L’histoire
d’aujourd’hui débute y’a de ça un bon bout, en 1863 plus
précisément. C’était l’époque où le pays était constitué
de six colonies distinctes et autonomes soit le Canada-Uni (Québec
et Ontario), la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve,
l’Île-du-Prince-Édouard et la Colombie-Britannique. De grandes
étendues de terre situées entre la Terre de Rupert et les
Territoires du Nord-Ouest appartenaient quant à elles à la
Compagnie de la Baie d’Hudson.
Montréal, alors sous la
gouverne du maire Jean-Louis Beaudry, vit alors une sorte d’âge
d’or et le Vieux-Montréal devient peu à peu le centre économique
et commercial du Dominion du Canada. Et depuis 1860, avec l’ouverture
de cette merveille qu’est le pont Victoria et que le Grand Trunk a
construit à ses frais, ce commerce prospère. La ville s’agrandit
aussi, lentement dira-t-on, mais sûrement. C’est donc en 1863 que
Charles Cole ouvre, au coin sud-est de l’intersection des rues
Wolfe et De La Gauchetière, un commerce d’épicerie sis à
l’adresse civique 186. En 1865 l’adresse change pour le 194,
sorte de petit réaménagement minime qui ne sera pas le dernier. Le
commerce connaît de bonnes affaires mais Charles Coles décède en
1872, laissant la charge de l’épicerie à son épouse, maintenant
veuve. Cette dernière en change la vocation, passant d’épicerie à
saloon et tient le fort pendant deux ans, après quoi l’espace
commercial est occupé par Napoléon Hudon qui entreprend de
réaménager une épicerie. En 1876 toutefois le nouvel exploitant,
Jean Berthiaume, se charge de rouvrir à nouveau un saloon et qui va
être transformé, très brièvement, en hôtel Berthiaume, enfin,
jusqu’en 1879. Une certaine Olive Desautels fait l’acquisition de
l’hôtel et du saloon et rouvre, après quelques rénovations
d’usage, une épicerie. Qu’elle revend en 1884 à un certain
Arthur Briault, professeur d’ébénisterie qui n’exploite pas, en
passant, de commerce. En fait il va simplement résider là. En 1886
Arthur Briault quitte alors que les frères Alfred et Denis Gariépy
s’amènent afin d’y ouvrir, vous l’aurez deviné, une épicerie,
laquelle portera leurs noms. L’aventure est de courte durée
puisqu’en 1887 ce sont deux autres frères, les Millot qui sont au
comptoir. Ils y restent jusqu’en 1891 alors que c’est J. W.
Rivest qui prend la place.
En 1893 l’épicerie
ferme ses portes et redevient un logement alors que le peintre
Napoléon Décarreau aménage. Il n’est pas seul toutefois car
s’installe également Éliza Arbour, une veuve. La même année
l’adresse civique change de nouveau et devient le 228 De La
Gauchetière. Ils y demeurent à peine un an puisqu’en 1894 c’est
le charpentier Nazaire Beaupré qui arrive. Après quelques
rénovations d’usage l’épouse de ce dernier opère un
restaurant. En 1897 Joseph Gervais arrive et décide d’ouvrir, vous
l’aurez deviné, une épicerie. Pas de chance pour monsieur Gervais
toutefois puisqu’à peine un an plus tard il passe de vie à
trépas, laissant le commerce à son épouse, Mina. Peut-être en
raison de la lourdeur de la tâche, elle vend à Cléophas
Sanscartier, un ingénieur qui, à l’instar d’Arthur Briault,
décide de fermer boutique et de ne résider sur les lieux. En 1900
c’est Maurice Charles qui arrive et avec lui un nouveau changement
d’adresse alors que le 228 devient le 230. Maurice Charles n’ouvre
rien sinon que la porte lorsqu’il entre ou sort et ça va demeurer
comme ça jusqu’en 1910 alors que Napoléon Granger et ses bottines
vont arriver pour ouvrir, vous ne l’aurez pas deviné, une
quincaillerie. Les affaires semblent aller bien puisque monsieur
Granger brasse des clous et des outils pendant une bonne dizaine
d’années. Pendant ce temps, suite aux annexions, Montréal brasse
aussi des choses, en l’occurrence les adresses civiques et le 230
devient le 590. En 1912 la quincaillerie ferme et le nouvel arrivant,
Art Lippe fait de l’ancienne quincaillerie son nouveau logement.
Lippe va demeurer comme ça les deux pieds sur le poêle à bois
jusqu’en 1916 alors que Lionel V. de Grandpré arrive à son tour
pour y ouvrir, ba-dum-tsss, une quincaillerie, ce qui est
parfaitement dans ses cordes puisqu’il est machiniste de métier.
Puis, en 1921, durant l’hiver, s’amène un monsieur qui
s’installe devant la quincaillerie de Grandpré avec un appareil
photo. Il s’assure que son film est bien en place, vise, ajuste et
prend le cliché qui se trouve en haut de l'article.
Et que retient notre attention en cet hiver de 1921? En février le gouvernement Taschereau fait adopter la loi qui créé officiellement la Commission des liqueurs, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Régie des alcools. Mais justement, ce même gouvernement Taschereau sera entaché par l’affaire Garneau. Il s’agit du meurtre, toujours non-élucidé, de Blanche Garneau, une jeune fille de 22 ans qui résidait dans le quartier Saint-Sauveur et qui fut trouvée morte en 1920 au parc Victoria. Violée puis étranglée, les enquêteurs ne sont jamais parvenus à épingler de coupables mais la machine à rumeurs a vite pointé du doigt des fils de députés du Parti Libéral. Le gouvernement Taschereau, dont le premier ministre fait également office de procureur général, est accusé de se traîner les pieds et de diluer l’affaire dont on parle partout en province. Plus près du printemps monseigneur Bruchési y va d’un coup de semonce bien senti à l’égard du cinéma, du théâtre et de la danse comme moyens de perdition des âmes catholiques.
Retour au bâtiment.
Et que retient notre attention en cet hiver de 1921? En février le gouvernement Taschereau fait adopter la loi qui créé officiellement la Commission des liqueurs, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Régie des alcools. Mais justement, ce même gouvernement Taschereau sera entaché par l’affaire Garneau. Il s’agit du meurtre, toujours non-élucidé, de Blanche Garneau, une jeune fille de 22 ans qui résidait dans le quartier Saint-Sauveur et qui fut trouvée morte en 1920 au parc Victoria. Violée puis étranglée, les enquêteurs ne sont jamais parvenus à épingler de coupables mais la machine à rumeurs a vite pointé du doigt des fils de députés du Parti Libéral. Le gouvernement Taschereau, dont le premier ministre fait également office de procureur général, est accusé de se traîner les pieds et de diluer l’affaire dont on parle partout en province. Plus près du printemps monseigneur Bruchési y va d’un coup de semonce bien senti à l’égard du cinéma, du théâtre et de la danse comme moyens de perdition des âmes catholiques.
Retour au bâtiment.
Les choses vont bien et
monsieur Grandpré tient pignon sur le coin de la rue pendant de bien
bonnes années. Même la crise économique de 1929 ne semble pas
ébranler ses affaires. La seule chose qui change cette année-là
est, encore une fois, l’adresse civique laquelle passe du 590 au
1150 et qui deviendra l’adresse définitive. Cette réorganisation
ne touche pas seulement le faubourg à m’lasse mais également
l’ensemble du territoire de la ville de Montréal.
En 1935 monsieur de
Grandpré quitte et le local devient St-Hubert Bird & Seed &
Store & Hardware, propriété de Wilfrid Lefebvre. En plus des
articles de quincaillerie courants on peut maintenant se procurer des
trucs pour les p’tits oiseaux mais l’aventure ne dure que deux
ans puisqu’en 1937 arrive H. Simoneau qui transforme la
quincaillerie en une tabagie où l’on peut se procurer articles de
fumeurs mais aussi des bonbons. En 1939 c’est Mathieu Passau qui
prend la relève et continue d’exploiter la tabagie. En 1941
s’amène Georges Daigle, un tailleur et une certaine stabilité
s’installe puisque monsieur Daigle va y demeurer jusqu’en 1950.
En 1951 tout change, encore une fois alors que l’entreprise J. O.
Labrecque & Cie. s’installe afin de vendre charbon, brûleurs à
l’huile, fournaises en plus d’offrir des services d’entretien
et de réparations. En 1955 le commerce n’existe plus et le local
est vide. C’est l’année suivante, soit en 1956, que s’installe
Marcel Bicycle et les choses vont bien. En 1958 toutefois un gros
nuage d’incertitude se forme au-dessus du quartier alors que la
Société Radio-Canada est à la recherche d’un terrain pour y
faire construire une grande tour ainsi que des bâtiments connexes
qui permettront à Radio-Canada de centraliser tous ses services.
Nous sommes alors à l’époque du plan Dozois, lequel vise à
éliminer les taudis et malheureusement le secteur de la rue Wolfe
près de La Gauchetière est dans la mire de même que les autres
rues vers l’est. La petite boutique de vélo continue d’exister
mais vit sur du temps emprunté et en 1964 c’est la fin alors que
les bulldozers écrabouillent tout ce qui se trouve dans la
quadrilatère formé par les rues Wolfe, Craig (St-Antoine), Papineau
et Dorchester (René-Lévesque). Aujourd’hui il ne se trouve plus
rien sinon un banal stationnement.
Le saviez-vous? La rue De
La Gauchetière tient son nom de Daniel Migeon, sieur de La
Gauchetière (1671-1746) qui fut capitaine et propriétaire de
grandes terres.
Quel destin incroyable a connu ce petit commerce, pour finalement terminer sa vie sous le pic des démolisseurs... Merci encore un fois pour cette belle page d’histoire.
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