ville en 1969. Aujourd’hui je vous
propose encore une fois la rue Ste-Catherine, toujours dans le
centre-ville mais cette fois en 1952 et ma foi, pas tout à fait loin
de la photo de 1969. La différence étant qu’ici on se trouve
entre les rues University et McGill College et on regarde vers
l’ouest.
En 1929
le krach boursier plombe sérieusement les marchés financiers et,
par conséquent, ceux de l’emploi et du commerce. Résultat :
privations, chômage et récession. Pratiquement tout le monde y
goûte. Les conséquences de la crise ne s’estompent pas du jour au
lendemain, malheureusement et dès que l’on entrevoit un tant soit
peu la lumière au bout du tunnel, arrive la Seconde guerre mondiale.
Montréal connait alors une autre période de vaches maigres en
raison de l’économie dite de guerre. Ce n’est pas que l’emploi
manque, au contraire car quantité d’usines fabriquaient toutes
sortes de choses destinées au conflit d’outre-mer; uniformes,
parachutes, moteurs, véhicules, munitions et autres mais la majorité
des biens de consommation sont rationnés et/ou réquisitionnés.
Avec la fin de la guerre en 1945 l’économie de guerre transige
lentement mais sûrement en une économie de paix. Le Montréal du
début des années 50 est alors marqué par une vigueur économique
sans précédent qui tire presque du conte de fées. Les grandes
artères sont alors illuminées d’une véritable forêt d’enseignes
lumineuse qui clignotent dans tous les sens. À cette époque
le nightlife de
Montréal est légendaire et il pratiquement possible, à toute heure
du jour ou de la nuit, de prendre un repas quelque part et d’assister
à quantité de spectacles variés. Il n’est pas rare non plus d’y
croiser de grandes vedettes américaines et européennes du cinéma
et de la chanson. Restaurants, salles de spectacles, cafés, cabarets
et cinémas, tout le monde y trouve son compte. C'est aussi l'époque
où la rue Ste-Catherine est à double-sens et toujours parcourue par
des tramways et pour le secteur que l’on voit sur la photo c'est
le circuit 33. La ville est alors sous l’administration du maire
Camillien Houde alors que pour la province c’est Maurice Duplessis
qui tient le volant. Les deux hommes se connaissent bien et s’ils
ont des divergences d’opinion sur bien des choses ils partagent
néanmoins plusieurs choses dont l’art de parler la langue du
peuple. D’ailleurs en juillet 1948 Houde a publiquement apporté
son soutien au parti de l’Union Nationale. Ceci étant dit, voyons
un peu ce que l’on peut décortiquer de l’image d’aujourd’hui.
Tout d’abord, le lieu
de la photo. Nous sommes ici ici sur le côté nord de la rue
Ste-Catherine entre Université et l’avenue McGill College, et on
regarde vers l’ouest. Ensuite, le moment où cette photo a été
prise, début du mois d’août 1952. Très facile à déterminer
grâce au film Lydia Bailey, mettant en vedette la jeune et
jolie Anne Francis, et annoncé sur la marquise du cinéma Palace. À
gauche complètement on aperçoit le café Astor, où, en plus de
pouvoir assister à des spectacles variés, on peut prendre un verre,
siroter un café et même danser. Tout juste à côté c’est le
cinéma de Paris où l’on présente Toâ, un film tourné
par Sasha Guitry en 1949 et adapté de son œuvre, Florence. S’ensuit
le Palace, dont je vous ai parlé plus haut. Ce cinéma ne compte
alors qu’une seule salle. On retrouve ensuite un petit magasin pour
machines à coudre Singer. Ce dernier ne doit pas manquer de
clientèle puisque la couture est très populaire chez la gente
féminine. À côté c’est le magasin de chaussures Beck, suivi de
Jean’s Nut Store où l’on ne vend pas des boulons mais bien des
noix de toutes sortes; de macadamia, de Grenoble, du Brésil, de
cajou, de muscade, de pécane ou tout simplement des amandes, des
pistaches ou des arachides. Allergiques s’abstenir. S’affichant
fièrement lui aussi avec sa grande enseigne verticale, le restaurant
Cosy accueille avec un menu varié et vous sert également vins et
bière. À côté, et parfaitement invisible, le magasin de
chaussures Gold. Puis, surmonté d’une enseigne sobre mais élégante
avec une canne et un chapeau haut-de-forme, il y a le café Top Hat
qui est immédiatement suivi de Tiffany’s Men Shop, une boutique
pour hommes. Envie d’un autre café? Passez donc au Honey Dew! Et
puisqu’il s’agit d’une division de Canadian Food Products il se
trouve d’autres ailleurs en ville. Imperceptible également,
Belgium Stores et tout de suite après une succursale de la Banque
Royale. Au coin de McGill College c’est la pharmacie Ward’s qui
se trouve là. L’avenue McGill College nous sépare des commerces
suivants et que l’on distingue un peu dont United Cigar Stores dont
le toit est surmonté d’une immense affiche publicitaire lumineuse
qui vante les mérites des électroménagers
Westinghouse. On peut aussi voir l’enseigne du cinéma Capitol
qui met alors à l’affiche le western australien Kangaroo
avec Peter Lawford. Quant au Loews, lequel se trouve à la limite de
ce que l’on peut distinguer sur la photo, on projette le film
Lovely to Look at, une adaptation cinématographique du
spectacle musical de Broadway, Roberta.
Et
de quoi parle-t-on en ce début d’août 1952? Y’a certainement le
conflit de travail au magasin Dupuis Frères. Le grand magasin de la
rue Ste-Catherine a été secoué par une grève des employés qui
désiraient une augmentation de salaire. Heureusement, à la fin
juillet les employés ont accepté les nouvelles offres et leur
salaire hebdomadaire est passé de $4 à $6. Au début d’août le
conflit est terminé mais on en parle encore, surtout du maire Houde
qui, durant la parade de la St-Jean-Baptiste, s’était fait poivrer
d’œufs pourris parce qu’il avait critiqué la grève. Dans les
tramways il s’en trouve plusieurs pour regarder de travers la
comédienne Lucie Mitchell, laquelle avait tenu le rôle de la
marâtre dans le film La Petite Aurore, l’enfant martyre. Certains
vont même jusqu’à l’invectiver en la traitant de tous les noms
car elle est identifiée comme étant la «méchante». Comédienne
de talent, Lucie Mitchell a dit que ce rôle avait signifié la fin
de sa carrière et n’a pu retrouver une certaine grâce aux yeux du
public dans d’autres rôles. Dans un autre ordre d’idée il se
trouve encore des gens qui se pointent au théâtre Gayety dans
l’espoir d’y voir un des beaux spectacles de Lili St-Cyr mais la
strip-teaseuse américaine, Mary Van Schaack de son vrai nom, est
retournée poursuivre sa carrière aux États-Unis.
Côté littérature la première version en anglais du journal d’Anne Frank, The Diary of a Young Girl, arrive sur les tablettes des librairies. D’autres versions, dont en français, sont aussi prévues dans un avenir rapproché. Le livre va devenir l’un des plus lus dans le monde. Aux États-Unis le transatlantique SS United States effectue sa première traversée. Aujourd’hui en 2014 le navire est toujours ancré à Philadelphie et son statut oscille entre la préservation et la mise à la ferraille.
Hydro-Québec
annonce qu’elle va investir cent millions de dollars pour le
développement de la rivière Bersimis. L’industrie minière
s’inquiète un peu car le prix de l’or atteint alors son prix le
plus bas depuis 18 ans, soit près de $33 l’once. Peut-être que
les patrons des minières sont allés rejoindre les milliers de
pèlerins massés à l’Oratoire St-Joseph pour la messe d’action
de grâces, suivi d’un chemin de croix prêché par le chanoine
Deffrains de la cathédrale de Rennes. Si vous ne pouvez-vous y
rendre alors syntonisez CKAC, 73 au cadran, où la cérémonie sera
entièrement diffusée en direct. Parlant de diffusion on attend
aussi impatiemment l’inauguration officielle de Radio-Canada
quoique les diffusions aient déjà commencé de façon
non-officielle depuis le début d’août. Toutefois, le téléviseur,
objet relativement nouveau dans le paysage, demeure un meuble
dispendieux et pas à la portée de tous.
Quant à la photo d'en haut, qu'en est-il du même secteur aujourd'hui? Voyons un peu...
Comme on peut le voir, fini les belles enseignes lumineuses de l'époque. Les cinémas et commerces du temps aussi ont disparu, même ceux du coin que l'on croyait immuables, comme Simpsons et Eaton. Aucun d'eux n'a survécu de nos jours, c'est pour dire. On a tout de même conservé le nom Eaton pour nommer le centre commercial que l'on a aménagé en face.
Le saviez-vous? L’une
des premières émissions diffusées par Radio-Canada, en août 1952,
est Pépinot et Capucine. Fabriquées de papier mâché par Edmondo
Chiodini et Jeanne Auclair, les comédiennes Charolotte Boisjoli et
Marie-Ève Liénard prêtent leurs voix aux deux marionnettes.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire