jeudi 23 janvier 2025

Cherry Blossom, c'est la fin

 


J'avais six ans et des miettes. Un gamin poussiéreux aux vêtements d'été tout sales s'amusant dans les ruelles d'Hochelaga. Dans mes poches il y avait quelques pièces, sonnantes et trébuchantes qui brûlaient d'être dépensé. Puis, l'idée me vient d'aller à l'épicerie du coin, tenu par des amis de mes grands-parents, la famille Chénier. C'est là que l'on m'achetait mon Pif Gadget de la semaine. J'entre à l'intérieur et je commence à reluquer l'étalage des tablettes de chocolat. Y'a des fois où je me laisse tenter par une Coffee Crisp, ou encore Aero, mais pour aujourd'hui, c'est Cherry Blossom, cette délicieuse cerise marasquin dans un sirop et enrobée d'une cloche au chocolat où se trouvent également des pépites d'arachides et de noix de coco.


 

Je dépose mon trente sous sur le comptoir et m'en vais avec la petite boîte jaune, fier de ma transaction. Je traverse à nouveau la rue et m'installe dans les marches menant au balcon de la maison pour déguster la friandise. Y'a pas à dire, c'est le gros luxe que je viens de m'offrir là. D'ordinaire, et lorsque ma couturière de grand-mère est affairée dans le sous-sol à sa machine à coudre, je m'affaire, tel un explorateur, à farfouiner dans la dépense*, recherchant l'endroit où ma grand-mère avait caché son chocolat. Plus elle travaillait fort pour le cacher à mes yeux, plus je rivalisais d'audace et d'ingéniosité pour les trouver. 

Mais pas aujourd'hui. 

Sous le soleil d'été bien campé au-dessus de ma tête, je déguste, un brin maladroitement, ma Cherry Blossom, non sans tacher mon chandail d'une quantité incertaine de sirop. Faut dire que dans le temps les Cherry Blossom étaient plus grosses qu'aujourd'hui. Si j'avais en tête de ne rien dire à ma grand-mère concernant ma petite dégustation ben c'était peine perdue. La tache de sirop m'enlevait toute forme d'alibi quant à sa présence. Puis, après avoir avalé le dernier morceau, je rebondissais dans la ruelle paré à vivre des aventures comme seuls les gamins de six ans peuvent en imaginer. 

L'histoire de Lowney est celle de Walter M. Lowney lequel a fondé, dans les années 1880, la Walter M. Lowney Company, une entreprise de confection de chocolat et de bonbons à Boston. Les affaires vont rondement pour le confiseur, tellement qu'il fait construire une usine en 1903 à Mansfield au Massachusset. La proximité immédiate des voies ferrées a grandement facilité l'entreprise tout en favorisant les ventes. 

C'est incidemment ce qui a mené Walter Lowney à ouvrir très peu de temps après une filiale canadienne en faisant ériger une usine à Montréal sise au 1015 de la rue Williams, à un minuscule jet de pierre de la brasserie Dow. Là comme à son usine à Mansfield, on y fabrique toute une variété de friandises chocolatées dont la fameuse Cherry Blossom. Une promenade dans le Montréal d'antan garantissait d'y voir à un moment ou un autre une grande publicité vantant les mérites de la création de Lowney. 


Sur la photo ci-haut, on peut voir une autre publicité murale vantant la Cherry Blossom. Cette photo a été prise alors que se préparait le plan Dozois, prévoyant une démolition massive de certains pans de quartiers et dont les demeures étaient considérées désuètes et  angereuses. La ville de Montréal y a pris une quantité assez imposantes de photos et qui incluaient toujours, comme on peut le voir en bas à gauche, une pancarte avec des numéros interchangeables servant au catalogue. 

En 1968 la compagnie Lowney est achetée par Standard Brands et du coup Lowney en devient une filiale. En 1981 Standard Brand et Nabisco (National Biscuit Company) fusionnent afin de former une nouvelle entité à laquelle appartient toujours Lowney. En 1987 Hershey Canada achète la division des bonbons de Nabisco, qui incluait évidemment Lowney. 

Depuis un bon bout Lowney avait déménagé son usine de Montréal à Sherbrooke où elle y est demeurée jusqu'en 1989, année où Hershey a décidé de fermer l'usine et de déménager la production à son usine de Smiths Falls en Ontario. 

Ce qui nous amène aujourd'hui, en janvier 2025 où l'on appris de Hershey que la compagnie allait cesser la production de la Cherry Blossom sans toutefois mentionner de raison spécifique. Ceci a bien entendu fait courir les gens, à la recherche de quelques boîtes de la friandise qui a marqué l'histoire du Québec. 

Une récolte échelonnée sur environ deux semaines. Dans le dernier dépanneur où je suis allé il ne restait que la boîte vide, que le commerçant a bien voulu me donner. 



Le saviez-vous? Le sirop à l'intérieur n'en est pas réellement puisqu'il s'agit d'invertase, une glycoside hydrolase qui catalyse l'hydrolyse du saccharose alimentaire (sucre) en fructose et en glucose. Ce mélange de fructose et glucose est appelé sucre inverti, d'où le nom de l'enzyme.

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