jeudi 29 janvier 2015

Un bâtiment qui en a vu passer



L’histoire d’aujourd’hui débute y’a de ça un bon bout, en 1863 plus précisément. C’était l’époque où le pays était constitué de six colonies distinctes et autonomes soit le Canada-Uni (Québec et Ontario), la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard et la Colombie-Britannique. De grandes étendues de terre situées entre la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest appartenaient quant à elles à la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Montréal, alors sous la gouverne du maire Jean-Louis Beaudry, vit alors une sorte d’âge d’or et le Vieux-Montréal devient peu à peu le centre économique et commercial du Dominion du Canada. Et depuis 1860, avec l’ouverture de cette merveille qu’est le pont Victoria et que le Grand Trunk a construit à ses frais, ce commerce prospère. La ville s’agrandit aussi, lentement dira-t-on, mais sûrement. C’est donc en 1863 que Charles Cole ouvre, au coin sud-est de l’intersection des rues Wolfe et De La Gauchetière, un commerce d’épicerie sis à l’adresse civique 186. En 1865 l’adresse change pour le 194, sorte de petit réaménagement minime qui ne sera pas le dernier. Le commerce connaît de bonnes affaires mais Charles Coles décède en 1872, laissant la charge de l’épicerie à son épouse, maintenant veuve. Cette dernière en change la vocation, passant d’épicerie à saloon et tient le fort pendant deux ans, après quoi l’espace commercial est occupé par Napoléon Hudon qui entreprend de réaménager une épicerie. En 1876 toutefois le nouvel exploitant, Jean Berthiaume, se charge de rouvrir à nouveau un saloon et qui va être transformé, très brièvement, en hôtel Berthiaume, enfin, jusqu’en 1879. Une certaine Olive Desautels fait l’acquisition de l’hôtel et du saloon et rouvre, après quelques rénovations d’usage, une épicerie. Qu’elle revend en 1884 à un certain Arthur Briault, professeur d’ébénisterie qui n’exploite pas, en passant, de commerce. En fait il va simplement résider là. En 1886 Arthur Briault quitte alors que les frères Alfred et Denis Gariépy s’amènent afin d’y ouvrir, vous l’aurez deviné, une épicerie, laquelle portera leurs noms. L’aventure est de courte durée puisqu’en 1887 ce sont deux autres frères, les Millot qui sont au comptoir. Ils y restent jusqu’en 1891 alors que c’est J. W. Rivest qui prend la place.


En 1893 l’épicerie ferme ses portes et redevient un logement alors que le peintre Napoléon Décarreau aménage. Il n’est pas seul toutefois car s’installe également Éliza Arbour, une veuve. La même année l’adresse civique change de nouveau et devient le 228 De La Gauchetière. Ils y demeurent à peine un an puisqu’en 1894 c’est le charpentier Nazaire Beaupré qui arrive. Après quelques rénovations d’usage l’épouse de ce dernier opère un restaurant. En 1897 Joseph Gervais arrive et décide d’ouvrir, vous l’aurez deviné, une épicerie. Pas de chance pour monsieur Gervais toutefois puisqu’à peine un an plus tard il passe de vie à trépas, laissant le commerce à son épouse, Mina. Peut-être en raison de la lourdeur de la tâche, elle vend à Cléophas Sanscartier, un ingénieur qui, à l’instar d’Arthur Briault, décide de fermer boutique et de ne résider sur les lieux. En 1900 c’est Maurice Charles qui arrive et avec lui un nouveau changement d’adresse alors que le 228 devient le 230. Maurice Charles n’ouvre rien sinon que la porte lorsqu’il entre ou sort et ça va demeurer comme ça jusqu’en 1910 alors que Napoléon Granger et ses bottines vont arriver pour ouvrir, vous ne l’aurez pas deviné, une quincaillerie. Les affaires semblent aller bien puisque monsieur Granger brasse des clous et des outils pendant une bonne dizaine d’années. Pendant ce temps, suite aux annexions, Montréal brasse aussi des choses, en l’occurrence les adresses civiques et le 230 devient le 590. En 1912 la quincaillerie ferme et le nouvel arrivant, Art Lippe fait de l’ancienne quincaillerie son nouveau logement. Lippe va demeurer comme ça les deux pieds sur le poêle à bois jusqu’en 1916 alors que Lionel V. de Grandpré arrive à son tour pour y ouvrir, ba-dum-tsss, une quincaillerie, ce qui est parfaitement dans ses cordes puisqu’il est machiniste de métier. Puis, en 1921, durant l’hiver, s’amène un monsieur qui s’installe devant la quincaillerie de Grandpré avec un appareil photo. Il s’assure que son film est bien en place, vise, ajuste et prend le cliché qui se trouve en haut de l'article.

Et que retient notre attention en cet hiver de 1921? En février le gouvernement Taschereau fait adopter la loi qui créé officiellement la Commission des liqueurs, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Régie des alcools. Mais justement, ce même gouvernement Taschereau sera entaché par l’affaire Garneau. Il s’agit du meurtre, toujours non-élucidé, de Blanche Garneau, une jeune fille de 22 ans qui résidait dans le quartier Saint-Sauveur et qui fut trouvée morte en 1920 au parc Victoria. Violée puis étranglée, les enquêteurs ne sont jamais parvenus à épingler de coupables mais la machine à rumeurs a vite pointé du doigt des fils de députés du Parti Libéral.  Le gouvernement Taschereau, dont le premier ministre fait également office de procureur général, est accusé de se traîner les pieds et de diluer l’affaire dont on parle partout en province. Plus près du printemps monseigneur Bruchési y va d’un coup de semonce bien senti à l’égard du cinéma, du théâtre et de la danse comme moyens de perdition des âmes catholiques.

Retour au bâtiment.

Les choses vont bien et monsieur Grandpré tient pignon sur le coin de la rue pendant de bien bonnes années. Même la crise économique de 1929 ne semble pas ébranler ses affaires. La seule chose qui change cette année-là est, encore une fois, l’adresse civique laquelle passe du 590 au 1150 et qui deviendra l’adresse définitive. Cette réorganisation ne touche pas seulement le faubourg à m’lasse mais également l’ensemble du territoire de la ville de Montréal.

En 1935 monsieur de Grandpré quitte et le local devient St-Hubert Bird & Seed & Store & Hardware, propriété de Wilfrid Lefebvre. En plus des articles de quincaillerie courants on peut maintenant se procurer des trucs pour les p’tits oiseaux mais l’aventure ne dure que deux ans puisqu’en 1937 arrive H. Simoneau qui transforme la quincaillerie en une tabagie où l’on peut se procurer articles de fumeurs mais aussi des bonbons. En 1939 c’est Mathieu Passau qui prend la relève et continue d’exploiter la tabagie. En 1941 s’amène Georges Daigle, un tailleur et une certaine stabilité s’installe puisque monsieur Daigle va y demeurer jusqu’en 1950. En 1951 tout change, encore une fois alors que l’entreprise J. O. Labrecque & Cie. s’installe afin de vendre charbon, brûleurs à l’huile, fournaises en plus d’offrir des services d’entretien et de réparations. En 1955 le commerce n’existe plus et le local est vide. C’est l’année suivante, soit en 1956, que s’installe Marcel Bicycle et les choses vont bien. En 1958 toutefois un gros nuage d’incertitude se forme au-dessus du quartier alors que la Société Radio-Canada est à la recherche d’un terrain pour y faire construire une grande tour ainsi que des bâtiments connexes qui permettront à Radio-Canada de centraliser tous ses services. Nous sommes alors à l’époque du plan Dozois, lequel vise à éliminer les taudis et malheureusement le secteur de la rue Wolfe près de La Gauchetière est dans la mire de même que les autres rues vers l’est. La petite boutique de vélo continue d’exister mais vit sur du temps emprunté et en 1964 c’est la fin alors que les bulldozers écrabouillent tout ce qui se trouve dans la quadrilatère formé par les rues Wolfe, Craig (St-Antoine), Papineau et Dorchester (René-Lévesque). Aujourd’hui il ne se trouve plus rien sinon un banal stationnement.








Le saviez-vous? La rue De La Gauchetière tient son nom de Daniel Migeon, sieur de La Gauchetière (1671-1746) qui fut capitaine et propriétaire de grandes terres.  

1 commentaire:

  1. Quel destin incroyable a connu ce petit commerce, pour finalement terminer sa vie sous le pic des démolisseurs... Merci encore un fois pour cette belle page d’histoire.

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