Nous sommes le lundi 31 octobre 1921 aux petites heures du matin. Les gens se préparent à aller travailler. Ils sortent de leurs maisons en remontant le collet de leurs manteaux et sont accueillis par un brouillard épais qui, selon les dires, fait qu'on n'y voit rien au-delà de dix pieds. Pour pouvoir transporter plus de gens en même temps, on voit apparaître ici et là des tramways doubles, essentiellement deux voitures couplées ensembles mais dont seule la première est motorisée.
Que se passe t-il donc ce matin-là? Alors voilà, notre histoire se passe sur le circuit St-Denis/Ahuntsic qui relie le terminus Craig dans le Vieux-Montréal jusqu'au terminus situé à Ahuntsic. C'est un trajet assez simple qui ne dure en général qu'une heure, tout dépendant bien entendu des conditions climatiques. Or ce matin-là, comme mentionné plus haut, la ville est recouverte d'un épais brouillard. La prudence est donc de mise.
Du terminus Craig part le tramway double des voitures 1575 et 1663 en direction nord sous les commandes du garde moteur Alphonse Buron. Se trouvent aussi à bord le conducteur Alphonse Verret et environ une cinquantaine de passagers. Le circuit comporte une ligne double mais à la hauteur de Crémazie la ligne bifurque vers l'est et devient simple pour remonter le chemin Millen jusqu'au terminus situé plus loin au nord. Ce chemin était en plein champ car le quartier n'était absolument pas développé à ce moment-là.
Pour éviter que deux tramways ne se retrouvent face à face sur ce tronçon on avait aménagé une voie d'évitement qui permet à un tramway de s'y ranger afin de laisser passer l'autre. Un concept qui existe aussi dans le monde ferroviaire.
Le garde moteur Buron arrive à la hauteur de Crémazie et tourne à gauche prudemment afin d'aller emprunter le chemin Millen. Buron emprunte la voie d'évitement et attend que le tramway double composé des voitures 1573 et 1628 arrive. Mais il se fait attendre. On utilise donc le téléphone situé à un poteau situé tout près afin de communiquer avec la centrale.
Après quelques minutes Buron est autorisé à emprunter la voie mais avec prudence. Il rembarque à bord de son tramway et s'avance sur la voie. Mais à peine commence t-il à rouler qu'il aperçoit, surgissant de la brume, le tramway retardataire avec à bord le garde moteur Moise Dauphin et les conducteurs Alexis Joly et Emile Théorêt. il est environ 6:30 quand les deux tramways se fracassent l'un contre l'autre dans un fracas métallique épouvantable.
Peu de temps après l'impact, Emile Théorêt, l'un des conducteurs du tramway qui se dirigeait vers le sud parvient à sortir par l'arrière et se dirige le plus rapidement possible au poste de sémaphore afin de demander de l'aide au poste de secours situé au coin des rues St-Denis et Jean-Talon. Médecins et ambulanciers sont alors dépêchés sur place. Les secours arrivent et on se demande bien s'il se trouve quelconque malheureux qui a perdu la vie mais miraculeusement, tout le monde est vivant, quoique certains soient blessés sérieusement dont le garde moteur Buron qui souffre de lésions au dos et d'une jambe fracturée.
Certains des voyageurs ne souffrant que de blessures mineures sont soignés dans le dispensaire et peuvent regagner leur domicile alors que d'autres sont envoyés à l'hôpital Royal Victoria. Les équipes de la Montreal Tramways Company déblaient rapidement et efficacement la voie, si bien qu'a huit heures les tramways peuvent emprunter de nouveau le circuit.
On a pu évidemment savoir, en écoutant les témoignages de gens qui furent blessés dans l'accident, que les tramways allaient très vite. C'est ce que déclara M. St-Louis qui avait dit à son ami, Alphonse Paquette, que ca n'avait pas de bon sens de rouler aussi vite dans une brume pareille. Honoré Jolicoeur, un autre blessé, abonda dans le même sens et d'autres passagers dirent aussi la même chose.
Le garde-moteur Buron, hospitalisé à l'hôpital Général, accorda une courte entrevue où il affirma qu'il n'allait pas à plus de 12 ou 15 milles à l'heure mais que l'autre tramway allait très vite. Buron dit que lorsqu'il vit l'autre tramway arriver à toute vitesse il tenta de renverser le moteur mais que ce fut à toute fin pratique inutile.
Cet accident fut essentiellement dû au tramway double opéré par Moïse Dauphin qui, accusant un retard sur son horaire décida de reprendre le temps perdu en allant plus vite. Il est facile de comprendre qu'une telle manœuvre dans un épais brouillard n'était pas exactement l'idée du siècle et c'est ce qui provoqua la collision. La Montreal Tramways Company conclut aussi que de n'avoir qu'une seule voie pour le tronçon Millen était quelque chose à corriger (ben tiens!) et de ce fait, quelques six mois plus tard, elle fut doublée, éliminant ainsi les risques d'une autre collision.
Quant à l'ancienne ligne Millen elle suivait essentiellement ce qui est aujourd'hui l'avenue Millen, une rue résidentielle bordée de maisons d'un côté comme de l'autre et sur laquelle on retrouve les parcs Saint-Alphonse et Ahuntsic. Il serait bien difficile de déterminer exactement à quel endroit s'est produit l'accident.
Plusieurs années plus tard alors qu'il était à la retraite, le conducteur Émile Théorêt raconta le souvenir qu'il avait de ce terrible accident et, soulevant son chapeau, montra une bosse à la tête qu'il s'est faite ce jour-là et qui n'était jamais partie.
Le saviez-vous? La Montreal Tramways Company a été formée en 1911 afin de regrouper la Montreal Street Railway, Montreal Park & Island Railway and le Montreal Terminal Railway. En 1950 une législation est passée afin de créer la Commission de transports de Montréal, une entité publique, qui engloberait la Montreal Tramways Company. La Commission de transport de Montréal (CTM) est ensuite devenue la Commisison de transports de la Communauté Urbaine de Montréal (CTCUM) ensuite la Société de transport de la communauté urbaine de Montréal (STCUM) pour finalement devenir la STM que l'on connaît aujourd'hui.





